Quand l’Etat se dérobe de ses responsabilités et abandonne ses soldats à leur sort face à la justice!
Lors des évènements 2010 / 2011, l’Armée a dû se déployer dans les rues pour contribuer au maintien de l’ordre public. Dans un climat de forte insécurité, surtout pendant la deuxième quinzaine du mois de janvier 2011, certaines formations militaires ont reçu des ordres pour intervenir face à des éléments suspects refusant généralement d’obtempérer aux sommations règlementaires des militaires, qui ont dû, dans certains cas, faire usage de leurs armes. Cela a malheureusement été à l’origine de blessures et même de victimes parmi des individus qui, peut être sans s’en rendre compte, par leurs comportements suspects se sont faits attirés les feux des soldats. C’est ainsi que ces militaires, en service commandé, agissant conformément aux ordres reçus et selon le règlement et les procédures militaires en vigueur, se trouvent accusés selon le cas, pour homicide volontaire ou involontaire et autres accusations aussi graves les unes que les autres, affronter seuls leur destin devant la justice, tels des criminels de droit commun. Aujourd’hui, cinq ans après, certains parmi ces militaires, attendent avec l’angoisse que l’on imagine, le verdict de la Cour de Cassation reporté pour le 3 décembre prochain.
Certes, il faut bien rendre justice aux victimes, et que chacun, y compris l’Etat, assume la responsabilité de ses actes et qu’on ne se trompe surtout pas de responsables. Dans le cas d’espèce, la détermination des responsabilités est sujette à de nombreuses considérations autres que celles d’un crime de droit commun, en voici quelques unes, à mon sens, fondamentales:
- Les militaires en question ont été déjà condamnés, d’abord en première instance puis en appel selon les articles 217 et 225 du code pénal, c’est à dire sans aucune considération ni de leur qualité de militaires en mission commandée, ni des circonstances exceptionnelles des faits. En effet, on était bien le 15 janvier 2011 vers vingt et une heure du soir, soit quatre heures après l’instauration du couvre feu, pendant que ces militaires faisaient de leur mieux pour protéger la population et rétablir l’ordre public, dans un climat d’insécurité et de confusion totale. Et en l’absence de textes juridiques spécifiques aux situations "d’état d’urgence" et aux militaires dans les missions de maintien de l’ordre précisant la responsabilité de chacun, ces militaires se trouvent considérés comme de simples criminels de droit commun agissant de leur propre initiative et pour leur propre compte et ainsi condamnés par le même code pénal, avec la très grave accusation d’homicide volontaire pour l’un, involontaire pour un autre et autres motifs d’inculpation pour le reste!
- ces militaires agissaient au nom de l’Etat, sur ordre de leur commandement, conformément aux règlements et procédures militaires en vigueur, bien sûr, avec l’obligation et le devoir d’exécuter les ordres reçus sans aucune possibilité d’y renoncer. Dans ce cas, il est légitime de se demander sur les vrais responsables des conséquences de l’exécution des ordres reçus et sur la part de responsabilité des agents d’exécution. Le bon sens veut qu’on ne peut être responsable que de sa propre décision, ce qui présuppose la possibilité de choisir entre au moins deux alternatives, mais le militaire a-t-il cette possibilité, peut-il l’avoir même si on voulait la lui concédée ? Quelle Armée aurions-nous où le soldat a légalement la latitude de décider de l’opportunité de l’exécution ou non des ordres de ses chefs ? Soyons plus conséquents, la responsabilité des bavures et dégâts occasionnés par l’accomplissement de telles missions commandées, ne peut en aucun cas incomber aux agents d’exécution, et certainement pas entièrement à eux seuls, ceux-ci n’agissaient ni de leur propre initiative ni pour leur propre compte et n’ont pas la latitude de refuser les instructions reçues. Au contraire, on leur demande de bien mener à terme les missions dont ils sont chargées même à leur risque et péril. En quoi consiste alors leur responsabilité quant aux éventuels dégâts occasionnés par l’accomplissement des missions reçues?
