Al-Qods - Un obstacle majeur à la solution des deux Etats: La politique israélienne de judaïsation de Jérusalem-Est
Par Mohamed-El Aziz Ben Achour. La décision du président Donald Trump de transférer l’ambassade américaine à Jérusalem, reconnue comme capitale de l’Etat hébreu (application d’une loi votée par le Congrès en octobre 1995) a remis sur le devant de la scène médiatique et politique le statut de cette ville. Sainte pour les fidèles des trois monothéismes, élevée au rang de capitale par Israël mais revendiquée aussi par les Palestiniens comme capitale de leur futur Etat, cette antique cité, annexée en 1948 dans sa partie occidentale par les Israéliens, n’est guère propice à la sérénité intellectuelle et à la modération politique. La situation empira à partir de juin 1967, lorsque Jérusalem-Est, jusque-là jordanienne, fut investie par les troupes israéliennes. En 1980, elle est déclarée « Capitale éternelle et indivisible » de l’Etat d’Israël au mépris du droit international et des résolutions de l’ONU. Les autorités israéliennes ne cessèrent dès lors de mettre en application un vaste programme de judaïsation portant sur le patrimoine archéologique, historique et culturel en même temps qu’une politique de colonisation au détriment de la population palestinienne et de son identité.
Cette stratégie agressive s’intensifia à partir des années 2000 sous la forme d’une instrumentalisation du passé et du sacré dans un but de judaïsation ou, pour reprendre l’éloquente expression de Jad Isaac, ingénieur palestinien et directeur de l’Institut de recherches appliquées de Jérusalem, d’une dépalestinisation de la ville. Ce qui est surprenant, note le diplomate français Yves Aubin de La Messuzière, c’est qu’en dépit de la réprobation quasi générale des Etats quant à cette politique, il n’y eut plus, depuis Camp David en juillet 2000, réellement de négociations sur le statut de Jérusalem. Il est mis systématiquement de côté, aussi bien dans la feuille de route du Quartette (ONU, Etats-Unis, Russie, Union européenne) en 2003 que lors de la conférence d’Annapolis en novembre 2007. En juillet 2013, les négociations commencées sous l’égide des Etats-Unis avaient bien mis le statut de Jérusalem à l’ordre du jour des questions à débattre mais elles aboutirent à un échec global en avril 2014.
La décision du président américain survient donc alors même que les Palestiniens ont, depuis longtemps, le sentiment que les mesures relatives à Jérusalem (mais aussi à la Cisjordanie) prises par le gouvernement israélien sous la forme de fouilles autour de l’Esplanade des Mosquées ou, d’une manière plus générale, sous la forme d’une incorporation des sites à une liste israélienne du patrimoine mondial de l’Unesco sont l’expression d’une agression culturelle et à caractère identitaire dans une ville dont l’empreinte sur son urbanisme, son architecture et sa culture d’une présence musulmane vieille de plus de douze siècles est considérable. Ce que l’on appelle aujourd’hui la Vieille ville, malgré un début d’extension vers l’ouest et le nord, était jusqu’au début du XXe siècle l’ensemble de la cité. Elle faisait moins d’un kilomètre carré, mais elle était l’exemple le mieux préservé d’une ville de tradition islamique enserrée dans de superbes remparts. Construite à l’ombre de la civilisation arabo-musulmane à partir du VIIe siècle, la Vieille ville de Jérusalem est ponctuée de monuments splendides remontant aux époques omeyyade, abbasside, fatimide, ayoubide, mamelouke et ottomane. L’espace emblématique entre tous est assurément Al Haram al Sharîf, connue aussi sous le nom d’Esplanade des mosquées.
