Habib Touhami: Le plein de partitocratie
Ce n’est pas seulement une affaire de textes, interprétables à souhait, ni de nombre de partis politiques, encore que cela compte, ni même une question de mœurs politiques dominantes ou de penchant atavique à la division et au nombrilisme, mais le résultat normal, classique et inéluctable de l’application de la proportionnelle de liste aux élections législatives.
Les scrutins proportionnels ont systématiquement encouragé le multipartisme, l’instabilité gouvernementale et le chantage des petits partis politiques charnières. Mais il y a pire. La proportionnelle de liste laisse la représentation nationale sous le joug des états-majors des partis politiques, les députés devant leur élection davantage au rang qu’ils occupent sur les listes qu’aux citoyens qu’ils sont censés représenter. Une distance politique et affective s’insinue alors entre mandataires et mandatés éloignant ces derniers des préoccupations basiques de leurs mandataires et les rendant dociles face aux turpitudes de certains chefs de parti qui ne sont même pas des élus du suffrage universel.
En 2011, ces considérations, connues de tous pourtant, ont manifestement échappé à la perspicacité des membres de la Haute instance chargée de choisir le type de scrutin aux législatives. Le résultat est que les partis politiques arrivés en tête lors des élections de 2011 et de 2014 ont été contraints par l’arithmétique électorale elle-même de former des coalitions claudicantes et incohérentes qui n’avaient pas l’aval du corps électoral ni même celui des électeurs des partis politiques coalisés.
L’emprise des partis politiques sur la vie politique et l’exécutif est devenue si évidente, si excessive qu’elle suscite désormais la condamnation du plus grand nombre. Mais au-delà du constat, inquiétant en lui-même pour la démocratie, la surpuissance des partis politiques a toujours eu pour conséquence l’affaiblissement graduel de l’exécutif. Et même quand le président de la République est intervenu directement pour faire adouber le chef du gouvernement actuel, son action releva, pour une part, d’un calcul politique visant à prévenir l’éclatement de son propre parti.
Aucune démocratie ne peut fonctionner sans partis politiques, mais aucune démocratie ne peut fonctionner quand les partis politiques se substituent de facto à la représentation nationale et dénient à l’exécutif l’exercice d’une partie de ses prérogatives. C’est à se demander si les promoteurs de notre mode de scrutin aux législatives n’ont pas manqué en leur temps de ce minimum de lucidité et de prévoyance qui fait la différence entre les vrais législateurs et les drapés de leur seul juridisme.
Habib Touhami
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