Opinions - 18.09.2012

Lettre à mes ami(e)s marocain(e)s

Cher(e)s Ami(e)s

Le 29 juillet 2011, le Président de la République, Foued M’bazaa, me remet les lettres de créance m’accréditant en tant qu’Ambassadeur de Tunisie au Maroc. Ma nomination crée quelques remous. A Tunis, certains y voient, non sans malveillance, une récompense injustifiée ; au Maroc, elle bénéficie d’un préjugé favorable. Le 5 septembre 2011, je débarque dans votre pays. Vous m’y accueillez avec amitié, m’offrant votre hospitalité légendaire. Votre sollicitude et la sympathie que vous me témoignez me donnent l’agréable impression d’être dans mon propre pays, d’avoir seulement laissé une de ses villes pour une autre.

J’ai quitté la Tunisie pour entamer une nouvelle expérience toute professionnelle; je me devais d’œuvrer à la consolidation des relations politiques, économiques, et culturelles entre nos pays, voire à leur unification. Leur proximité  naturelle, leur histoire et leur parenté culturelle justifient pareille ambition.  Déjà alors que nous survolons une partie de la Tunisie, le nord de l’Algérie et du Maroc, je constate la continuité géographique du Maghreb.  Quelques jours auront suffi pour que je retrouve « l’esprit » de cette région, ce ciment qui nous unit depuis des siècles et que nous nous devons d’affermir.

Je découvre un pays attaché à ses traditions mais aussi résolu à épouser le temps présent.  Si pareil constat prédispose à l’intégration, c’est la  qualité de ses relations humaines, les amitiés qui se sont tissées et qui se sont développées, allégeant la difficile séparation avec les miens, qui m’ont aidé à saisir ce que la culture marocaine pouvait m’enseigner. Au Maroc, j’ai découvert mon appartenance non pas seulement au monde  arabe et à la Méditerranée mais aussi à l’Afrique.

Le 7 septembre 2011, je présente, comme le veut le protocole diplomatique, la copie figurée de mes lettres de créance au ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, M. Taieb Fessi Fehri,  j’ai comme la révélation d’être en présence d’un ami de très longue date. Quelques jours plus tard, je suis informé que la cérémonie de présentation des lettres de créance au Roi Mohamed VI était fixée au 19 septembre, au Palais royal de Rabat. Etonné moi-même par la célérité  avec laquelle je suis accueilli, je ressens, je l’avoue, une grande satisfaction. Le Roi me recommanda d’œuvrer pour l’ouverture de « nouvelles relations entre la Tunisie et le Maroc ». En peu de mots, il définit les contours et l’étendue  de la tâche qui m’attend et laisse entendre que durant la période  précédente, les relations tuniso-marocaines n’étaient pas exemptes de tensions et de malentendus.

Je découvre auprès des responsables marocains la même détermination à œuvrer à la consolidation des relations tuniso-marocaines et une volonté de réanimer l’Union maghrébine en hibernation depuis une décennie. Quand j’ai pris mes fonctions d’ambassadeur, le peuple marocain venait d’adopter la nouvelle constitution (référendum du 1er juillet 2011) dont l’élaboration a été annoncée par le Roi Mohamed VI dans son discours du 19 mars, discours dans lequel il accédait aux vœux exprimés par le mouvement du 20 février.

J’ai eu le privilège d’assister aux élections législatives anticipées du 23 novembre 2011 qui ont amené au gouvernement une coalition formée de quatre partis politiques dirigés, comme le prévoit la Constitution, par le chef du parti qui a emporté le plus grand nombre de sièges (le PJD), M. Abdelilah Ben Kirane.  Cette révolution tranquille menée en symbiose entre le Roi et le peuple  n’est pas sans rappeler la révolution du peuple menée par le Roi Mohamed V et les nationalistes marocains contre la colonisation.

J’ai passé dix mois parmi vous et je me suis attelé, au cours de cette période,  à restaurer les relations entre nos deux pays pour les ramener au niveau qu’exigent notre histoire commune, notre religion, notre langue, notre unité géographique, nos échanges humains et nos aspirations au bien-être de nos peuples. Pendant dix mois, je me suis attaché, avec l’aide de tous et de toutes,  à ce que la fraternité ne soit pas un simple slogan mais une réalité. La multiplication des visites de responsables à tous les niveaux en est un indice. Les visites du Président Marzouki au Maroc et celles des chefs de gouvernement Ben Kirane et Jebali respectivement en Tunisie et au Maroc ont constitué des moments inoubliables de communion entre nos deux peuples.

Dix mois ne sont qu’un instant dans l’histoire de nos deux pays mais ils m’ont permis d’éprouver le sentiment d’avoir accompli mon devoir  de citoyen maghrébin et d’avoir contribué aux exigences de nos peuples. Chaleureusement  accueilli à mon arrivée, je suis décoré par le Roi en personne, lorsque rappelé, par le ministère de tutelle, je dois quitter le pays que j’ai adopté en moins d’un an.  Le 29 juillet 2012, le Roi m’accorde le Wissam alaouite, m’honorant, honorant mon pays et m’engageant, par là même, à être un ambassadeur permanent de la fraternité tuniso-marocaine. Ce sera ma manière de remercier mes ami(e)s marocain(e)s.

Le 31 juillet, je quitte le Maroc heureux d’avoir passé ce laps de temps chez vous, me remémorant, ému, cette expression magique que vous avez répétée des dizaines de fois, au moment des adieux «??? ?????? ??».

Amicalement vôtre,

Rafâa Ben Achour
Ancien ministre,
ancien ambassadeur
de Tunisie à Rabat

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