News - 03.03.2013

Ali Larayedh aura-t-il la main plus heureuse?

Depuis des mois déjà, la rumeur le donnait comme successeur de Jebali à la Kasbah. Sans y avoir jamais songé ni sollicité, Ali Larayedh s’y voit porter par son destin. A 57 ans, cet ingénieur de la marine marchande, natif de Boughrara, tout près de Zarzis, et versé très jeune dans le mouvement islamiste,  a toujours cru en sa bonne étoile, même lorsqu’il fut, à 32 ans seulement, condamné à la peine capitale. Il s’en sortira au bout de 14 années  d’emprisonnement, d’épouvantables tortures et d’ignobles machinations.

Dès sa libération, il sera parmi les premiers dirigeants d’Ennahdha à amorcer le rapprochement avec les forces démocratiques, scellant l’accord du 18 octobre 2005. Puis, avec Hamadi Jebali, dès sa libération et les autres militants islamistes sortis de prison, il s’attellera à l’exercice collectif de l’évaluation critique, à la réorganisation du mouvement et à la prospective du nouveau programme. Le 14 janvier au matin, il était avec Jebali et d’autres militants sur l’avenue Bourguiba pour ne connaître, depuis lors, aucun répit. Chargé des structures, il ne pensait guère faire partie du gouvernement, après le 23 octobre et encore moins diriger le ministère de l’Intérieur, lui qui a bien connu cette maison, mais dans ses sinistres geôles et macabres salles de torture.

Les pieds sur la braise

Sa tâche de ministre n’y sera pas facile. Les pieds sur la braise, il aura connu toutes les épreuves. Taxé de laxisme envers les LPR lors de la manifestation du 9 avril 2012, et surtout lors de l’attaque de l’ambassade américaine, il reconnaît avoir agi au mieux, ne cachant pas toutes les contraintes et les difficultés. Combien de fois, le visage fermé et le cœur meurtri, il était venu annoncer à la presse la découverte d’une cellule de djihadistes liés à AQMI ou la saisie de grandes quantités d’armes de guerre.

Face à la violence salafiste, il avait affiché une ligne ferme – même s’il n’est jamais parvenu à l’appliquer totalement– qui lui a valu de sérieuses attaques du chef d’Ansar Echariaa, Abou Yadh. Dans sa tête, les choses sont claires : liberté de penser, mais zéro tolérance de l’extrémisme. Il le disait à Leaders,  au printemps dernier (Leaders N° 13, juin 2012): «Nous ne parrainons ni leur projet sociétal, ni leur vision, ni leur lecture et compréhension de la religion et ne recommandons rien qui puisse remettre en cause les fondements de la société, ses structures et ses pratiques démocratiques».

A l’épreuve des affrontements meurtriers, il sera conforté dans ses convictions et endossant l’habit d’homme d’Etat, il s’emploiera à favoriser autant que possible la patrie plutôt que le parti. Cela n’était guère facile. Ses détracteurs lui reprochent des nominations partisanes, l’utilisation de la chevrotine à Siliana, les dérapages commis par les prétendus protecteurs de la révolution, notamment leurs attaques contre les locaux de  l’UGTT et nombre de partis politiques. De larges franges de l’opposition ne gardent de son bilan que le passif, même s’il avait essayé de réduire au minimum les dégâts, comme affirment ses proches. Le concours d’Ennahdha lui sera déterminant.

Porté à la tête du gouvernement dans des circonstances exceptionnelles, Ali Larayedh se trouve en fait confronté à une mission de la plus grande importance: conduire la Tunisie, dans un climat de sécurité, à tenir les prochaines élections, libres et transparentes. Un double défi, politique et technique. Politique, parce qu’il s’agit à la fois d’imprimer à son gouvernement  la cohésion nécessaire pour le soustraire aux tiraillements internes et de réunir en sa  faveur l’appui politique le plus large possible pour lui permettre d’accomplir, sans parasitage ni torpillage, sa mission. Technique, et sans se faire d’illusion quant à la capacité d’engager en si peu de temps de grandes réformes ou de trancher dans de grands dossiers, il lui appartient d’assurer la gestion des affaires publiques et garantir la pérennité de l’Etat, en parant au plus urgent et en essayant, autant que faire se peut, de relancer l’activité économique et réduire la précarité. Ali Larayedh est bien conscient de ce qui l’attend. Son prédécesseur Hamadi Jebali avait fixé les repères et précisé les exigences : une visibilité très claire de l’agenda conduisant aux urnes, la neutralité des ministères régaliens, un appui ferme au gouvernement, l’engagement de tous les ministres à se consacrer à leur tâche en toute indépendance vis-à-vis de leurs partis, l’interdiction de tout appareil parallèle qui s’attribue des pouvoirs de sécurité ou impose sa propre loi, la protection des libertés et le raffermissement de l’unité nationale.

Ce que Jebali n’a pu obtenir de son propre parti et ses alliés, Larayedh sera-t-il en mesure de l’arracher progressivement, et ne serait-ce qu’en grande partie, en mettant dans la balance, au fil des jours et des circonstances, tout son poids. C’est à ce prix et à ce prix seulement, affirme l’opposition, qu’il réussira. Personne n’a aujourd’hui intérêt à voir Ali Larayedh et son gouvernement échouer. L’enjeu est de taille. Pour avoir été, en tant que ministre de l’Intérieur, en première ligne face aux lourdes menaces extérieures et intérieures qui pèsent sur le pays, il  en est pleinement conscient. Dans sa nouvelle et difficile mission, parviendra-t-il  à rallier autour du gouvernement, dans un ultime élan de concorde nationale, les forces politiques, syndicales et de la société civile? Le concours de son parti Ennahdha sera déterminant.

 

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1 Commentaire
Les Commentaires
Mohamed Monji - 03-03-2013 17:40

C'est quasi impossible car la logique adoptée pour constituer le gouvernement est fausse et explique qu'ils n'arrive pas à le constituer. Un gouvernement se constitue pour servir le pays par des compétences désintéressées et dévouées à la patrie et non pas par des personnes dont la compétence est plus que douteuse et qui s'acharnent à faire partie ou persister dans le gouvernement pour des intérêts essentiellement personnels !!!!!

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