Opinions - 09.02.2015

Lettre à Monsieur le Président de la République

Lettre à Monsieur le Président de la République

Monsieur le Président,

Le Journal le Monde titrait dans son éditorial du 24 Décembre 2014 «Démocratie, l’exemple vient de Tunisie». «La Tunisie vient de mener à bien, en quatre ans à peine, une transition démocratique qui fait, dores et déjà, figure de modèle, hélas trop unique», ajoute le journal. Le monde entier fait l’éloge de la Tunisie et bien évidemment nous en sommes fiers.

Monsieur le Président, 

Organiser des élections, les réussir sont, aujourd’hui, des paris gagnés par la Tunisie. Mais bien du chemin reste à faire pour ancrer cette démocratie dans les mœurs, les mentalités, les gênes des Tunisiennes et des Tunisiens.

J’en ai fait l’amère expérience en déposant une demande d’équivalence d’un baccalauréat français obtenu en Juin 2010 à Tunis, au Ministère de l’Enseignement Supérieur. Ce que je pensais naïvement être une simple formalité susceptible d’être réglée en cinq minutes s’est avéré un parcours d’obstacles semé d’embûches.

Monsieur le Président, 

La responsable des Equivalences au Ministère de l’Enseignement Supérieur demande pour traiter la demande que je produise, le ridicule ne tue pas, l’intégralité de mon ADN éducatif, du primaire au lycée, en passant par le collège, avec à l’appui le livret scolaire, les bulletins scolaires, le baccalauréat, le bulletin de notes du baccalauréat, le tout en copies conformes à l’original, s’il vous plait, ainsi qu’une copie de la carte d’identité nationale.

Que de papiers demandés pour une simple équivalence d’un baccalauréat, pourtant mondialement reconnu !!! Quel gâchis, Monsieur le Président, et que de temps et d’argent perdus par l’administration et le citoyen à la recherche d’archives, sans intérêt, là ou seul une copie du baccalauréat suffirait !!! L’administration croule déjà sous des tonnes de papier et elle en voudrait accumuler d’autres, à l’ère où nous voulons projeter la Tunisie à l’ère du numérique et du zéro papier. Mais que ferait alors un autodictate ayant passé et réussi son baccalauréat pour justifier un parcours scolaire qu’il n’a jamais eu? Ou un prodige ayant réussi son baccalauréat à 13 ans, après avoir sauté quelques classes au passage? A toutes ces questions, Madame la Responsable des Equivalences devrait nous apporter des réponses pour éclairer notre lanterne et réaliser par elle-même que tous les papiers demandés ne se justifient tout simplement pas.

Monsieur le Président, 

Dans un pays démocratique, l’administration est supposée être au service du citoyen. Telle ne semble pas être la compréhension de l’administration qui n’est pas à la recherche de solutions pour faciliter notre vie,  mais plutôt à la recherche d’explications supposées légales, pour justifier le motif du rejet de la demande. Une demande que je pensais anodine puisque mon baccalauréat était de fait reconnu par l’administration tunisienne car comme tout tunisien ayant obtenu un baccalauréat français en Tunisie, j’ai été orienté à l’université publique, à l’ISG. Mais j’ai préféré partir pendant deux années aux Etats Unis, où l’université américaine elle a reconnu ce diplôme, sans difficulté aucune et sans demander d’équivalence.

Monsieur le Président, 

Cet exemple, parmi tant d’autres, des milliers je suppose, montre la lourdeur administrative, ses excès et la profondeur du travail à accomplir en matière de réformes et de simplifications administratives. L’administration doit évoluer, si nous voulons que la Tunisie devienne un site attractif, attirer des investissements étrangers. Un long travail nous attend, pour que les mentalités et la culture de l’administration évoluent.

Le changement de culture, Monsieur le Président, ne s’opérera pas du jour au lendemain. L’administration qui compte aujourd’hui 600 mille fonctionnaires, 1 fonctionnaire pour 18 habitants, a besoin d’être dégraissée, professionnalisée, réformée pour répondre aux besoins du développement du pays. Le maigre budget de la Tunisie (29.000MD), à peine le chiffre d’affaires de la Française des Jeux, est consommé aux 2/5 par les salaires des fonctionnaires (11.000MD), sans efficience, au détriment de l’investissement, créateur d’emplois pour notre jeunesse au chômage qui a réellement besoin d’un travail productif pour retrouver sa dignité.

Monsieur le Président, 

Je souhaite par cette lettre interpeler Madame la Responsable des Equivalences au Ministère de l’Enseignement Supérieur pour qu’elle sache, que nous,en notre qualité de générations futures appelés à payer demain l’endettement actuel de la Tunisie et nos parents en leur qualité de contribuables sommes en réalité ses vrais employeurs. Que nous ne sommes pas des sujets à sa merci qui doivent subir, avec résignation son diktat, sa rigidité, sa résistance au changement, mais des citoyens à part entière, redevables de respect.

