Notes & Docs - 08.10.2014

Le secteur des assurances en Tunisie face à l'impératif d'un contrat programme

Le secteur d’assurance est l’un des éléments fondamentaux dans le financement de l’économie tunisienne et contribue à l’effort de l’Etat pour soutenir le développement du pays. Je tiens à rappeler que l’année 2011 qui a été très difficile pour le pays et ce sont les compagnies d’assurances qui ont dédommagé les entreprises qui ont été touchées au cours des événements de la révolution par suite des incendie et des pillages.

Les compagnies avaient honoré leurs engagements en dédommageant plus de 80% de ces entreprises qui disposent d’une couverture d’assurance. L’avènement de la révolution nous a permis d’identifier une sous assurance de la plupart des entreprises tunisiennes, puisque l’assurance est un acte volontaire basé sur la déclaration.

Cet avènement aurait dû déboucher sur une réaction positive importante de la part des entreprises industrielles, PME&PMI pour prendre conscience qu’il faut couvrir leurs moyens de production et leurs équipements.

Il y a lieu aussi, de mettre en exergue la solidité financière des compagnies d’assurances en Tunisie. Etant donné la sévérité des sinistres et l’importance de dommage, certaines compagnies auraient rapidement disparu du marché après la révolution. Heureusement, nos compagnies ont su mettre en place des plans de réassurances, sachant qu’à chaque acte d’assurance directe, il y a un ou plusieurs réassureurs et nous pouvons dire que la solidarité internationale a soutenu le marché tunisien, considéré comme un marché porteur.

I-Etat des lieux du secteur des assurances

Le secteur de l'assurance en Tunisie souffre de plusieurs carences dont principalement la faible pénétration dans l'économie nationale, la faible densité et le rôle modeste dans la mobilisation de l'épargne en plus du déficit structurel persistant de certaines branches d'activité, essentiellement l’assurance automobile.

Les faiblesses du secteur sont illustréesà travers certains indicateurs liés àsa position macroéconomique, sa densité, et la structure du marché de l'assurance en Tunisie,

§ Position macroéconomique du secteur des assurances en Tunisie

Les deux indicateurs habituellement utilisés pour apprécier la position macroéconomique du secteur sont :

1-Le taux de pénétration

Cet indicateur fait référence au rapport entre le chiffre d’affaires global hors « acceptations internationales » et le PIB. Plus particulièrement, c’est la part du PIB qui sera allouée à l’achat du produit assurance.

Le Produit Intérieur Brut tunisien (à prix courant) a évolué de 6,7 % entre 2009 et 2013 alors que la croissance de la production du secteur des assurances a connu un rythme plus accéléré de 7,7 %. Ce différentiel de croissance a induit, par conséquent à une petite amélioration du taux de pénétration qui est passé de 1,8 % en 2009 à 1,9 % en 2013. Cette légère progression laisse entière la problématique des performances du secteur à l'origine de la stagnation autour de 1,9% contre une moyenne mondiale de 7,5%.

Reste à préciser que le marché demeure influencé par la branche automobile qui génère en moyenne 45% des primes et dont le chiffre d’affaires progresse selon un rythme supérieur à la moyenne du secteur (une croissance annuelle moyenne de 8,4 %  pour même la période).

Quant à l’assurance vie, sa part dans le marché est en amélioration continue mais elle reste encore modeste (seulement 15,6 %).

En tant qu’investisseur institutionnel, les placements cumulés du secteur en 2013 ont atteint 3.420 MD progressant ainsi de 9,7 % par rapport à 2012.

2-La densité d’assurance

De façon similaire, la croissance de la production d'assurance (8,3 % en 2013) étant plus élevée que celle de la population totale (1,1%), induit à une progression de la densité d'assurance (production d'assurance rapportée à la population totale).

Ainsi la densité est passée de 98,3 dinars par habitant en 2009 à 128,2 dinars par habitant en 2013 (soit 79,1 $), soit une augmentation moyenne annuelle de 6,6 %. Cette prime moyenne par habitant n'a cessé de croître durant les trois dernières années. Elle comporte une part importante afférente à l'assurance automobile dont la prime moyenne par habitant est de 45,5 DT en 2009 contre 57,7 DT en 2013 et 54,5 DT en 2012.
 
Malgré cette évolution, le niveau de la densité des assurances en Tunisie reste très faible comparé à la moyenne mondiale qui est de 652 dollars (1050 DT) en 2013. Par rapport aux pays développés, la Tunisie reste très éloignée puisque la moyenne des primes par habitant s'élève à 7701 $ en Suisse,4561 $ en Grande Bretagne, 3979$ aux Etats Unis et 3736 $ en France.

Même par rapport à d'autres économies émergentes la densité des assurances reste peu élevée en Tunisie, à titre d'exemple (443 $) au Brésil,(341 $) au Liban, (223 $)au Mexique, et (166 $) en Turquie,etc.

