Les universitaires tunisiens cèdent au chant des sirènes du Golfe
C’est devenu un rituel. Depuis la rentrée universitaire 2O11, les enseignants-chercheurs tunisiens font, au mois de septembre, le compte de ceux qui, parmi leurs collègues, sont partis enseigner dans l’un des pays du Golfe. Cette émigration des élites, qui n’est pas médiatisée par le ministère de tutelle, a une assez longue histoire : les anciens des universités tunisiennes se souviennent de rares collègues qui se sont rendus, depuis les années 1980, dans des pays du Golfe pour y enseigner. Mais jusqu’à la ‘’Révolution’’ ; la pratique était rare et passait pratiquement inaperçue. Le gros des effectifs des coopérants tunisiens était constitué d’enseignants du Secondaire ainsi que de cadres, d’experts et de consultants appartenant à divers domaines.
Des chiffres alarmants
Il y a quelques jours, les médias tunisiens ont fait état des statistiques diffusées par l’Agence Tunisienne de Coopération Technique (ATCT), et qui sont relatifs à ses placements au cours des neuf premiers mois de l’’année 2015. Sur un total de 2703 coopérants, on relève 428 universitaires, soit près de 15% des coopérants placés essentiellement dans les pays du Golfe. Le nombre des universitaires peut paraître modique. Mais quand on sait qu’il s’agit le plus souvent d’enseignants-chercheurs appartenant au corps A (Maîtres de conférences et Professeurs de l’Enseignement Supérieur) le constat pousse à la fois à l’étonnement et à l’inquiétude.
Dans les dernières statistiques livrées par le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, qui sont relatives à l’année universitaire 2013-2014, le corps A totalise 2257 enseignant-chercheurs contre 9906 enseignants appartenant au corps B (Assistants et Maître Assistants) et 10668 enseignants appartenant à diverses autres catégories ( Assistants contractuels, enseignants hospitalo-universitaires, enseignants technologues, Professeurs de l’Enseignement Secondaire, étrangers). Ainsi, le corps A qui assume l’essentiel de la direction des travaux de recherche et des responsabilités relatives aux jurys de soutenances et de recrutement n’atteint même pas 10% du total des effectifs qui exercent dans les universités tunisiennes, qui s’élève à 23431. Ce taux, qui est certainement parmi les plus faibles au monde, se distingue par sa stagnation globale due entre autres raisons à de nombreux départs à la retraite au cours des dernières années. Au vu de ces chiffres, le nombre des enseignants-chercheurs exilés volontairement aux pays du Golfe représente une véritable hémorragie pour la Tunisie. La proportion exacte des enseignants appartenant au corps A n’a pas été révélée par les médias mais dans certains établissements, la saignée est devenue handicapante. Dans de nombreux départements, plus d’un enseignant a choisi de s’installer dans un pays du Golfe, au début de cette année universitaire.
Seul l’appât du gain explique l’exode massif
Il est vrai que les enseignants-chercheurs des universités tunisiennes ne sont pas réputés pour être les mieux payés au monde. Le désavantage des tunisiens est remarquable même lorsque la comparaison s’arrête aux pays du Maghreb et aux pays arabes non pétroliers du Moyen-Orient, excepté l’Egypte. Il n’est pas moins vrai que les conditions de travail des universitaires tunisiens sont devenues tellement déplorables qu’elles peuvent, à elles seules, pousser à l’exil volontaire même quand il n’est pas des plus rémunérateurs. Mais toutes ces conditions qui méritent l’attention n’excusent pas les abus nuisibles aux plus hauts intérêts du pays.