Ce Haram est considéré par les musulmans comme le troisième lieu saint après La Mecque et Médine. On y trouve plusieurs monuments dont le Dôme du Rocher (Qubbat al Sakhra), construit entre 688 et 691 par le calife omeyyade Abdelmalik. Ce monument de plan octogonal, surmonté d’une superbe coupole dorée, a un caractère unique dans l’architecture religieuse islamique. Parvenu jusqu’à nous dans sa forme initiale, embelli par toutes les dynasties musulmanes, des Fatimides aux Ottomans, il témoigne, depuis des siècles, de la volonté des princes musulmans de l’époque d’insérer de manière brillante le nouveau monothéisme dans un espace vénéré par les juifs et les chrétiens. A proximité du Dôme du Rocher, les Omeyyades édifièrent une grande mosquée à laquelle on donna le nom d’al Masjid al Aqsa, en référence à une expression coranique dans la sourate relative au Voyage nocturne du Prophète. Construite selon un plan rectangulaire et achevée en 705 sous l’Omeyyade Al Walîd, elle fut partiellement reconstruite sous les Abbassides en 780. Au nord et à l’ouest du Haram, on trouve une soixantaine d’établissements d’époque mamelouke (XIIIe-XVe siècle), médersas, bibliothèques, hospices, fontaines et autres édifices. Selon le regretté Oleg Grabar, éminent spécialiste de l’architecture islamique, nulle part dans le monde musulman tout entier n’existe, comme ici, un tel «musée» d’architecture en pierre de la fin du Moyen Âge.
Mais dans la Jérusalem musulmane, il n’y avait pas que l’urbanisme, la pierre et la décoration. Il y avait aussi une culture citadine fondée sur des valeurs aujourd’hui malmenées: la tolérance et la cohabitation des croyances et des communautés. Cette culture de Bayt-al Maqdas, d’al-Quds, c’est-à-dire de la Jérusalem sous autorité musulmane, s’était épanouie depuis le califat de ‘Umar jusqu’aux derniers 0ttomans, brillants continuateurs de cette antique finesse politique de l’Islam si propice à la coexistence paisible. Cette culture et le patrimoine au sein duquel elle s’est épanouie subissent aujourd’hui les effets de la politique de judaïsation entreprise par les Israéliens. Etant donné la référence constante à l’histoire biblique, l’archéologie a rapidement occupé une place de choix au service de la judaïsation du patrimoine. Les fouilles sont, certes, menées par des scientifiques relevant de l’Organisme israélien des antiquités (IAA), mais en présence d’associations à très fort caractère idéologique telles que la Fondation pour la sauvegarde du Mur des Lamentations et surtout l’Elad. Cette dernière est aujourd’hui devenue de facto l’administrateur de quelques-uns des sites archéologiques les plus controversés à Jérusalem. «Cette puissante association a été créée en 1986 avec l’objectif explicite, écrit la journaliste Charlotte Silver, de San Francisco, de faire partir les Palestiniens de Jérusalem-Est et d’installer des juifs à leur place».
En 2011, Elad a fait construire dans le quartier arabe palestinien de Silwan (considéré par des historiens israéliens comme le site de la cité de David) un complexe touristique dont les attractions s’organisent autour des histoires bibliques et leurs liens supposés avec le territoire. Cet espace, connu sous le nom de Cité de David, sera bientôt flanqué d’un imposant centre d’interprétation historique et d’animation (complexe Kedem). L’objectif d’Elad est explicite: «révéler le glorieux passé de l’Ancien Jérusalem à travers quatre initiatives clés: les fouilles archéologiques, le développement touristique, les programmes éducatifs et la revitalisation résidentielle» (expression alambiquée qui signifie tout simplement une politique de colonisation progressive avec l’implantation de familles juives israéliennes dans la ville). En Israël, des voix s’élèvent pour dénoncer cette politique. Ainsi Yoni Mizrahi de l’ONG Emek Shaveh qui se consacre, comme I’association Ir Amim, à préserver la pluralité culturelle, accuse le gouvernement [dirigé par Benyamin Netanyahu] d’instrumentaliser l’archéologie pour étendre son contrôle sur le cœur historique de Jérusalem-Est. «Les autorités, ajoute-t-il, sont en train d’aménager une ville souterraine dans la plus totale opacité» (Le Figaro du 28.10. 2016). Ces opérations de creusement suscitent l’inquiétude des Palestiniens qui craignent que le tunnel qui longe l’esplanade sape les fondations de la mosquée d’Al Aqsa. Cependant, comme à Jérusalem les soupçons de manipulations identitaires sont le lot commun des deux communautés, les Israéliens, à leur tour, accusent les archéologues et architectes arabes qui travaillent dans l’enceinte de l’Esplanade d’endommager des vestiges archéologiques à l’occasion des travaux de restauration, d’excavation et de déblaiement menés sous l’autorité du Waqf jordanien qui administre le Haram.