- les procès intentés aux militaires en question sont atypiques à tout point de vue: les événements ont eu lieu dans des circonstances exceptionnelles, la nuit du 15/16 janvier 2011, lors du soulèvement populaire alors que régnait l’anarchie totale. Par ailleurs, les accusés sont des soldats qui agissaient en exécution de missions ordonnées par leurs chefs hiérarchiques, et sont soumis entre autres aux exigences de la discipline militaire et l’obligation de mener la mission à terme et ce quelques soient les sacrifices nécessaires. Ce sont là des valeurs militaires essentielles, indiscutables, confirmées et mises en valeur lors de la formation et de l’instruction des militaires et par quasiment tous les textes juridiques et règlementaires militaires, en particulier:
- Le code de Justice Militaire, qui dans ses Articles 78 et 79 prévoit pour ceux qui désobéissent les ordres, selon le cas, des punitions allant d’un mois à deux ans d’emprisonnement, ce, sans compter les mesures disciplinaires qui peuvent être prises par le Commandement à l’encontre du militaire récalcitrant;
- les Instructions Ministérielles, relatives à la Discipline Générale, Nr 2223 du 23 janvier 2002, précisent dans l’article19 intitulé "les devoirs et les responsabilités des subordonnés" paragraphe 1, que « l’obéissance est le premier devoir du subordonné. Celui-ci exécute les ordres qu’il reçoit. Il est responsable de leur exécution ou des conséquences de leur non exécution… ». Dans les programmes de formation et la culture militaire en général, il est plutôt question de discipline et d’obéissance aux ordres, on ne traite qu’occasionnellement du Droit de la Guerre, à l’occasion de la préparation des missions de maintien de la paix dans le monde, et encore moins du concept de "responsabilité pénale personnelle" dans les opérations militaires;
- Les textes réglementaires militaires, le code de justice militaire, les Statuts Général et Particulier des militaires et les Instructions ministérielles, relatives à la Discipline Générale, prévoient les cas de fautes et manquements commis en temps de paix et en temps de guerre; mais ne prévoient rien pour le cas d’espèce, celui du maintien de l’ordre public en "état d’urgence" , auquel il n’est pas fait la moindre allusion, et c’est une défaillance juridique majeure de la part des autorités politiques et du commandement militaire, un manquement que payent chèrement depuis 2011 les militaires agissant sur le terrain;
- A L’exception des Instructions Ministérielles relatives à la Discipline Générale (Art 18- parag. 3) où il est fait, une seule fois, référence à "la responsabilité pénale" et aux "lois et coutumes de la guerre", ces mêmes textes juridiques ne se référent ni aux Conventions de Genève ni à la responsabilité pénale du militaire. Ceci s’était traduit dans les faits, il faut que l’institution militaire le reconnaisse clairement, par le peu d’intérêt accordé à ces questions de responsabilité pénale "personnelle" du militaire et de Droit de la Guerre dans les programmes de formation des différentes écoles, d’où les bavures supposées ou effectivement commises par des militaires dans des circonstances opérationnelles exceptionnelles et extrêmement confuses. La culture militaire dominante dans l’Armée tunisienne, veut que la discipline et l’exécution de la mission soient des valeurs militaires quasi sacrées, en effet cette culture veut que ʺle succès de la mission prime sur toute autre considération".
- La contribution de l’Armée dans les opérations de maintien de l’ordre, selon les mesures convenues depuis des années entre les deux institutions, militaire et sécuritaire, devait se limiter pour les militaires à remplacer les Forces de Sécurité Intérieure dans la mission de protection de certains points sensibles, locaux des institutions publiques et des représentations diplomatiques étrangères sur le sol tunisien, il n’a jamais été question de charger les militaires de missions de police, d’ailleurs ils n’ont même pas la qualité légale d’officiers ou d’agents de Police Judiciaire, ainsi les militaires n’ont pas du tout à se frotter à la foule ou à traiter avec les civils. Cependant, lors des évènements 2010-2011 et particulièrement pendant la période entre mi janvier et fin mars 2011, les militaires se sont vus dans pas mal de cas assignés par leur commandement, la mission d’intercepter des éléments suspects, dangereux et armés; d’où le dilemme du militaire sur le terrain entre, d’une part, obéir «sans hésitation ni murmure», comme le veut la discipline militaire, et d’autre part, les conséquences d’éventuelles bavures qui peuvent résulter de leur intervention. Rappelons-nous l’insécurité qui régnait et la psychose généralisée des fameux tireurs d’élite "snipers" tunisiens et/ou étrangers (?) et ce en l’absence presque totale des Forces de Sécurité Intérieure dans les espaces publics;
- Enfin, comment expliquer et où situer les condamnations de ces militaires au vu de l’article 42 du code pénal qui stipule que: «N'est pas punissable, celui qui a commis un fait en vertu d'une disposition de la loi ou d'un ordre de l'autorité compétente»? Dieu seul sait, pourquoi ces militaires n’ont-ils pas bénéficié de cet article!