Que des universitaires appartenant à la nomenklatura du régime déchu le 14 janvier 2011 se soient pressés de recourir à leur carnet d’adresses pour se trouver une bonne place au soleil du Golfe était prévisible. Que des opportunistes des longues années de ’’gouvernement provisoire’’ se soient souciés de leurs seuls intérêts personnels soit en pliant bagage du jour au lendemain soit en se faisant les gérants, dans leur propre pays, d’ ’’officines pseudo-académiques’’ qui ne sont que des succursales de ’’centres de recherche’’ basés au Golfe n’est pas moins prévisible. Mais que des noms qui comptent parmi les meilleurs produits de l’Université de la première République tunisienne aillent, allégrement, se mettre au service d’universités qui n’ont comme véritable atout que leur ’’force d’achat’’, cela représente un danger réel pour le présent de notre université et l’avenir de notre pays. La sidération est totale lorsqu’on apprend que des professeurs, aux carrières accomplies, ont cédé à l’appel d’officines peu recommandables pour exercer dans des domaines qui ne sont ceux de la spécialité dans laquelle ils se sont fait un nom depuis des décennies.
Depuis la grande ouverture de la ’’Saison de la migration vers l’Orient’’ aucun bénéficiaire n’a fait l’éloge de belles d’expériences pédagogiques innovantes ou d’activité de recherche stimulante. Si cela existait on l’aurait su d’une manière ou d’une autre. La seule motivation des départs, reconnue par les intéressés eux-mêmes est le gain d’argent rapide.
L’attitude irresponsable du ministère de l’Enseignement Supérieur
La candidature aux programmes de coopération technique se fait en rapport direct entre les postulants et l’Agence tunisienne spécialisée qui relève du ministère du Développement, de l’Investissement et de la Coopération Internationale. Autrement dit, l’autorité universitaire de tutelle, de la direction du département de rattachement au ministère de tutelle, en passant par la direction de l’établissement et la Présidence de l’Université n’a pas voix au chapitre. Le candidat à la coopération technique, qui remplit les conditions posées par les recruteurs, n’a besoin d’aucune autorisation et n’a même pas l’obligation d’informer ses supérieurs hiérarchiques de son départ. Son emploi du temps et les étudiants dont il dirige les recherches sont à gérer par le directeur du département ou par le Président de la Commission du Mastère ou du Doctorat. Sa ’’mission’’ dans un pays du Golfe est considérée comme un haut fait qui prime sur tout.
Les décideurs de l’ATCT et du ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique ne peuvent pas faire croire que le placement de nos enseignants-chercheurs expérimentés dans les pays du Golfe va résoudre le problème du chômage des jeunes chercheurs qui frappent aux portes des universités. Ils savent bien que cela n’est pas vrai. Un jeune chercheur aussi méritant soit-il n’a pas vocation à accomplir les nombreuses tâches dédiées par la loi même et par les bonnes traditions universitaires aux enseignants expérimentés et satisfaisant à certains critères d’ordre académique.
La migration anarchique des universitaires tunisiens vers les pays du Golfe a des motivations qu’il faut considérer avec le sérieux qui s’impose. Elle est motivée essentiellement par le désir d’améliorer une situation matérielle détériorée et en deuxième lieu par la recherche d’une considération et de conditions de travail que les universitaires tunisiens ne trouvent plus chez eux.
Des universitaires qui ont du mal, au bout d’une décennie ou deux de travail, à se payer un logement décent ou à acquérir la plus petite des voitures sans s’endetter jusqu’au cou et parfois jusqu’au-delà de la retraite, ne résistent pas toujours à des offres de salaires alléchants payés en pétrodollars. La misère des bibliothèques de recherches, le délabrement ou l’absence même des bureaux de travail, les salles de classe mal équipées jusqu’à l’absence des serrures et de l’éclairage adéquats ne retiennent plus des enseignants qui ont désespéré des lendemains meilleurs.
La rigidité des réglementations font que les enseignants, qui ne peuvent progresser dans leur carrière que par la recherche, ont de plus en plus de mal à mener à bien des travaux qui seraient de nature à leur donner une satisfaction morale et une possibilité de promotion. Cette impasse est particulièrement ressentie par les Maîtres Assistants qui ont du mal à préparer leur dossier d’habilitation universitaire nécessaire pour l’accès au corps A. Une plus grande souplesse dans l’octroi des congés d’étude, plus de bourses pour des séjours de recherche à l’étranger et une mise à niveau de nos bibliothèques sont les meilleures voies pour la promotion des ressources humaines de nos universités. Quel que soit le coût de ses mesures, le pays sera gagnant, à terme, car il s’agit de la formation des formateurs et des chercheurs de demain, ce qui n’a pas de prix.
