Opinions - 12.10.2012

Pour un dialogue national en vue d'un consensus sur les choix fondamentaux et les priorités

L’initiative de l’Ugtt de réunir une conférence nationale du dialogue a reçu un accueil favorable auprès des principaux acteurs, gouvernement, partis politiques et société civile, un accueil qui constitue un hommage à cette prestigieuse  organisation, vétéran de la lutte pour l’indépendance et partenaire dans l’édification de l’Etat national,  qui se trouve encore une fois au rendez-vous de l’histoire.

L’adhésion de la plupart des parties prenantes souligne aussi l’opportunité politique de cette initiative et son originalité.

 En effet, c’est la première fois en Tunisie que le gouvernement, les représentants des partis politiques, les acteurs économiques et sociaux et les composantes de la société civile sont appelés à se réunir pour débattre de questions d’intérêt national. C’est pourtant une tradition dans les pays démocratiques où les grandes orientations et les choix fondamentaux sont précédés de consultations, larges, organisées et systématiques, avant d’être soumis au vote des Parlements !

En Tunisie, ce sera une première, un évènement important à un moment où nous en avons grandement besoin dans cette phase cruciale de notre histoire, caractérisée par des défis intérieurs et extérieurs, nombreux, imminents, lancinants, au point de constituer de sérieuses menaces pour la transition démocratique et la cohésion nationale.

Cela étant, l’initiative de l’Ugtt n’a pas manqué de soulever les craintes, voire les réticences de ceux qui craignent un empiètement de cette conférence sur les attributions de l’ANC !

De telles craintes ne sont pas fondées, car une instance de dialogue possède une capacité de proposition, mais n’a pas de pouvoir de décision ! Son rôle essentiel est de favoriser le consensus!  Et c’est de cela que nous avons besoin aujourd’hui et demain !

En outre, la mise en place d’une instance pour favoriser et encadrer le débat national répond à un besoin ardent du citoyen tunisien, dont la révolution a révélé une conscience  politique élevée, et qui revendique aujourd’hui, avec force, son droit légitime de participer aux choix qui concernent sa vie et son avenir !

Certes, les débats existent au sein de l’ANC, mais ils restent limités et épisodiques, compte tenu des nombreuses et lourdes attributions de cette institution !

Par ailleurs, plusieurs catégories de la population, acteurs politiques, économiques et sociaux, représentants de la société civile, sont exclues du débat national,  d’abord parce qu’elles ne sont pas représentées à l’ANC et puis parce qu’il n’existe aucune instance nationale de dialogue, après la dissolution regrettable du Conseil économique et social, au lendemain de la révolution.

Pour toutes ces raisons, l’initiative de l’Ugtt répond à un besoin à la fois conjoncturel et structurel !
Mais que va-t-on faire dans cette conférence nationale du dialogue ? Quel sera son ordre du jour ? Sur quels résultats va-t-elle déboucher ?

Certains leaders politiques proposent de limiter les débats aux questions liées aux échéances électorales, au régime politique, au calendrier de mise en place des instances indépendantes de la magistrature, des élections et de l’audiovisuel ?

Certes, tout cela est important, mais est-ce suffisant ?

On peut se demander en effet, en  toute franchise et au risque de choquer, si la fixation du calendrier des élections et le choix du régime politique constituent aujourd’hui les seules préoccupations  et les priorités de la majorité du peuple tunisien ?

On a tendance à oublier que la Révolution du 14 janvier portait les revendications sociales des jeunes chômeurs, des habitants des régions déshéritées et des victimes de la précarité et de l’exclusion sociale.

Aujourd’hui, ces revendications sont encore là et se manifestent par des comportements qui dénotent l’impatience, le désespoir, la rancœur destructrice et qui se soldent par de sérieuses atteintes à l’ordre public et à la cohésion sociale.

Certes, l’ampleur des défis et l’inadéquation évidente entre le niveau et la multitude des revendications et la capacité de l’Etat de les satisfaire, dans leur globalité, leur diversité et leur acuité, sont en dehors des possibilités d’un gouvernement transitoire, quelle que soit la majorité qui le compose, sa  bonne volonté et la compétence de ses membres.

Les problèmes qu’affronte la Tunisie aujourd’hui seront là dans une année, quelle que soit la composition du prochain gouvernement, en l’absence d’un dialogue national sur les déséquilibres structurels  qui menacent la cohésion sociale  et d’un consensus sur les priorités et sur le partage des efforts et des sacrifices qui s’imposent pour redresser la situation et rétablir la confiance de la population  dans les institutions de l’Etat et dans l’avenir du pays.

La nécessité d’engager un débat national sur les principaux problèmes du pays a été ressentie depuis longtemps et exprimée à  maintes occasions, avant et après la constitution du gouvernement provisoire actuel.
J’ai eu personnellement l’occasion de le suggérer à la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, lors de mon audition sur la situation sociale, en avril 2011.

En mars 2012, et dans le même ordre d’idées, nous avons lancé avec des personnalités indépendantes une initiative pour instaurer un «Forum du dialogue national» en vue d’engager un débat serein, constructif et responsable entre les représentants des partis politiques représentés au sein de l’ANC, de l’Ugtt, de l’Utica, des organisations professionnelles, des composantes de la société civile et des experts, en vue d’aboutir à un «consensus national sur les objectifs, les priorités et les moyens pour répondre aux besoins les plus urgents de la population et pour prémunir la transition démocratique contre les risques d’échec».

Cette initiative a été portée en temps opportun à l’attention du gouvernement, de l’Ugtt, de l’Utica et des partis de l’opposition !

«Le Forum du dialogue national» avait pour objectif de donner son avis dans une première étape sur la feuille de route du gouvernement transitoire actuel et sur les conditions d’une transition démocratique réussie.
Dans une deuxième étape, il devait approfondir le débat au sujet des problèmes structurels importants et plus précisément ceux de l’emploi, de l’enseignement, du développement régional, de la fiscalité et des finances publiques et de toute autre question de nature à garantir le développement durable et la cohésion sociale dans le pays. C’est la raison pour laquelle je réitère  les mêmes propositions.

Aujourd’hui et à la veille de la conférence du dialogue national, initiée par l’Ugtt, je pense que cette conférence ne peut pas se limiter aux questions électorales et doit aborder les problèmes structurels tels que l’emploi, l’éducation, le développement régional, la protection sociale, les finances publiques, le développement durable...
En ce moment historique et devant les nombreux défis que nous affrontons, nous avons le devoir de dépasser nos divergences politiques, sociales et idéologiques, et de nous retrouver ensemble pour mesurer l’ampleur des problèmes et leur acuité, pour établir un ordre de priorité, et fixer d’un commun accord les conditions nécessaires pour rétablir la confiance dans les institutions de l’Etat et dans l’avenir du pays, renforcer la cohésion sociale et jeter les fondations d’un nouveau contrat social.

Mohamed ENNACEUR
*(Ancien ministre)