Lu pour vous - 31.03.2015
Maher Abderrahamane : « Journal d’un porteur de micro » ou les coulisses de l’info-télé avec humour
Le jeune lycéen qui, début des années 1970, avait proposé à Radio Sfax de déclamer des poèmes dans une émission littéraire ne savait pas qu’il mettait ainsi le pied à l’étrier dans l'univers médiatique qui deviendra le sien. Encore moins de devenir le patron de la plus grande maison de production en Afrique du Nord pour de prestigieuses chaînes télévisées arabes et de par le monde. Après une brillante carrière de rédacteur-en-chef du journal télévisé de la chaîne publique tunisienne et de MBC à Londres. C’est toute cette saga que nous restitue, avec réelle modestie, Maher Abderrahamane dans ses mémoires publiées sous le titre de « Journal d’un porteur de micro, carnets de secrets de la politique dans les coulisses des médias ».
« Porteur de micro », il emprunte l’expression à son père, Si Hédi, officier de la Marine nationale, très respecté qui acceptait mal que son fils se consacre à ce statut, à l’issue de studieuses études. Mais, Maher, en a fait un crédo, pour rapporter fidèlement ce qu’il recueille, quitte à l’analyser en profondeur et le commenter en toute liberté. De cette éthique professionnelle, à l’écart de tout copinage avec les grands qu’il fréquente et toute compromission politique, il en a fait une ligne de conduite absolue. Juriste et journaliste diplômé de l’IPSI, il sera rapidement sollicité par la télévision tunisienne. Et c’est parti pour une histoire d’amour cathodique qui s’avive chaque jour davantage et surtout se réinvente.
Son témoignage sera alors exceptionnel. Comment fonctionnait cette télévision tunisienne, officielle, lourde, institutionnelle, totalement soumise au pouvoir ? Et surtout, son journal télévisé. Maher Abderrahmane se trouvera confronté aux aléas si contraignants, au gré des époques et des petits chefs. Il le racontera avec beaucoup d’humour, rapportant des scènes cocasses comme celle de cet ouvrier promu « coordinateur techniques des équipes chargées de la couverture des déplacements de l’ancien premier ministre, Mohamed Mzali ». Voulant imposer son autorité lors d’un voyage officiel à Tokyo, devant les Japonais il a essayé de faire taire Maher qui parle anglais, pour baragouiner dans une gestuelle hilarante. La télé était alors « la ferme des petits chefs ».
L’auteur nous promène avec lui dans les coulisses des studios, lors de grands reportages et interviews et à travers les pratiques alors d’usage. Le décor change, lorsqu’il partira à Londres, rejoindre l’équipe fondatrice de la chaîne MBC. Certaines mentalités sont cependant les mêmes. Son récit nous fait découvrir la montée en puissance de cette chaîne panarabe pionnière, les secrets de sa réussite et ses fragilités.
Il finira par revenir en Tunisie et pensera alors à créer une maison de production pour fournir aux chaines télé la couverture de l’actualité, mais aussi les reportages et les documentaires qu’ils souhaitent avoir. Commencera alors pour lui une série de grandes batailles, contre l’administration qui ne reconnaissait pas le statut de cette activité, la censure, très lourde, et la concurrence sauvage. Son récit cela celui d’un pan de l’histoire de l’audiovisuel tunisien et arabe.
Maher Abderrahmane lève un coin de voile sur un évènement très significatif qu’il a toujours essayé de dépasser, sinon oublier. Un beau jour alors qu’il s’apprêtait à rentrer chez-lui, quartier Lafayette à Tunis, un individu se précipite sur lui pour le poignarder. Assassinant sur commande ? Mise en garde effrayante poussée à l’extrême ? Il retrouvera un jour son agresseur. Vous serez surpris de savoir de qui il s’agit. Il suffit de lire ce livre pour le savoir.
Ce qui est merveilleux dans ces mémoires, si bien écrites, ce sont les portraits différents patrons de la télévision tunisienne et la restitution des pratiques et de l’ambiance de l’époque.
Plus qu'un livre, un véritable film documentaire qui fait revivre un univers très atypique. Longtemps la Tunisie a été gouvernée par le Journal Télévisé. Y être ou ne pas y être... That's was the Question! A lire, à savourer.
Journal d’un porteur de micro
Carnets de secrets de la politique dans les coulisses des médias
de Maher Abderrahmane
Editions Spectrum, 382 pages, 17 DT.
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