Certains pays amis où l’enseignement supérieur et la recherche scientifiques ont une réputation qui ne date pas d’hier, ont bien diagnostiqué les goulots d’étranglement de nos établissements d’enseignement supérieur et de recherche scientifique. Par des actions étudiées, ils contribuent efficacement à résoudre des problèmes endémiques. Citons seulement l’exemple de l’Institut archéologique allemand de Rome (MDAI de Rome) qui a décidé, au lendemain de la Révolution du 14 janvier, de doubler le nombre des bourses bien généreuses accordées chaque année, aux ressortissants tunisiens qui effectuent des recherches dans les disciplines archéologiques (Préhistoire, Protohistoire, Antiquité, Moyen-Âge), tout en les médiatisant avec la plus grande transparence. Les boursiers, de plus en plus nombreux, sont aux anges ; ils se sentent pousser des ailes. Quelle différence avec les considérations vaseuses dont regorge le ’’Plan stratégique de la Réforme de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique 2015-2025’’ qui sera examiné et très probablement validé par l’Assemblée des Représentants du Peuple, dans un avenir très proche!
Houcine Jaïdi
Professeur à l’Université de Tunis
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Bonsoir Ils sont chasseurs de primes,de responsabilites et de postes ici et ailleurs,heureusement que les pays du golfe ont un nouveau concurrent à savoir Nidaa Tounes,voir le ministere de la culture,le credif,la bibliotheque nationale.Vous passez sous silence cher professeur les Gourous et les entrepreneurs,les oligarchies universitaires familiales qui sont bien chez eux avec leur harem,leur basse cour,leur espacede villegiature à Kerkouane et autres???
L'exode des cadres supérieurs tunisiens pour les pays du Golf date d'au moins deux décennies. Alors, je me demande pourquoi parler de ce phénomène maintenant . Par ailleurs, le quota des Universitaires Enseignants dans les pays du Golf est beaucoup plus important que les chiffres publiés. D'ailleurs un nombre important de nos enseignants universitaires, toutes spécialités confondues,démissionnent de leurs postes en Tunisie pour se consacrer à leur boulots dans les pays du Golf. Pire encore, certains Enseignants Tunisiens sortant des universités Américaines, suite à des bourses accordées par l’État tunisien, partent directement pour travailler dans les pays du Golf. Alors Saha ennoum.
il ne faut pas commettre l'erreur d'aller éduquer ces porcs du golfe, regarder ce qu'ils font aux syriens et palestiniens qui les ont éduqués dans les années 60 et 70 ; IL NE FAUT PAS VENDRE SON AME AU DIABLE .partez au canada ou sur la planete mars si vous voulez mais pas chez ces gens .c'est un universitaire qui vous parle et qui connait ces gens-là
Ceux qui partent dans ces pays n'ont qu'un seul objectif, celui de se remplir les poches, quant à le recherche, c'est le dernier de leur souci. d'ailleurs ceux qui sont partis, du moins dans la discipline que je connais bien ne sont pas la crème des enseignants, loin de là, si toutefois nous avons des chercheurs dignes de ce nom .