§ Structure du marché

En Tunisie, les 23 compagnies d’assurance qui existent sont réparties comme suit :

  • 13 compagnies sont engagées dans des branches multiples
  • 10 compagnies spécialisées: cinq (05) sont spécialisées en assurance vie, trois (03) en assurance Takaful, une en assurance exportation et assurance crédit et une en réassurance.

Les compagnies se répartissent en 18 sociétés anonymes, quatre assurances mutuelles.

A la fin de l’année 2013, le total des actifs financiers des assureurs tunisiens s’élevait à3421 MDT soit 4,5 % du PIB (progressant ainsi de 9,7 % par rapport à 2012).

Les placements en titres à revenus fixes prédominent atteignant en 2013 un niveau de 1.709 MD et représentant ainsi une part d’environ 50 %. Les placements en actions viennent en 2ème  position  avec  une  part  de  22,8 %, dont et les placements monétaires en 3ème  position  avec  une  part  de 15,7 %. Sachant que les placements en actions cotées en bourse ne représentent que 10,7%.

Le secteur des assurances en tant que composante du tissu financier, a bénéficié d’un courant réformateur qui a également englobé tout le domaine financier. Les réformes qui ont été entreprises depuis l’année 2000 en faveur du secteur des assurances en Tunisie ont été axées sur : l’assainissement de la situation financière des entreprises d’assurances, l’actualisation du cadre législatif et réglementaire, le développement des assurances sous-exploitées (assurance vie, assurance agricole…), la réforme des principaux régimes d’assurances, la mise à niveau des compagnies d’assurance, l’ouverture progressive du secteur à la concurrence et l’amélioration de l’environnement par l’incorporation de nouvelles dispositions et ce en vue d’améliorer la compétitivité des entreprises, la qualité des prestations d’assurances et de mettre le secteur à niveau équivalent des standards internationaux.

Permettez-moi, à cette occasion, de rappeler les principales réformes qu’a connues le secteur:

II- Principales réformes entamées depuisl’an 2000

1- L'actualisation du cadre légal et prudentiel

  • Le renforcement du rôle de l’Autorité de Contrôle par la création du Comité Général des Assurances doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière, la levée de la restriction à la participation majoritaire des investisseurs étrangers au capital des sociétés d’assurances en les soumettent aux mêmes conditions d’agrément applicables aux apporteurs de capitaux nationaux. 
  • L’élargissement des canaux de distribution des produits d’assurances à travers l’autorisation de la bancassurance et la post-assurance,
  • Le renforcement des droits des assurés vie en leur attribuant un super privilège sur les créances des entreprises d’assurances.
  • L'adaptation des règles prudentielles avec les normes internationales au niveau des modalités de calcul de la marge de solvabilité,
  • La consolidation de l'assise financière des compagnies d'assurances et son harmonisation avec le contexte du marché et ce à travers le triplement du capital minimum des sociétés d'assurances;
  • Le renforcement des règles de gouvernance, à travers le contrôle préalable de tous les changements dans la structure du capital des entreprises d’assurance et de réassurance ; tous les changements dans les structures de gouvernance et de gestion, ainsi que toutes les acquisitions qui conduisent à la possession de certains pourcentages du capital dépassant les seuils fixés par le code des assurances.
  • La mise en place, d’une norme comptable spécifique au secteur;

2- La réforme de l'assurance automobile (Loi du 15 Août 2005)

En effet, de part ses implications sociales, la branche automobile conditionne à la fois le sort et l’image de marque du secteur des assurances en Tunisie puisqu’elle accapare plus que 45% du chiffre d'affaires global du marché.

C’est dans ce sens que s’est inscrit la réforme de l'assurance automobile qui a porté sur la refonte du système d’indemnisation des victimes des accidents de la circulation en vue d’améliorer le service et de parvenir à rétablir l'équilibre financier de cette branche se basant sur le principe de la responsabilité objective, la barémisation pour les indemnisations des dommages corporels et la mise en place des procédures de transactions amiables.

Néanmoins, et malgré toutes les réformes sus indiquées et les efforts déployées par les pouvoirs publics pour le renforcement du secteur des assurances tant au niveau quantitatif que qualitatif, ce secteur reste caractérisé par des insuffisances tant sur le plan réglementaire, institutionnel qu’organisationnel, on peut citer à ce titre notamment:

