News - 09.10.2012

Le regard perspicace de l'ambassadeur d'Allemagne sur ce qui se passe en Tunisie

Nouvel ambassadeur d’Allemagne à Tunis, Jens Plötner, a profité de la célébration le 3 octobre 2012 de la journée de l’Unité allemande pour partager avec ses invités « en tant qu’ami » ses premières observations de ce qui se passe en Tunisie. Dans le discours qu’il a prononcé en présence du chef du gouvernement, Hamadi Jebali, du président de l’Assemblée nationale constituante, Mustapha Ben Jaafar et de nombreux convives, il a rappelé que « beaucoup de problèmes auxquels les Tunisiens font face aujourd’hui nous rappellent notre propre expérience allemande ». Et d’ajouter : « Nous avons partagé alors les joies et l’enthousiasme de votre Révolution, et aujourd’hui, en amis, nous partageons aussi votre impatience et vos frustrations ». Trois points essentiels retiennent son attention : le mot « provisoire » ne rend pas justice à l’énorme responsabilité des nouveaux dirigeants, la nécessité d’arriver à une Constitution qui unisse les Tunisiens et l’importance d’élections libres et équitables.

Il ne manquera pas de souligner que « et si les forces sectaires tentent de réduire cette société au choix « Niqab ou Bikini », ce sont l’unité nationale et la liberté qui y perdront. Il fait remarquer que la célèbre « Tolérance Tunisienne» appelle à une société dans laquelle «le séculaire et le religieux se respectent et s’acceptent ». Sa conclusion est nette : « Quand la violence entre en politique, nous perdons l’acquis le plus précieux de la Révolution: la liberté. Nous sommes solidaires avec tous les démocrates tunisiens qui tracent une ligne rouge contre la violence, salafiste ou autre. Et nous comptons sur le gouvernement de faire prévaloir le droit - toujours et partout ». Pour terminer par réitérer la détermination de l’Allemagne à aider la Tunisie : « Sur ce chemin difficile mais noble, le peuple tunisien peut compter sur l’amitié des Allemands, sur notre solidarité et sur l’aide active de mon gouvernement ». Un texte à lire dans son intégralité.

C’est un grand honneur pour moi de vous recevoir aujourd’hui! 

Cette Journée de l’Unité allemande marque l’aboutissement de notre révolution à nous – quand dans cette nuit du 9 novembre 1989 des femmes et des hommes de l’Allemagne de l’Est se sont soulevés contre le joug de la dictature communiste.

Dans leurs cœurs, eux aussi ils portaient le « dégage » que vous connaissez bien – mais sur leurs lèvres ils avaient leur propre crie de rassemblement: « Wir sind ein Volk !» – nous sommes un seul peuple !

Je me souviens bien de notre révolution, des espoirs, de l’enthousiasme de cette fraternité de cause : les gens qui ne se connaissaient que depuis quelques minutes, tombaient dans les bras les uns des autres, s’invitaient spontanément à un repas ou offraient leur salon comme logement.

Mais, je me souviens aussi de la gueule de bois quelques mois plus tard : les énormes espoirs qu’on avait mis dans la révolution ne se réalisaient pas d’un coup de baguette magique, les annonces de quelques hommes politiques s’avéraient trop optimistes. Outre les soucis matériels s’ajoutait le fossé psychologique entre les Allemands de l’ouest et de l’est – un fossé qui, de temps en temps, semblait être plus profond que le mur de Berlin fut haut.

En somme, la fête de la liberté fut suivie d’un désenchantement au quotidien. Et par la suite, il a fallu des années pour petit à petit mettre en œuvre les promesses de la révolution. Depuis, des énormes progrès ont été réalisés! Cependant, nombreux sont ceux qui diront : même aujourd’hui, 22 ans après, il reste beaucoup à faire.

C’est grâce à notre propre expérience que le peuple allemand tout entier a retenu son souffle ces jours de Janvier 2011, quand ici, en Tunisie, se mélangeait la douce odeur du jasmin aux cris déterminés du « Dégage ».
Nous avons partagé alors les joies et l’enthousiasme de votre Révolution, et aujourd’hui, en amis, nous partageons aussi votre impatience et vos frustrations.

Beaucoup de problèmes auxquels les Tunisiens font face aujourd’hui nous rappellent notre propre expérience allemande.

C’est sur cette base, en tant qu’ami et avec le regard de quelqu’un qui vient d’arriver dans votre pays que je me permets de faire trois observations  qui – bien sûr – n’engagent que moi :

1) Le mot « provisoire » qui orne les titres officiels des plus hauts représentants de l’État ne fait certainement pas justice à l’énorme responsabilité qu’ils ont dans cette période déterminante pour la Tunisie. Mais il nous rappelle quelque chose d’important : nous sommes en période de transition, dans laquelle le corps politique du pays s’est vu assigné le devoir suprême d’écrire une constitution qui unisse le peuple et sur cette base de le conduire à des élections libres et équitables.