Monsieur le Président, 

Je finirai cette lettre par un clin d’œil à l’Etat Français, qui me semble t-il, serait tout simplement offusqué et indigné par le sort réservé par l’Administration Tunisienne à son baccalauréat. Comme quoi, même un fonctionnaire, peut, sans forcément le savoir,  nuire à des relations séculaires entre deux pays ayant des intérêts communs. De Gaulle ne disait-il pas que la France n’a pas d’amis mais des intérêts ?

Monsieur le Président, 

Merci d’avoir pris le temps de lire cette lettre et de bien vouloir trouver des solutions pour des milliers de jeunes tunisiennes et tunisiens titulaires de diplômes étrangers ainsi que des milliers d’africaines et d’africains qui sont venus chercher le savoir en Tunisie et qui doivent subir ce même diktat. Pour ma part, j’ai fini par abandonner la partie, devant une administration si puissante, et je me suis dit, tout compte fait, que je pourrai bien vivre sans équivalence, puisque je compte poursuivre mes études à l’étranger. Et que d’ici là, l’administration tunisienne évoluera, deviendra moins tatillonne, auquel cas je redéposerai une demande dans ce sens. Il faut donner du temps au temps disait si bien Cervantès, une formule reprise à son compte par le Président Français, François Mitterrand. Je vous prie de croire, Monsieur le Président, en l’expression de ma parfaite considération et de mes profonds respects.  

 
Khaled Jaoua
Citoyen Tunisien
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7 Commentaires
Les Commentaires
M - 09-02-2015 18:18

Cette lettre mérite le soutien de tous les usages de l'Administration, la mère despotique des tunisiens

ammou - 09-02-2015 19:08

on pourrait reconnaître à l'administration le droit de s'assurer de l'absence de toute fraude ou falsification mais cela ne justifierait nullement une procédure faramineuse comme décrite dans la lettre. Je m'interroge sur la situation de nombreux tunisiens inscrits dans des établissements français de Tunisie et qui de cette façon renonceraient à poursuivre leurs études supérieures en Tunisie. Le département de l'enseignement supérieur se doit de réviser les procédures et de les simplifier en accélérant l'obtention des équivalences!

Mahfoudi Nael - 09-02-2015 19:47

Bravo à Monsieur Jaoua Khaled.

T.B. - 09-02-2015 22:09

Je vous donne parfaitement raison et j´en ai connu des cas pareils et j´ai meme tiré les memes conséquences et je cherché moi-mêm une autre solution.Il faut rappeler que cette lourdeur de l´administration tunienne date du temps de Bouguiba. J´ai déjâ pensé que c´est mettre le baton dans la roue de l´individu et que c´est de l´egoisme le plus vulgaire. En effet ses pratiques n´existent pas en Occident parceque ca n´a pa d´importance et aussi l´individu est libre¨depuis longtemps. Ailleurs dans ce magazine, on presente des ministers en effervescense mais seulement charnel et corporel, rien de spirituel, l´âme n´y ai pas là. Il faut d´autes hommes et non pas seulement donner du temps au temps. On a passé trop de temps mais on a pas pensé au sevice publique , être au service du people. Les fontionnaires tunisiens veulent le beurre et le prix du beurre.

JAZIRI Abdelhamid - 10-02-2015 07:56

Merci Khaled d'avoir si bien écrit cet article qui touche un problème de fond qui mérite beaucoup d'intérêt. La société civile doit faire valoir ses droits et lutter contre la latence administrative qui bloque énormément les jeunes talents et porte préjudice à notre économie.

mami leila - 13-02-2015 18:04

Effectivement , ce citoyen a raison , nous devons moderniser nos systèmes administratifs, nous devons faciliter les démarches de nos citoyens dans tous les domaines, nous devons apporter de l'aide aux jeunes entrepreneurs , nous devons alléger les conditions d'octroi des autorisations de tous genres y compris pour les permis de conduire, nous devons insuffler un nouvel air de liberté et de démocratie dans la vie quotidienne de nos citoyens et donc nous devons dépoussiérer les placards d'un autre temps pour pouvoir entrer dans lère du numérique , la tête haute et la vision claire .

Mbarek Souha - 14-02-2015 21:06

merci pour cette lettre Mon fils a eu le même problème. Baccalauréat 2011. Il a suivi des cours par correspondances de la seconde a la terminale (cned). Trois ans à la maison à étudier tout seul. Il a eu le mérite et je dis bien le mérite d'avoir son bac sans aucune option ni 25°/°. Il n'a même pas eu droit à une orientation. La seule solution trouvée par Madame la Responsable des équivalences était: il faut qu'il repasse le bac tunisien. Je l'ai regardée bien en face,plein dans les yeux et tournais mes talons. Je n'avais plus rien a faire dans ce ministère!

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