De ce qui précède, ressort un manque évident de textes juridiques relatifs à l’emploi des Forces Armées dans les situations d’exception, état d’urgence, et dans les missions "non militaires" tel que la contribution au maintien ou au rétablissement de l’ordre public, ainsi que la responsabilité pénale de chaque partie quant aux préjudices causés à autrui. Les militaires inculpés pour les préjudices portés aux citoyens morts ou blessés pendant le soulèvement de 2010-2011, ne sont, au fait, que les victimes de la défaillance de l’Etat qui aurait dû assumer sa responsabilité vis-à-vis des martyrs et blessés, reconnaitre et réparer les torts, dédommager les victimes moralement et matériellement comme il se doit et s’excuser auprès de leur famille, mais jamais abandonner ses soldats affronter à sa place la justice, des agents qui n’ont fait qu’accomplir leur devoir en exécutant les ordres dans le respect des règlements et procédures en vigueur dans l’Armée.
Quant à l’éventualité d’une mauvaise appréciation, de leur part, de la situation au moment des faits et qui serait à l’origine de la décision fatale de tirer en direction des suspects et des dégâts constatés, il est aisé après coup de disserter et palabrer autant qu’on le désire sur la justesse de cette décision et sur ce qui aurait dû (!) être fait, mais apprécier la situation, décider et agir sous la pression et dans la confusion des évènements, en quelques fractions de secondes, c’est tout autre chose. Et même s’il s’agissait d’une erreur d’appréciation ou d’une réaction maladroite, le soldat n’a-t-il pas le droit à l’erreur ? Considère -t-on le combat et la guerre une science exacte ? Est-il juste, donc, que l’Etat et le haut Commandement se soustraient à leurs responsabilités au dépend de leurs agents, au lieu de reconnaitre leur dévouement et les récompenser ? A-t-on songé un seul instant, en les abandonnant de la sorte, au message perçu par le reste des militaires ? A quelle réaction s’attend-on d’un militaire au milieu du Dj Chambi par exemple, face à un suspect n’obtempérant pas à ses sommations ? Hantés par les attaques terroristes, il doit l’abattre me diriez-vous ! et s’il s’avère, après enquête, que le suspect abattu n’est qu’un simple citoyen sans le moindre lien avec le terrorisme, mais étant malentendant, n’a pas réagi aux sommations du militaire et il courait, tout simplement pour chercher un de ses agneaux qui s’était éloigné de son troupeau ? Qui assumera alors la responsabilité des préjudices ? Est-il juste dans ce cas de trimballer ce militaire devant la justice pour "homicide" volontaire et même prémédité? s’agit-il vraiment d’un homicide au fait ? la qualification de "volontaire" étant assurée puisqu’il s’agit d’un acte, le tir, bien réfléchi ; et naturellement prémédité car ce militaire est déployé à chambi justement pour abattre tous ceux qui par leurs actes ou leurs comportements menacent la sécurité, ne pas obtempérer aux sommations est un acte hostile auquel le soldat répond par le feu. Ainsi, oubliant qu’il s’agit d’opérations militaires, on finit par assimiler l’acte de tirer, propre au soldat en opérations, à un crime de droit commun! Quelle ignorance ! quelle stupidité ! Quel texte juridique appliquer dans ce cas ? certainement le code pénal, puisqu’il n’y a pas de texte qui traite du militaire en opérations, ni en temps de paix, ni en état d’urgence ! N’oublions pas, qu’en dépit de tout ce qui s’est passé dans le pays depuis des années, l’Etat n’a pas encore jugé utile de déclarer les unités engagées le long des frontières contre le terrorisme, tout simplement en ʺopérations de guerre" , et ce malgré les nombreuses déclarations du Président de la République, Commandant Suprême des Forces Armées, que le pays est en guerre contre le terrorisme !
En tout cas, la question des responsabilités de l’ensemble de ce qui est réellement survenu entre Décembre 2010 et Mars 2011, est encore loin d’être élucidée. Néanmoins, dans un Etat de droit auquel on aspire, il est impératif de pallier les insuffisances juridiques, en prenant notamment les initiatives suivantes:
- Revoir le Décret Nr 50 de 1978 relatif à l’organisation de l’état d’urgence, pour mieux préciser le cadre, les conditions et les modalités d’engagement des Forces Armées en état d’urgence dans les différentes missions et particulièrement dans les opérations de maintien de l’ordre : qui le décide ? comment ? selon quelles procédures et avec quels moyens intervenir ? quelles règles d’engagement adopter ?...
- Préciser les rôles des différentes parties impliquées, Forces de Sécurité Intérieure et Forces Armées, leur rapport hiérarchique et de commandement sur le terrain pendant les opérations communes de maintien de l’ordre ou lutte contre le terrorisme ou d’autre nature dans les mêmes zones géographiques, les responsabilités de chaque partie …,
- Concernant la responsabilité pénale, il faut légiférer pour protéger les militaires en missions décidées par le commandement et agissant dans le respect total des ordres, des règlements et procédures en vigueur dans l’Armée.
