Opinions - 03.02.2014

Les instances se succèdent et dans la philosophie de leurs créations se ressemblent

Le rythme s’accélère dans la mise en place des instances ! Après l’ISIE, deux instances sont en passe d’être créées: l’instance de la vérité et de la dignité et  l’instance de prévention de la torture.

L’instance de la vérité et de la dignité (loi 53 de 2013 en date du 24 Décembre 2013) sera en charge de la justice transitionnelle; elle se composera de 15 membres. Son mandat est de 4 ans et pourra être étendu à 8 ans pour lui permettre de clôturer ses travaux. Quant à l’instance de prévention de la torture (loi 43 de 2013 en date du 21 Octobre 2013), c’est une instance permanente qui comptera 16 membres. Son mandat de 6 ans est unique et un renouvellement de la moitié de ses membres est effectué à mi-parcours.

A la lecture de ces lois, on peut y voir des améliorations liées aux critiques faites  par la société civile en marge de la mise en place de l’ISIE; par exemple l’obligation de présenter le curriculum vitae parmi les pièces du dossier de candidature. Alors que pour l’ISIE et même pour l’instance de prévention de la torture le CV était facultatif, dans la loi de l’instance de la vérité et de la dignité le CV est exigé. Cela est à saluer car il est inconcevable qu’à l’heure ou même pour un travail saisonnier le CV est réclamé, il ne l’était pas pour la candidature aux instances constitutionnelles et pour les hautes fonctions de l’état.  Un autre exemple est le bulletin n°3 qui n’était pas réclamé avant l’opération de tri, la loi se contentait à défaut du récépissé. Cela a changé et à présent le B3 est exigé à ceux et celles qui ont déposé avec le récépissé.

Comme pour l’ISIE, nous prévoyons un marchandage politique dans le choix des membres de ces instances! En effet les lois énoncent ce qu’il faut pour candidater mais ne donnent pas d’indications sur ce que vont être les critères de choix selon lesquels les candidatures  seront triées. Qu’est ce qui va permettre alors de cribler les candidatures pour n’en retenir que les meilleures? Comment faire la différence entre les candidats en l’absence de critères? On nagera donc dans le subjectif et c’est la porte ouverte aux choix politisés imposés par la commission de tri ou par le vote de la majorité en plénière.

Le choix des membres de l’instance de prévention de la torture sera effectué en plénière  parmi les candidatures proposées par la commission de tri (qui n’est autre que la commission des droits et des libertés). La liste des candidats est présentée à l’assemblée par ordre alphabétique. Les heureux candidats seront retenus à la majorité absolue des voix des constituants. La commission de tri aura au préalable choisie les candidats de la liste au 3/5 des voix de ses membres. Le président de l’instance sera désigné par consensus au sein de l’instance elle-même et en absence de consensus, élu à la majorité absolue. Pour le tri des candidatures des membres de l’instance de la vérité et de la dignité, une commission spéciale est créée qui est composée à la proportionnelle en fonction de la taille des groupes parlementaires et du nombre des indépendants. Cette commission aura la tache de présenter une composition consensuelle de l’instance à l’assemblée pour approbation en plénière à la majorité des présents. En l’absence de consensus au sein de la commission de tri, la tâche revient à l’assemblée de faire le choix à la majorité des 3/5 en deux tours et à défaut à la majorité absolue. La encore, le président de la dite instance est élu parmi ses paires. 

La question qui m’interpelle ici,  pourquoi ce privilège accordé à ces instances d’élire elles-mêmes leurs présidents que l’on a dénié à l’ISIE?

La loi 53 de 2013 en date du 24 Décembre 2013 pour la création de l’instance de la vérité et de la dignité laisse voir la détermination des constituants à enlever au tribunal administratif le  contrôle sur la composition de l’instance (article 25) confirmant ainsi l’argument que le choix sera politisé et subjectif ne répondant pas à des critères tangibles.

Intégrité, Indépendance et neutralité

Dans toutes les lois, y compris celle de l’ISIE, on retrouve les conditions d’éligibilité : intégrité, indépendance et neutralité. Il est demandé au candidat un engagement sur l’honneur disant qu’il est intègre, neutre et indépendant. Mais un candidat peut-il s’autoproclamer neutre et intègre? Si la condition d’indépendance vis-à-vis des partis politiques peut être confirmée ou infirmée par une carte d’adhésion, comment peut-on se prévaloir d’une intégrité et d’une neutralité? Des attestions ou diplômes sont-ils fournis par des institutions pour appuyer cela?  L’intégrité et la neutralité se mesurent dans la pratique; le plus judicieux aurait été de demander au candidat un engagement sur l’honneur d’être dans ses  travaux au sein de cette instance neutre et intègre.
Dans la loi de création de l’instance de la vérité et de la dignité,  j’ai noté que l’exigence d’indépendance du candidat (article 21) est accompagnée de la condition «ne pas être responsable dans un parti politique» (article.  22). Mais, la première condition n’englobe t-elle pas la seconde?  Etre indépendant n’implique t-il pas ne pas être militant et donc de surcroit ne pas être responsable dans un parti ? Si cela n’est pas vrai, alors il faudra que nos constituants nous éclairent sur la définition qu’ils donnent à l’indépendance !

Parité

Alors que la constitution, par son article 46, énonce le principe de la parité dans les assemblées élues,  les lois des instances n’instaurent que la parité dans la candidature (cas de l’instance de prévention de la torture) et un quota minimal de 1/3 pour le genre minoritaire (cas de l’instance de la vérité et de la dignité). Ces lois ne sont pas au diapason de la constitution et il est demandé de les réformer dès à présent sans attendre la fin du mandat ni le renouvellement partiel de ces instances.

Par ailleurs et en ce qui concerne l’instance de prévention de la torture, je vois mal comment nos constituants vont pouvoir asseoir la parité dans les candidatures pour les membres experts de la protection de l'enfance et les médecins quand ils les ont inscrit avec une représentation à chiffre impair 3 et 9 (voir article 7) ? Cette coquille est également à corriger.

Exclusion d’une frange de la population

Toutes les lois y compris celle de l’ISIE sont dans l’exclusion du droit de participation aux instances, des personnes ayant servi au RCD et ayant appelées à la candidature de Ben Ali aux élections. Cette exclusion prive de leurs droits les personnes qui ne se sont pas rendues  coupables de corruption ou dépassements et apparait comme une punition collective ; cela  est contraire aux droits de l’Homme ! Il est à noter que cette restriction n’est pas inscrite en disposition provisoire et instaure le principe de la punition permanente. Veut-on faire de ces personnes des sous-citoyens? La justice transitionnelle n’est certes pas effective aujourd’hui mais pour le renouvellement des instances dans 2,4, 6 ans, ne le sera-t-elle pas non plus? A cette date, on devrait être dans la réconciliation nationale pas encore dans la stigmatisation. Par ailleurs, ces restrictions ne sont-elles pas contraires à notre constitution qui stipule que la punition est individuelle, que les citoyens sont égaux en droits et que le droit de vote et de se porter candidats est donné à tous ?

Nihel Ben Amar
Docteur en Génie des Procédés Industriels
Maître de Conférences en Génie Chimique
Membre fondateur de l’Association Tunisienne de Défense des Valeurs Universitaires

Tags : ben ali   isie   politique   RCD  
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