Au plan international, la prise de conscience des dangers qui pesaient sur le patrimoine d’Al-Qods eut lieu en 1969, au lendemain de l’incendie criminel de la mosquée d’Al-Aqsa. Les Etats musulmans décidèrent d’apporter leur contribution financière et technique aux monuments de Jérusalem. L’Unesco intervint aussi. Mais malgré une série de rapports d’experts, elle ne put faire grand-chose sinon inscrire la Vieille ville de Jérusalem et ses remparts sur la liste du patrimoine mondial en 1981 à la demande de la Jordanie. L’année suivante, la Vieille ville fut inscrite sur la liste du patrimoine en péril, «en raison, nous dit Mounir Bouchenaki, ancien directeur général adjoint de l’Unesco et ancien directeur de l’Institut de conservation du patrimoine (Iccrom), des menaces sérieuses qui pesaient sur sa préservation et de la situation politique prévalant sur le terrain.»
En mars 2010, lors d’un colloque international sur Jérusalem que l’Alecso avait, à mon initiative, organisé à l’Institut du monde arabe à Paris pour attirer l’attention sur les risques qui pesaient déjà sur le patrimoine palestinien à la suite de mesures prises par les responsables de la culture en Israël, j’avais souligné que l’intérêt pour le patrimoine ne valait que s’il était placé sous l’égide du respect de l’autre. Utilisé comme un moyen de dépossession, il devient dangereux. En effet, lorsque dans le même temps où l’on détruit les maisons, où l’on expulse les Palestiniens, où l’on enclave leurs quartiers et leurs agglomérations, où l’on érige des colonies de peuplement, que l’on s’acharne, ce faisant, à rendre impossible un Etat palestinien viable, alors l’intérêt pour le patrimoine devient une menace pour la paix. Sept ans après, ce problème est toujours aussi épineux.
Le plus inquiétant est que la politique de judaïsation ne se limite pas au patrimoine et à l’identité culturelle mais qu’elle s’accompagne ou, plus justement, qu’elle accompagne une politique agressive de peuplement en direction de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie. Démographiquement parlant, la judaïsation de la population d’Al-Qods, après une longue période de stagnation, s’est accélérée entre 1918 et 1948 sous le mandat britannique. En 1948, Israël annexe la partie occidentale de la ville dont la population allait désormais régulièrement augmenter pour atteindre aujourd’hui 330.400 habitants de confession israélite et seulement 3 400 Arabes.
Les choses allaient s’aggraver à partir de juin 1967, lorsque Jérusalem-Est, jusque-là jordanienne, fut occupée. En 1980, l’ensemble de la ville est déclarée «Capitale éternelle et indivisible» de l’Etat d’Israël au mépris du droit international et des résolutions de l’ONU. Immédiatement après la guerre de juin 1967, Israël mit en œuvre son plan de colonisation de Jérusalem-Est. La première opération consista dans la destruction complète du quartier des Maghrébins (Hay al Maghâriba), situé à proximité immédiate du Mur des Lamentations et de l’Esplanade des Mosquées. Selon Jad Isaac, plus de 700 maisons et échoppes, cinq oratoires et quatre écoles furent rasés et 900 familles expulsées. Bien d’autres opérations ne cessent depuis lors de bouleverser les équilibres urbains anciens au profit de la population juive, «la stratégie israélienne consistant, explique Y. Aubin de La Messuzière, à combler le déficit démographique et assurer une continuité territoriale avec les grands blocs de colonies, ce qui a pour conséquence la fragmentation du territoire palestinien». Selon Youssef Courbage, démographe, spécialiste du monde arabe, il y avait 5 700 colons à Jérusalem-Est en 1972, en 2010, ils étaient 200 000. [Aujourd’hui, leur nombre est de 211 600 pour une population arabe de 320 300 personnes]. Entre 1967-68 et 2010, les colonies de Jérusalem-Est ont été, ajoute-t-il, «le principal réceptacle de la croissance démographique juive». Entre 1972 et 2009, les juifs n’ont augmenté que de 59 000 individus à l’ouest contre 186 000 à l’est, c’est-à-dire 3,2 fois plus. Et c’est par Jérusalem que la colonisation de la Cisjordanie a commencé. En 1977, les colons étaient déjà au nombre de 34 000 dans cette ville contre 4 600 dans le reste de la Cisjordanie. Vingt ans après, on était à parité: 159.000 et 167.000.