Bref, il s’agit de bien définir les conditions règlementaires d’emploi des Forces Armées dans les situations particulières, en "état d’urgence" et dans des missions qui, institutionnellement ne leur incombent pas en premier lieu, maintien de l’ordre public, lutte contre le terrorisme surtout dans les zones urbaines… Aussi, dans ces cas d’engagement des militaires en concomitance avec les Forces de Sécurité Intérieure dans la même zone géographique, il y a besoin de préciser les rapports, les rôles et les responsabilités de chacune des deux parties.
Parallèlement, l’Institution militaire devra développer davantage les programmes de formation des militaires à tous les niveaux pour renforcer la culture et l’esprit des conventions internationales ratifiées par la Tunisie en la matière, notamment les 4 Conventions de Genève de 1949, les 3 Protocoles additionnels, ainsi que les textes nationaux en relation avec le Droit International Humanitaire.
Il est vrai que c’est un sujet hautement sensible et objet de polémiques passionnées à ne pas finir, il s’agit de la responsabilité pénale d’agents de l’Institution Militaire d’un coté et de cas de blessés et martyrs de l’autre. Cependant, il est aussi juste et même impératif que l’Etat assume pleinement sa responsabilité et protège, d’abord par des textes juridiques, les militaires agissant dans le cadre d’une mission commandée, et aussi par une meilleure formation des militaires dans ce domaine précis pour qu’ils soient bien avertis quant à leur responsabilité, leurs devoirs et également leurs droits à l’occasion d’opérations dans de telles situations. C’est une question de justice envers ceux qui, au besoin, n’hésitent pas à se sacrifier pour défendre la patrie. Cela va, non seulement du moral et de la motivation de la troupe, mais aussi de l’efficacité des interventions de l’Armée. Voilà encore de la matière pour une réforme urgente et largement justifiée, que la Commission parlementaire, dénommée, très maladroitement, "Commission de l’Organisation Administrative et Affaires des forces portant des armesʺ devrait initier sans plus tarder.
Par ailleurs, les responsabilités dans ce domaine devraient être définies, à mon sens, selon les principes suivants:
- la pertinence de la décision d’engager des forces militaires dans des missions, ainsi que les résultats atteints et leurs conséquences, relèvent de la responsabilité des seules autorités politiques et du Haut Commandement Militaire, origines des décisions d’engagement des forces;
- la responsabilité des agents d’exécution se limite au seul respect, pendant l’accomplissement de la mission, des ordres reçus à l’occasion et des instructions et règlements militaires en vigueur ; en cas d’irrespect délibéré et prouvé de la réglementation en vigueur par les agents, ceux-ci assument alors entièrement la responsabilité de leurs actes et il revient en premier lieu au Commandement militaire, en tant que référence d’expertise, de se prononcer s’il y a bien eu irrespect ou non des ordres ou de la réglementation en vigueur ;
Quant à la réparation des dégâts de toute nature, éventuellement causés à des tiers, elle incombe toujours et entièrement à l’Etat au nom duquel agissent les militaires. L’Etat doit assumer l’entière responsabilité des résultats des actions de ses agents, réparer les dégâts à qui de droit et s’il le faut s’excuser auprès des victimes et de leurs proches. Mais dans tous les cas, l’Etat n’a pas le droit d’abandonner ses soldats qui n’ont rien fait que servir la patrie dans le respect total de la loi.
Dans l’attente de ces réformes, il est encore permis d’espérer que le Commandant Suprême des Forces Armées, le Ministre de la Défense ainsi que le Haut Commandement Militaire, fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour rendre justice, et rien de plus, rendre justice aux militaires qui risquent fort des sentences non seulement sévères mais absolument injustes, en tout cas indignes de cette Armée et de cette Tunisie de 2015.
Mohamed Meddeb
Général de Brigade (r) – Armée Nationale
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C’est ne pas l'état qui se dérobe de ses responsabilités mais malheureusement le ministère de la défense national qui est le responsable. Commençant par un exemple, personnellement j’ai rejoint l’armée le 9/8/1977 et j’ai quitte le 31/1/1989 c'est-à-dire 12 année et 6mois dernièrement en réglant mes année de retraite ils ne m’ont reconnu que 8ans et 9mois jusqu'à maintenant je me demande et le reste j’étais ou comment ils me volent presque 3 ans de ma pension de retraite, le seul responsable c’est le ministre de la défense national qui n’a jamais protège ses soldats tous rangs compris.