  • La taille modeste de la plupart des compagnies du secteur ainsi que le nombre important des compagnies en exercice en comparaison avec la taille du marché,
  • Les difficultés financières de quelques compagnies de la place qui influent négativement le comportement général du marché et nuit à son image de marque,
  • La qualité des services rendus reste en deçà des attentes des assurés et despouvoirs publics,
  • Le faible taux de couverture des assurances à caractère obligatoires,
  • Le déficit chronique de la branche RC automobile qui accentue les difficultés du secteur et son rendement. En effet,l’assurance automobile, qui est largement prépondérante (45% du chiffre d’affaires), est structurellement déséquilibrée par le nombre incroyablement élevé des accidents de la route, une fraude endémique et un dumping permanent de certaines compagnies
  • La prévention routière ne joue pas son rôle : La Tunisie fait partie des pays où la sinistralité routière est élevée. Les actions de prévention routière sont inefficaces et la protection civile est insuffisante: la Tunisie dénombre 303 morts pour 100 000 véhicules lorsque la France en compte 9,6.
  • Les mauvaises pratiques de certaines compagnies ont permis l’émergence d’un petit groupe de mauvais conducteurs qui, par leurs comportements sur les routes ou dans la fraude à l’assurance, pénalisent tout le pays ;
  • Le déséquilibre structurel de l’assurance automobile gangrène tout le secteur, en fragilisant financièrement les compagnies, et en limitant le succès des autres branches (incendie, assurance vie, etc.) ;
  • Les insuffisances constatées quand aux systèmes d’information des compagnies d’assurance et leurs retombées sur la qualité de l’information et le développement du secteur,
  • Un système de gouvernance inexistant ou confus,

3- La nécessité d’une réforme en profondeur pour permettre le développement du secteur

Je rappelle que plusieurs tentatives, visant la mise à niveau et la refonte du secteur des assurances en Tunisie, ont déjà été menées depuis plusieurs années et que plusieurs efforts ont été déployés pour l’amélioration quantitative et qualitative de ce secteur, néanmoins plusieurs domaines liés à la gouvernance, la gestion des risques l’amélioration de la qualité de l’information et des services méritent d’être davantage maîtrisés et développés.

En effet, il demeure évident que l'entreprise d'assurance pour qu'elle puisse gagner la confiance de l’ensemble des « stakeholders » (Autorité de régulation, clients assurés, réassureurs, personnel, etc…) doit en premier lieu, respecter ses engagements, moderniser ses méthodes de gestion, renforcer ses assises financières, maîtriser son savoir faire technique et financier, et améliorer ses prestations et les adapter constamment aux besoins de sa clientèle.

La réforme en cours constitueraainsi la touche nécessaire quicomplète l'ensemble des actions entreprises jusqu’ici, d’une part, et garantira la survie de ce secteur face à la concurrence étrangère lors de l'ouverture prochaine des services, d’autre part.

De leur part, les métiers liés à l’assurance tels que les intermédiaires d’assurances (agents et coutiers), les experts et les commissaires d’avaries, et les actuaires sont dans l’obligation de se mettre à niveau pour renforcer la qualité des services fournis à la fois aux assurés qu’aux compagnies d’assurances par la mise en place des cycles de formation, des codes déontologiques, et des règles de conduite.

La FTUSA est elle aussi dans la nécessité de se réorganiser et de se doter des moyens humains et financiers de façon à ce qu’elle sera dans la mesure de jouer son rôle primordial dans le développement du secteur et la mise en place d’une base de données sectorielle qui permet l’échange de l’information et la lutte contre les pratiques illégales.

De sa part, le CGA ne doit pas être à l’abri de ce courant réformateur, puisqu’il est appelé aussi à renforcer ses moyens humains et matériels et se doter notamment d’un système d’information moderne, de poursuivre l’actualisation de la réglementation au vu des standards et normes internationales, de veiller au respect des assurances obligatoires, de développer les branches sous exploitées, de poursuivre l’amélioration de la qualité des services rendus aux assurés et de garantir la solvabilité du secteur.

A cet égard, un vaste et ambitieux programme de réforme en profondeur est en cours d’élaboration dans le cadre de l’étude relative au contrat programme et qui s’articule essentiellement autour de l’amélioration des indicateurs du secteur etl’amélioration des prestationset services surtout au niveau de la conception des produits d’assurance et le raccourcissement des délais d’indemnisation, la modernisation des méthodes de gestion internes des compagnies d’assurances et enfin le développement de la pénétration du secteur dans l’économie nationale.

C’est en fait une véritable réforme pour ouvrir les horizons aux professionnels, mais également une voie pour améliorer la compétitivité des entreprises et promouvoir leur productivité. C’est pourquoi, nous estimons que dans quelques années, on aura un marché qui sera consolidé et qui fera date dans l’histoire économique du pays, compte tenu de son rôle au niveau du financement de l’économie.

Nous sommes confiants que le secteur des assurances augure de bonnes perspectives d'évolution dans les années à venir et la volonté qui nous anime tous pour le développement du secteur des assurances garantira un avenir prometteur pour le secteur au vu de ces potentialités.

Encore une fois, je voudrais réitérer mes remerciements aux professionnels pour leur implication dans ce projet quinquennal de réforme structurelle qui est à l’heure d’aujourd’hui au centre d’intérêt de tout les composantes du secteur et qui reflète aussi bien le souci que l’intérêt que porte tous les présents à ce projet.

Hafedh Gharbi
Président du Comité Général des Assurances (CGA)

Allocution introductive de l’atelier de présentation des mesures phares du Contrat Programme organisé le mercredi 8 octobre 2014 au siège de l'IACE

Tags : comit  
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