News - 11.12.2014
Habib Kazdaghli fait Docteur Honoris Causa par l'Université de Nanterre: Nul n'est prophète en son pays
L’Université de Nanterre décernera au Doyen de la Faculté des lettres, des arts et des humanités de la Manouba, Habib Kazdaghli, le titre honorifique de docteur Honoris Causa. Cette éminente distinction lui sera remise, à l’occasion de la clôture des festivités marquant le cinquantième anniversaire de cette prestigieuse institution, au cours d’une cérémonie solennelle organisée pendant l’après-midi du jeudi 11 décembre 2014.
L’attribution symbolique, par cette prestigieuse université, au Doyen Habib Kazdaghli du plus haut grade universitaire est une reconnaissance publique, à l’échelle internationale, de son implication exceptionnelle, durant toute sa carrière, dans la défense du savoir, de l’université et des libertés académiques.
Elle met en exergue son attachement indéfectible à la stricte observance des règles académiques, à la liberté d’expression, de recherche et d’enseignement qu’il a défendues avec beaucoup d’acharnement, particulièrement pendant l’année universitaire 2011-2012, lorsque des groupuscules salafistes les ont violées à l’occasion de ce qu’ils ont appelé d’une manière grotesque « la ghazoua de la Manouba », par référence aux conquêtes musulmanes, dans une vaine tentative d’asservissement des normes académiques à leurs croyances religieuses sectaires.
L’université de Nanterre est tellement admirative du combat du doyen qu’elle insiste, dans la notice biographique qui le présente, sur cet épisode emblématique se son parcours, sur son courage à défendre ses convictions et ses positions, sur sa résistance face aux salafistes : « Défenseur convaincu de la laïcité, attaché à la tolérance et la liberté académique de l’enseignement, il est régulièrement attaqué depuis 2011 par des mouvements salafistes radicaux et traduit devant des tribunaux pour des procès qui suscitent l’émotion à l’échelle internationale. Soutenu par le Conseil Scientifique de son université et la communauté universitaire de son pays, il se bat pour la défense des valeurs fondamentales universitaires et intellectuelles et le maintien d’une éducation laïque ».
Cette reconnaissance a d’autant plus de valeur et elle est d’autant plus significative qu’elle intervient à un moment historique de la vie de l’université parisienne, la célébration de son cinquantième anniversaire, et que les autres récipiendaires du doctorat sont d’illustres personnalités représentatives de la fine fleur des universitaires de par le monde, choisis par le comité de sélection pour avoir rendu d’éminents services à l’université et à la société, à l’image de l’américaine Angela Davis, professeur émérite de philosophie, figure de proue du mouvement américain des droits civiques dont le combat, pendant les années 70, a passionné et ému le le monde entier.
Dans cette pléiade de récipiendaires valeureux figurent l’argentine d’Elizabeth Jelin, sociologue de renom dont la recherche s’est portée sur les questions de la citoyenneté, des droits de l’homme, de la répression politique et des mouvements sociaux, et le brésilien Eduardo Viveiros de Castro, ethnologue américaniste, spécialiste de l’espace amazonien et récipiendaire de nombreux prix pour son travail académique. Ils sont tous perçus comme des parangons de l’abnégation et du dévouement au service de la science.
Daniel Cohn-Bendit, emblème de la Révolution de mai 68, franco-allemand et député européen, élu tantôt sur des listes françaises et tantôt sur des listes allemandes pour marquer sa foi dans la réussite de la construction européenne et dont le nom a été lié à l’histoire de l’université de Nanterre, en raison de son rôle d’éminence grise et d’organisateur de l’occupation en 1968 de sa tour administrative, n’est pas un universitaire. Il se distingue, dans ce groupe, par sa qualité d’ancien étudiant de Nanterre et de membre, depuis 2012, du conseil d’administration de cette université, comme personnalité extérieure.
Les corécipiendaires du doctorat partagent avec le doyen de la Manouba l’idée que l’université est « un lieu où l’intelligence critique n’est pas séparée du souci de l’autre, un lieu ouvert sur la société » pour reprendre la formule utilisée par les organisateurs de la cérémonie. Ils sont, pour la plupart, à l’image de l’historien tunisien, à la fois des militants politiques, des militants des droits de l’homme et des personnalités de gauche, soucieuses de défendre les libertés, la démocratie, l’égalité des chances et la justice sociale.
Il est édifiant de constater, à la faveur de la décoration de Nanterre, à quel point le combat des enseignants de la Manouba et de leur doyen a marqué les esprits des universitaires dans le monde entier et particulièrement en Europe. La mère des batailles, menée à la Manouba, a empêché la faculté de la Manouba de se transformer en Manoubistan. Elle a donné le la au mouvement de résistance menée par la société civile et les démocrates du pays pour que la Tunisie ne devienne pas un Tunistan. La communauté universitaire internationale l’a admirablement compris.
L’attribution au Doyen Habib Kazdaghli du prix du courage de penser décerné par le réseau Scholars At Risk (SAR ) en avril dernier, tout comme la décoration du Patriarche d’Alexandrie et de toute l’Afrique, en témoignent, sans compter l’intérêt suscité chez des centaines de collègues , en France, en Belgique, au Canada et même aux Etats-Unis pour mes Chroniques du Manoubistan qui ont immortalisé la résistance héroïque de la Manouba et celle de son doyen.
Mais l’université tunisienne est curieusement et vraisemblablement, pour des raisons de politique politicienne, aux abonnés absents. Elle est indifférente à ces consécrations qui n’honorent pas seulement leur bénéficiaire mais toute la Tunisie. Elle ne compte pas, à ma connaissance, exprimer sa gratitude à l’un de ses plus illustres représentants pour l’œuvre exceptionnelle accomplie. Nul n’est prophète en son pays. Le Doyen Habib Kazdaghli le vérifie à ses dépens.
Habib Mellakh
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