A l'attention de M. Mourad Regaya : Je ne pense pas que cela soit le lieu approprié pour vilipender les "dynasties" universitaires, nous savons tous quelle(s) est (sont) celle(s) qui sont visées par vos propos. Après tout, les élites se reproduisent, en Tunisie comme ailleurs. En revanche, vous avez raison de signaler que certains enseignants universitaires ont le tort d'accaparer certaines "niches" pour eux-mêmes, voire leur proches (famille comprise). Ceci est éminemment regrettable. Mais je pense qu'au fond, l'objet de cet billet est de dénoncer la fuite des cerveaux vers "les plus offrants". La cupidité peut en être responsable, mais les candidats sont probablement poussés vers l'exode par des conditions d'exercice dantesques. Les torts sont partagés et l'Etat doit prendre ses responsabilités, car certaines élites étant attirées par l'appât du gain, il ne restera pas grand monde pour former les générations futures qui auront peine à bénéficier d'un enseignement de qualité. Enfin, M. Regaya, ne chantez pas trop vite les louanges de nos responsables politiques, car pour le moment, leur bilan est bien maigre. Amitiés, Jean
1/ Il faudrait que le salaire des enseignants du supérieur soit sensiblement améliorée POUR CEUX qui travaillent vraiement ! Il est anormal qu'un enseignant qui participe à des jury, qui fait trois réunions par jour, appelé gratuitement à tel ou tel ministère pour profiter de son expertise, encadre des étudiants soit payé autant que celui qui ne fait que ces heures dues. 2/ Il faudrait rajouter à la liste des "réforme", une vraie réforme du financement des laboratoires. Les montants sont d'un ridicule avec des obligations sur la masse critique qui font qu'au bout un enseignant est supposé gérer une équipe de recherche avec 3000 DT par an. je me demande si les décideurs de ce pays vivent en Tunise ou pas. 3/ Ceux qui ont résisté à ce que vous appellez "l'appat du gain" par patriotisme, parcequ'on a eu tellement de "rèves" avec cette révolution, vont tenir longtemps avant de plier baggage. On veut bien donner au pays, mais à un moment il faut aussi ce demander ce que fait ce pays pour te retenir...
Vous avez couverts une bonne parties du sous développement dans les carrières des universitaires chercheurs. Vous avez tendance à plaindre ceux qui s'expatrient pour améliorer temporairement leurs revenus et parfois même revigorer leur moral mis à rude épreuve par des conditions de travail déplorables. D'abord beaucoup de spécialités ont recourt à cette expatriation temporaire, sorte de bouffée d'oxygène arrivant une fois que les 2/3 de la carrière sont dépassé, et quand on jette un regard en arrière on est rempli d'amertume ....et parfois de regrets de ne pas avoir combattu suffisamment laisser aller, égoïsme ...et pleins d'autres plaies qui ont aggravé le sous développement de l'enseignement supérieur et la recherche ....Rarement ses expatriations sont définitives, plusieurs facteurs jouent contre leur prolongement, leur incidence sur le fonctionnement des établissements est négligeable pendant deux ou trois ans une question n'est pas enseigné par tel enseignant de rang magistral ...il y a l'équivalent et nul n'est indispensable en toute bonne logique.Puis comme vous le mentionnez l’État ne doit il pas rendre plus attrayantes les carrières universitaires pour réduire la fréquence de ces épanchements d'effectifs.
Alors qui sont restés en Tunisie sont des patriotes, mais c'est du n'importe quoi!!!!! On est entre nous, ne nous voilons pas la face. Les enseignants partis au Golf, et j'en fais partie, ne vont pas devenir des millionnaires. Ils cherchent seulement à s'assurer un logement décent. Un mastère encadré à 120dt, vous appelez ça une rémunération. Et si nous sommes les cancres de l'enseignement selon si lajimi, alors bon débarras. Pour l'auteur, je veux dire que le candidat ne peut bénéficier du détachement que sous visa du doyen et du conseil scientifique, du rectorat et du ministère de tutelle. Et chers compatriotes, arrêtons de nous détester, ça devient sournois.
En tant qu'universitaire français, je ne puis que faire le même constat. Nous avons, avec plaisir, encadré des thésards tunisiens avec des nos collègues tunisiens. Des laboratoires se développaient. Aujourd'hui, avec regret, on ne peut que constater que ces laboratoires n existent plus. Tous sont partis, et pourtant ils aimaient véritablement leur pays , je puis vous l'assurer.