News - 06.01.2018
Al-Qods - Nassif Hitti: La fin du rôle de médiateur impartial que les États-Unis prétendaient jouer
Basculer dans un choc de religions qui portera un coup dur à toute possibilité de paix alimentera le chaos régional et déclenchera une troisième intifada qui risque d’être sanglante : deux risques majeurs que craint l’ambassadeur et universitaire libanais Nassif Hitti, professeur des relations internationales. Longtemps ambassadeur de la Ligue des Etats arabes en France, en Italie et auprès du Saint-Siège ainsi que de l’Unesco, et ancien conseiller diplomatique spécial du secrétaire général de la Ligue des États arabes, il est également l’auteur de trois ouvrages de politiques internationales et régionales et de plusieurs articles dans ces domaines. Depuis Beyrouth, entre deux escales, il a bien voulu nous expliquer les conséquences de la décision de Trump, et ce qu’il considère nécessaire à entreprendre par le président Mahmoud Abbas.
Quelles sont les conséquences immédiates de la décision américaine sur la situation actuelle ?
La décision du président américain de reconnaître Jérusalem comme capitale
d’Israël et de transférer l’ambassade dans la ville trois fois sainte, même si ce transfert ne se fera pas dans l’immédiat, est le résultat de trois facteurs:
1 - D’abord, la primauté accordée à la politique intérieure américaine au détriment des principes et des contraintes qui font les fondements de la politique extérieure. Une politique qui consiste à ne pas reconnaître le nouveau statu quo créé par l’occupation. Un statu quo qui se traduit par une violation flagrante et continue du droit international, des résolutions pertinentes de l’ONU et en particulier celles du Conseil de sécurité et des principes qui doivent régir le processus de paix depuis son déclenchement.
Contrairement à ses prédécesseurs, Trump a mis à exécution la résolution du Congrès américain adopté il y a déjà 22 ans du transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem. Une résolution que chacun de ses prédécesseurs préférait reporter tous les six mois en vertu des pouvoirs qui leur étaient conférés pour éviter d’envenimer le conflit. Trump par contre, peu soucieux des conséquences, a été encore plus loin que «la reconnaissance d’une simple réalité « mais confirme une reconnaissance d’une réalité absolue, chère à ses amis de l’Aipac (American Israeli Public Affairs Committee), et qui est au cœur même de l’idéologie évangélique, tendance fondamentaliste portée par des groupes différents aux États- Unis et qui ne manque pas d’influence.
2 - Aussi les précédentes positions arabes, stériles et sans aucune capacité de dissuasion, contre la politique américaine à l’égard du conflit israélo-palestinien.
En effet, les positions des pays arabes, qui critiquent souvent et s’opposent quelquefois verbalement à cette politique américaine, finissent toujours par baisser les bras et accepter par la suite certains faits accomplis. Les exemples sont nombreux à cet égard dans l’histoire du conflit israélo-arabe.
3 - Il y a un constat à relever : c’est le manque de compréhension totale de la place de Jérusalem, de sa nature sacrale et fortement symbolique pour les trois religions dans le monde arabe et le monde musulman. Ainsi, cette décision américaine adoptée à la veille d’une promesse de relance du processus de paix porte un coup dur à ce dernier. Déjà, ce qu’on entend dire concernant le projet de paix baptisé comme projet Kushner (du nom du gendre de Trump et qui est connu pour ses positions particulièrement pro-israéliennes) ne promet rien.
Cette approche régionale de la paix, telle qu’elle est conçue par Kushner, vise en fait à déclencher un processus de normalisation arabo-israélien pour mieux confronter l’Iran plutôt qu’à régler la question palestinienne. Ce que ce projet prétend offrir aux Palestiniens est plus qu’une autonomie mais beaucoup moins qu’un Etat. Avec la nouvelle politique de Trump, je vois mal comment un tel projet peut démarrer malgré la déclaration du Président que l’avenir reste entre les mains des Israéliens et des Palestiniens.
Si la position collective arabe et islamique reste au niveau de la diplomatie déclaratoire, diplomatie de condamnation, d’appel et de rejet, le choc de la «Déclaration Trump» risque d’avoir de graves et regrettables répercussions populaires dans la région.
La décision de Trump, qui porte un appui et un encouragement forts à la position israélienne de faits accomplis, d’intransigeance et d’unilatéralisme sur les questions basiques des négociations, aboutira à une plus grande radicalisation et en particulier dans la société palestinienne. Une radicalisation qui peut profiter aux idéologies d’extrémisme religieux. Ainsi, on pourra basculer dans un choc de religions qui portera un coup dur à toute possibilité de paix et alimentera le chaos régional.
Autre conséquence, c’est l’éventualité d’un déclenchement d’une troisième Intifada qui risque, avec une politique de répression israélienne, d’aboutir à des confrontations sanglantes et violentes dans les territoires occupés et qui imposera de nouveau la question palestinienne sur l’agenda régional, question tombée dans l’oubli depuis le «printemps arabe «, et le basculement de certains pays arabes dans des guerres civiles alimentées par des guerres par procuration.
Faut-il aussi rappeler que cette décision américaine a mis fin au rôle de médiateur impartial que les États-Unis prétendaient jouer dans le processus de paix, ce qui en réalité n’a jamais été le cas.
Quelles initiatives prendra le président Abbas ?
L’Autorité palestinienne, déjà affaiblie par une absence de toute perspective de paix et par les querelles intestines, a besoin de bien plus que d’un processus de réconciliation entre les organisations palestiniennes tel que celui qui se tient au Caire.Un processus qui fait face à de nombreuses difficultés et qui démarre très difficilement.
Il faudrait que l’Autorité palestinienne dirigée par le président Mahmoud Abbas lance un processus inclusif de dialogue national qui soit représentatif de toutes les forces vives de la société palestinienne pour qu’ils puissent développer ensemble une stratégie d’action à l’échelle palestinienne et aussi à l’échelle arabe et internationale. Une tâche qui n’est pas facile dans les conditions actuelles mais qui reste plus que nécessaire.
D’autre part, le monde arabe doit s’élever au niveau de ce grand défi existentiel et développer une stratégie d’appui efficace et crédible au peuple palestinien. Stratégie tant attendue et qui tarde à venir. Mais l’espoir est-il encore permis ? Seul l’avenir nous le dira.
Nassif Hitti
Ambassadeur et universitaire palestinien
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