Comment daech recrute les jeunes
Comment des réseaux djihadistes réussissent-ils à approcher et à convaincre les jeunes de partir en Syrie? Le témoignage d’Alex, une jeune américaine de 23 ans, enseignante à l’école de dimanche et baby sitter, montre que le chemin passe par la séduction, l’éloignement de la famille, puis l’isolement.
Sous le couvert de l’amitié et d’arguments religieux, des djihadistes se sont rapprochés de cette jeune femme pour la convaincre de rejoindre l’état islamique. Elle était sur le point de partir en Autriche pour épouser un musulman de 45 ans qu’elle n’a jamais vu auparavant.
Tout avait commencé dans la solitude de sa chambre, derrière un écran d'ordinateur, lieu de propagande numéro un des djihadistes. Alex vient de faire la connaissance d’un nouveau cercle d’amis, celui-ci ne cessait de lui enseigner les principes de l’islam et de vanter les mérites de l’EI, un groupe islamique qui faisait régner les règles de dieu en Iraq et en Syrie.
La séduction
Pendant plus de six mois, des membres de l’EI passaient des milliers d’heures en ligne pour attirer Alex dans leur filet. Ils lui envoyaient de l’argent, des cadeaux et du chocolat. Ils assouvirent sa curiosité et calmaient ses appréhensions tout en l’initiant aux concepts radicaux de l’EI.
« On a tous un pare-feu naturel dans nos cerveaux qui nous empêche de faire des bêtises » explique Nasser Weddady, expert du Moyen-orient qui prépare un rapport sur les moyens de combattre les propagandes. « Ils visent les points faibles du mur puis ils attaquent » ajoute-il.
Renforcer la solitude
Alex vivait au milieu de nulle part. Pour atteindre sa maison, les visiteurs devaient contourner un parc de maisons mobiles, puis traverser sur une distance d'un kilomètre, les champs de blé et de luzerne. « Mes grands-parents aimaient vivre au milieu de nulle part, quant à moi j’adorais vivre en communauté, la solitude règne ici » dit Alex.
Elle a vécu, presque toute sa vie, avec ses grands-parents. Quand elle avait 11 mois, sa mère a perdu le droit de garde du fait de son addiction à la drogue. Le médecin a expliqué qu’Alex est atteinte du «syndrome d'alcoolisation fœtale» qui a engendré des tremblements dans ses mains. Cette maladie a provoqué également un manque de maturité permanent et a affecté sa capacité de jugement.
Lorsque le journaliste James Foley fût décapité par l’EI. Elle a décidé de chercher des explications auprès de ses nouveaux amis en ligne. « Je cherchais des gens qui acceptaient un tel acte afin de comprendre pourquoi ils le faisaient », dit-elle. « Il était effectivement très facile de les trouver ». Elle était choquée, à nouveau, vu que les adeptes de l'État islamique ont pris le temps de répondre poliment et gentiment à ses questions.
Les évènements qui ont eu lieu après, s’identifient aux recommandations citées dans le manuel «Un Cours dans l'art de recruter », écrit par Al-Qaïda. Le livre conseillait de passer autant de temps que possible avec les recrues potentielles et de rester en contact régulier avec eux. Le recruteur doit «écouter l’autre avec attention » et « partager ses joies et ses tristesses», afin de créer un lien avec lui. Ensuite, le recruteur doit s’attacher à inculquer les bases de l'Islam, en veillant à ne pas mentionner le djihad.
«Commencez par les rituels religieux et focalisez sur eux», dit le manuel, qui a été étudié dans les archives du « Conflict Records Research Center » à l'Université de Défense Nationale à Washington.
Effectivement, Mondher Hamad, un djihadiste à l’EI, dont elle vient de faire la connaissance en ligne, montrait un grand intérêt à ses interrogations. Elle recevait des réponses immédiates à ses questions. Maintenant, son iPhone vibrait toute la journée avec des mises à jour de statuts, des notifications et des messages vocaux.
Elle avait déjà développé de profonds doutes quant au portrait médiatisé de l'État islamique en tant que tueurs brutaux. « Je savais que ce que les gens disaient à leur sujet n’était pas vrai », dit-elle. Deux mois après le début de ses conversations avec les supporters de l’EI, Alex commençait à douter de ses croyances chrétiennes. Ainsi, elle a demandé à voir le pasteur de son église presbytérienne. Elle voulait savoir si l'idée de la Sainte Trinité signifiait qu'ils étaient polythéistes.
Même si Mondher Hamad a joué un rôle important dans l’endoctrinement d’Alex, c’était Faiçal Mustapha qui l’a vraiment poussé à franchir le cap et se convertir à l’islam.
Franchir le cap
Alex venait de quitter le lycée. Elle a démissionné de son emploi dans un centre de soins. Elle a également quitté une formation dans un centre d'appel, incapable de gérer les appels des clients en colère. Ses conversations en ligne sont devenues une pierre de touche à un moment où elle était de plus en plus à la dérive.
