Wassila : «Je n'ai jamais voulu épouser Bourguiba»
Que d’idées reçues se trouvent battues en brèche dans ces entretiens avec Wassila Ben Ammar (1912 – 1999) que publie Jacqueline Gaspar aux éditions Déméter. Même s’ils datent de plus de 40 ans (de novembre 1972 à mars 1973), ils gardent une surprenante actualité et apportent un éclairage exceptionnel sur Wassila et son « fol amoureux », Bourguiba. Amie de longue date, pour avoir connu avec son frère, Mondher Ben Ammar en 1939 alors étudiant à Marseille, Jacqueline qui épousera un ami d’enfance de Mondher et s’installera à Tunis, elle entretiendra des rapports réguliers avec Wassila, avant son mariage avec Bourguiba, puis une fois installée à Carthage. Cette amitié et cette confiance seront précieuses pour recueillir un témoignage de première main jamais révélé à ce jour. On y apprend en effet beaucoup sur Wassila de quoi balayer nombre d’idées reçues à son sujet. On la croyait d’origine très riche, toujours chouchoutée dans l’opulence, résolue à arracher Bourguiba de sa première femme pour l’épouser, exerçant sa forte influence sur lui à tel point qu’il ne lui refuse rien, attachée au régime présidentiel absolu, soucieuse de le voir garder le pouvoir jusqu’au bout, se plaisant avec réelle jouissance au palais de Carthage, manigancière et tenant dans les coulisses les vraies rênes du pouvoir. Mais voilà qu’on découvre ses autres vraies facettes.
En fait, Wassila est d’origine modeste. Son père Oukil (avocat) a dû trimer à Gafsa, Gabès, puis Sfax avant de pouvoir s’installer à Tunis. Encore enfant, elle avait attrapé une maladie (tuberculose ?) qui l’avait privée de fréquenter l’école et longuement retardé son mariage, jusqu’à l’âge de 26 ans. Mais, cela ne l’avait pas empêchée d’avoir une vie moderne, ouverte sur la société, les arts et la culture. C’est surtout son voyage en France, en compagnie de son oncle parti en cure à Vichy, qui lui fera découvrir la grande modernité. Elle finira par épouser un propriétaire terrien et se résoudra à aller s’installer avec lui sur ses terres en pleine campagne. Pendant 15 ans, elle y vivra la vie des paysans, allant jusqu’à se faire construire un gourbi en bonne et due forme où elle habitera durant 10 ans, préférant laisser la maison de campagne à la famille de son mari. Pour subvenir aux frais d’études de son frère Mondher parti en France, elle s’achètera un petit troupeau dont elle prendra grand soin. On la retrouve en kachabia au milieu de son élevage, à bord d’un tracteur, labourer les champs… Viendra alors sa première rencontre avec Bourguiba, le coup de foudre qu’elle déclenchera en lui et tout le reste. «Obligée de divorcer», sous sa forte insistance, elle n’acceptera de se marier avec celui qui deviendra le président de la République que plusieurs années plus tard. «Je n’aurais jamais cru que j’allais me marier avec Bourguiba, confiera-t-elle. Non, non, je ne voulais pas, lui voulait que je divorce, depuis le premier jour et il voulait que je l’épouse. A un moment, je lui ai dit, bon je divorce mais je ne me marierai pas…»
Wassila raconte tout : son mariage, son étouffement au palais, le rythme quotidien de Bourguiba, l’affaire Ben Salah, le fameux discours de Kadhafi au Palmarium, le voyage officiel en France sous Pompidou et du temps de Jacques Chaban Delmas à Matignon, ses positions quant au voile, au régime politique, à la succession et bien d’autres questions. Un témoignage certes limité, s’arrêtant en 1973, mais bien instructif. Un livre qui se lit d’une traite, restituant le caractère particulier de Wassila, son propre langage et ses intimes convictions. A lire. Extraits.
Wassila Bourguiba
Par Jacqueline Gaspar
Editions Déméter, novembre 2012, 200 pages,
14 DT 500