A Jérusalem même, la politique de judaïsation de la population constitue un obstacle d’autant plus ardu à surmonter dans la perspective d’une solution négociée que la construction de logements se fait en périphérie, ce qui a pour effet de bloquer l’accès à la Cisjordanie, et au beau milieu des quartiers palestiniens, pour pousser la population arabe au départ. Entre autres exemples, voici celui de la colonie Nof Zion érigée dans le quartier palestinien de Jabal Moukaber. En octobre 2017, un vaste projet de logements pour des juifs a été approuvé. La colonie comptera ainsi 176 habitations qui s’ajouteront aux 91 existants. Au mois de septembre dernier, un tribunal ayant permis à des colons de s’emparer de terres appartenant aux églises à Jérusalem-Est, les chefs des principales mouvances chrétiennes de la ville ont dénoncé publiquement les «tentatives systématiques» d’Israël d’affaiblir la présence chrétienne dans la ville (Le Figaro du 5.IX.2017). A ce propos, l’ONG israélienne Ir Amim (littéralement «La ville des peuples») estime que «l’objectif premier de l’infiltration par les colons des quartiers de la Vieille ville et de ses alentours est de faire obstacle à tout accord sur le statut de Jérusalem (journal La Croix du 25.X.2017). Cette stratégie est d’autant plus dangereuse qu’elle s’accompagne de vastes programmes de logements pour colons en Cisjordanie qui, bien que condamnés par la communauté internationale (résolution du Conseil de sécurité de l’ONU du 23.XII.2016), se développent à un rythme soutenu.
A la lumière de ce qui a été présenté ici, il apparaît clairement qu’une mesure telle que celle qui a été prise dernièrement par le président Donald Trump ne pose réellement un problème pour le futur des négociations en vue d’une solution négociée que parce qu’elle concerne une ville où s’exprime avec frénésie la volonté des autorités israéliennes de réduire culturellement, urbanistiquement et démographiquement la présence palestinienne à la portion congrue. Si le gouvernement israélien n’y met pas fin, la dépalestinisation par l’instrumentalisation du patrimoine de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie et par la judaïsation de sa population constituera un obstacle insurmontable sur le chemin d’une paix équitable, c’est-à-dire respectueuse des droits et de l’identité des uns et des autres. Sinon, il ne restera à la jeunesse palestinienne que le désespoir.
Mohamed-El Aziz Ben Achour
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Monsieur, Vous faite justement ce que l´Occident veut changer. la judaisation dont Vous parlez n´est
Monsieur, Vous tombez dans le piège de l´Occident. La judaisation de Jerusalem óu la Patestinec c´est justement ce que l´Occident trame en realité. L´ Occident sait trés bien le problème.le plus grand problème est l´intrication et l´imbrication de l´histoire des arabes( du moyen orient et l´afrique du nord) et celle de l´Occident, c´est la même histoire., et mëme la partie arabe a la priorité dans l´exlication du monde arabo- europeen. En realité l´Occident mène une politique "darwinienne" de l´histoire. Si Darwin a excliqué l´ histoire de "l´ èvolution des espèces", l´Occident fait la même chose en cherchant "l´hegemonie mondiale" et celle-ci commence par chasser les arabes de l´histoire. Ils l´ont fait déjà en partie dans l´enseignement où tous ce qui est arabe et hèritage arabe est délogé, que ce soit les mots dans les langues europeennes ou les inventions arabes dans toutes les disciplines. Les Israeliens sont mis au devant de la scène mais leur tour viendra. Au contraire les arabes jure de leur innocence et qu´ils ne veulent que la vérité et rien que la vérité, comme si le monde va s´ arréter demain.