De cela découle mes deux autres remarques :

2) Arriver à une Constitution qui unisse les Tunisiens. Et pourtant, dans mes premiers mois de découverte en Tunisie, j’ai quelquefois eu l’impression de retrouver le même fossé psychologique qui existait dans l’Allemagne postrévolutionnaire. Il me semble alors utile de se rappeler cette vérité aussi simple que forte qui fut notre cri de rassemblement « Wir sind ein Volk ! » - nous sommes un seul peuple !

Et si les forces sectaires tentent de réduire cette société au choix « Niqab ou Bikini », ce sont l’unité nationale et la liberté qui perdront.

Il me semble que la célèbre « Tolérance Tunisienne» appellerait à une société dans laquelle le séculaire et le religieux se respectent et s’acceptent.

3) Et finalement – des élections libres et équitables : sans cela, il n’y a point de démocratie. Mais cette liberté et cette équité ne doivent pas se limiter pas au jour des élections même, – elles doivent régner dans le quotidien.

Quand la violence entre en politique, nous perdons l’acquis le plus précieux de la Révolution: la liberté.

Nous sommes solidaires avec tous les démocrates tunisiens qui tracent une ligne rouge contre la violence, salafiste ou autre.

Et nous comptons sur le gouvernement pour faire prévaloir le droit - toujours et partout.

Sur ce chemin difficile mais noble, le peuple tunisien peut compter sur l’amitié des Allemands, sur notre solidarité et sur l’aide active de mon gouvernement.

Vive la Révolution tunisienne et vive l’Amitié entre la Tunisie et l’Allemagne ! 

Jens Plötner

Ambassadeur d’Allemagne à Tunis

(*) Discours prononcé à l’occasion de la célébration de la 22ème Journée de l'Unité Allemande  Tunis, le 3 octobre 2012

Vous aimez cet article ? partagez-le avec vos amis ! Abonnez-vous
commenter cet article
7 Commentaires
Les Commentaires
mattoussi - 09-10-2012 13:19

un discours plein de sagesses que nos hommes politiques doivent mediter serieusement

hichem tounsi 7orr - 09-10-2012 14:41

cela me rappelle cette leçon excellente : Il ya le probleme et il y a la solution il y a ceux qui se concentrent sur le problème et ils mettent leur énergie dans le problème et il y a ceux qui se concentrent sur la SOLUTION et ils mettent leur énergie dans la SOLUTION cela me rappelle le syndicalisme à l'allemande qui se concentre sur la SOLUTION et le syndicalisme à la Française qui se concentre sur le problème. Nous avons besoin, nous tunisiens de construire ensemble la Tunisie de nos enfants comme nous la voulons, libre et indépendante, tolérante, portant les valeurs de la créativité et du partage.

zouheir Bouras - 09-10-2012 15:01

Une allocution d'une délicatesse raffinée et d'un fond extrêmement rationnel..

ridha - 09-10-2012 16:39

j'ai vécu comment l'Allemagne de l'Ouest a absorbée l'Allemagne de l'Est après la chute du mur de Berlin, je n'ai jamais entendu de provisoire, ni une critique des Allemands de l'Est , qui ressemblaient au début aux pays communistes dans leur habitudes et agissement sociales.

al07 - 09-10-2012 22:38

On reconnait bien là le pragmatisme allemand.Cependant, il y a-t-il en Tunisie des politiciens suffisamment pragmatiques pour comprendre le sens de ce discours ? A la lumière de ce qui se passe depuis plusieurs mois,on peut en douter.....

HAFSA khaled - 10-10-2012 12:30

Qui dit mieux?Le processus post révolution est lent demé d'embuchues .Son excellence nous dit que l'expérience du peuple ALLEMAND l'a aidé à voir le bout du tunnel et il insinue les longues guerres qui ont ensanglanté son peuple pendant des années et que heureusement pour nous ;nous n'avons pas vécues.Par conséquent il nous reste à nous raisonner les uns et les autres;à aider chacun de son côté et surtout à patienter.Nos problèmes sont si nombreux et intriqués qu'il est difficile de résoudre en aparté et contre la montre

Hached moncef - 10-10-2012 13:01

C'est un baume pour nos coeurs ,de la part d'un peuple ami qui a vécu une séparation douloureuse et une reconstitution lente et difficile de son tissu social malgré les bonnes intentions de tout le peuple allemand.Les vrais amis se tiennent la main dans les moments difficiles.La Tunisie ,avec l'assistance de ses vrais amis et la bonne volonté de son peuple saura parcourir sa route escarpée qui l'amènera sur le podium de la démocratie de la liberté politique ,social et économique .

X

Fly-out sidebar

This is an optional, fully widgetized sidebar. Show your latest posts, comments, etc. As is the rest of the menu, the sidebar too is fully color customizable.