Suivant les directives de Faiçal, Alex passa à l’acte. Dans la nuit du 28 décembre, alors que sa famille regardait la télévision, Alex posta la « Chahada » sur son compte Twitter. Faiçal a reconnu sa déclaration tout de suite ainsi qu’un autre ami, nommé Hallie Sheikh, que Faiçal avait demandé de servir comme deuxième témoin. En quelques heures, Alex avait doublé ses suiveurs sur Twitter. «J’ai des frères et sœurs maintenant», a-t-elle posté. « Je pleure je joie ».
A partir de Janvier, Alex commença à recevoir des paquets de la part de Faiçal. A l'intérieur des hijabs aux couleurs pastel, un tapis de prière vert, et des livres qui l'ont guidée vers une interprétation plus stricte de l'islam.
Désormais, Alex menait une double vie : elle portait le voile secrètement en le mettant lorsqu’elle quittait la maison et l’enlevant avant d’y rentrer. Elle a continué à donner des cours à l'école du dimanche, faisant de son mieux pour paraître convaincante. Elle baissa la tête avec le reste de la congrégation, mais dans son cœur ses prières étaient différentes.
Lorsque la grand-mère d'Alex commençait à se méfier des cadeaux reçus d'outre-mer, Faiçal s’est arrangé pour les envoyer à la maison de sa cousine.
Alex souffrait de plus en plus par ce qu’elle mentait à sa famille. Son secret grandissait parallèlement à son sentiment d'isolement.
M. Sheikh, qui a passé des années à recruter des personnes pour les groupes extrémistes avant d’abandonner, soutient que l'isolement est intentionnel. « Nous recherchons des personnes qui sont isolées» dit-il. « Et si elles ne sont pas déjà isolées, nous les isolons ».
La mise sous pression de la victime
La communauté virtuelle d’Alex a commencé à faire plus de demandes. Ils lui ont dit qu’un bon musulman ne devait pas suivre les « kuffars » ou mécréants, insinuant ses quelques amis chrétiens sur les réseaux sociaux. Ils l’ont même accusée d’être une espionne. C’est Faiçal qui l’a sauvée de ce dilemme en faisant vérifier ses comptes par un administrateur. Ce dernier a été accusé précédemment d’avoir endoctriné une adolescente de 15 ans afin de rejoindre l’EI.
« Tu es quelqu’un de bien » lui a écrit Faiçal trois jours après cette épreuve. «Tu ne trouveras pas de difficulté à te trouver un mari»,a-t-il-ajouté.
Dans leurs conversations sur internet, Faiçal a souligné que pour les musulmans, il est un péché de rester chez les mécréants. Ses discussions portaient de plus en plus sur son voyage en « terre musulmane ». Bien qu'il n’ait jamais mentionné la Syrie, Alex a compris que c’était ce qu'il voulait dire, dit elle. Faiçal lui a même suggéré de voyager en Autriche pour rencontrer son futur mari, un musulman, chauve, de 45 ans.
Alex commença se douter des intentions de Faiçal quant elle a découvert qu’il parlait avec d’autres femmes en parallèle. En cherchant son nom sur google, elle a découvert qu’il mentait sur ses origines et son âge, étant un homme de 50 ans du Bangladesh. Il avait également un antécédent judicaire lourd et il a été inculpé de détention illégale d’arme, fabrication de bombes et possession de livres jihadistes.
L’intervention de la famille
Alex et sa grand-mère se disputaient régulièrement vu son usage excessif de l’ordinateur ces derniers temps. En Mars, la famille d'Alex a confisqué son ordinateur et téléphone dans la nuit.
La grand-mère d’Alex a décidé de faire face à l'homme qu'elle croyait tenter de recruter Alex pour le compte de l'État islamique. Accompagnée des membres de la famille, d’un journaliste du Times et d’un vidéaste, la grand-mère a envoyé un long message, via skype, à Faiçal condamnant le terrorisme et le lavage du cerveau opérée sur sa petite-fille. Celui-ci a promis de ne jamais contacter Alex et s’est contenté de dire que l’offre du mariage n’était qu’une blague et qu’il ne faut pas croire tous ce qu’on diffusait à la télé.
La grand-mère d’Alex a changé les mots de passe de son email et comptes Twitter pour empêcher leur réutilisation. La famille a contacté également le Bureau Fédéral d’Investigation (FBI) qui a récupéré toutes les conversations électroniques menées depuis l’ordinateur d’Alex.
Alors que les grands-parents profitaient de leurs vacances au bord de la plage après cette dure épreuve, Alex a repris le contact avec Faiçal à travers le seul compte encore accessible. Ils continuent à s’écrire jusqu’à aujourd’hui.
(D'après le New York Times)
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