Khalil Zaouia : «Situation préoccupante, mais nous nous employons à y remédier»
Faut-il atteindre de plus fortes cotes d’alerte pour prendre conscience des sérieuses menaces financières qui guettent les trois caisses sociales, à savoir la CNSS, la CNRPS et la CNAM ? Si le degré de danger est différent d’une caisse à l’autre, les risques sont bien là. D’ailleurs, le ministre des Affaires sociales a eu le courage d’en révéler les chiffres à Leaders.
CNSS : situation équilibrée pour le moment, malgré le déficit croissant des régimes de retraite qui a atteint -211 MD en 2010.
CNAM : résultats comptables négatifs réalisés par le régime d’assurance maladie (-102 MD en 2010), mais résultat global excédentaire (36MD en 2010) grâce au régime de réparation des préjudices résultant des accidents du travail et des maladies professionnelles
(111 MD en 2010).
CNRPS : déficit comptable de 83 MD en 2010 (120 MD probable en 2011) et liquidités disponibles inexistantes pour faire face aux prestations des pensions de retraite servies mensuellement (160 MD). Happé au quotidien par les conflits sociaux (grèves, sit-in et loc-out) et les négociations salariales, le ministre met cependant en haute priorité la situation des caisses sociales. Même si son mandat est de courte durée, s’agissant d’un gouvernement de transition, il sait qu’il n’a pas le droit à l’erreur sur ce dossier.
Il n’en parle pas suffisamment en public, mais il multiplie les consultations, relançant les études appropriées, esquissant les mesures d’urgence et les grandes réformes indispensables à mener.
A quelques mois des élections (si la date du 20 mars est respectée) où chacun parmi les nouveaux dirigeants de la Troïka ne veut perdre la moindre voix, le gouvernement Jebali est-il en mesure de mettre cette grande question sur le tapis, d’engager un débat national et d’imposer les sacrifices sans doute lourds que chacun doit consentir ? Augmenter les cotisations ? Prolonger l’âge de la retraite? Revoir le système de financement et de placements? Refondre l’ensemble du dispositif? Mais aussi, revoir le mode de gouvernance des caisses, avec un rôle plus accru et au quotidien de la part de l’UGTT et de l’UTICA? Tout à fois, sans doute!
Plus tard nous repousserons les réformes, plus lourd sera le prix à payer. Surtout que le déséquilibre d’une caisse, plus particulièrement celui de la CNRPS, aura de graves retombées sur l’ensemble du système et, partant, celui des finances publiques, l’Etat étant garant.
Dans ce dossier qui se veut ni alarmiste ni rassurant outre mesure, Leaders a interrogé le ministre des Affaires sociales, Khalil Zaouia, et recueilli les précisions des PDG des deux caisses de retraite, Sayed Blel (CNRPS), et Hafedh Lamouri (CNSS). Ils ont tous les trois eu le mérite, le politique comme les experts, de nous fournir en toute transparence les éléments clefs d’un débat qui mérite de s’instaurer publiquement. D’urgence.
A la fois légitimement inquiet et politiquement rassurant, le ministre des Affaires sociales, Khalil Zaouia, ne cache pas la réalité. Oui, dit-il à Leaders, des «défis» s’exercent sur l’équilibre financier des caisses sociales qui s’en sortent pour le moment, à part la CNRPS, surtout grâce à l’équilibre des différents régimes. Mais, si la CNSS et la CNAM disposent de réserves relativement suffisantes, la situation financière de la CNRPS nécessite de prendre des mesures urgentes pour garantir un minimum de liquidités. Chiffres à l’appui, révélés pour la première fois. Des études sont lancées et des réformes sont à engager. Interview.
Comment se présente actuellement l’équilibre financier des caisses de sécurité sociale?
La situation financière des caisses de sécurité sociale diffère d’une caisse à l’autre. Au niveau de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), la situation financière est équilibrée (7 MD en 2010) malgré le déficit enregistré au niveau des régimes de retraite qui ne cesse d’augmenter au fil des années (-211 MD en 2010).
Et c’est grâce aux résultats financiers positifs réalisés par les autres risques gérés par la CNSS, notamment celui des prestations familiales (164 MD en 2010), que la situation financière de la caisse est équilibrée.
En ce qui concerne la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), malgré les résultats comptables négatifs réalisés par le régime d’assurance maladie (-102 MD en 2010), la situation financière est visiblement plus confortable avec un résultat global excédentaire (36 MD en 2010) grâce essentiellement aux résultats positifs du régime de réparation des préjudices résultant des accidents du travail et des maladies professionnelles (111 MD en 2010).
Quant à la Caisse nationale de retraite et de prévoyance sociale (CNRPS), la situation est plus préoccupante au regard d’un déficit comptable de 83 MD en 2010 ( -120 MD probable en 2011) et de liquidités disponibles inexistantes devant une augmentation continue du volume des prestations des pensions de retraite servies mensuellement (160 MD) et cela malgré les mesures qui ont été prises, à savoir l’augmentation du taux de cotisation à la charge de l’employeur de 1 % de la branche retraite et le recouvrement par la CNRPS de ses créances, notamment auprès des entreprises publiques de transport.
Quelles sont les grandes menaces qui pèsent sur le secteur ?
Il s’agit plutôt de défis que de menaces et il convient de préciser tout d’abord que les déficits observés au niveau des branches de retraite et d’assurance maladie sont des déficits comptables et qui n’ont jamais entraîné une cessation de paiement des prestations.
Conscient de la nécessité de relever les défis financiers au niveau de deux principales branches de la sécurité sociale, à savoir la retraite et l’assurance maladie, l’actuel gouvernement a préconisé la sauvegarde de l’équilibre financier de ces deux branches, un des défis prioritaires de son programme d’activité pour assurer la pérennité de ces régimes et sauvegarder les réalisations enregistrées dans le domaine de la sécurité sociale qui constitue un des piliers importants de la politique sociale du pays.
Envisagez-vous d’engager de grandes réformes dans le secteur des assurances sociales ?
Nous avons déjà engagé des réformes en matière de sécurité sociale. Tout d’abord et depuis le mois de janvier, le Centre de recherche et des études de sécurité sociale (CRESS) a entamé la réalisation d’une étude actuarielle des régimes de retraite dans les secteurs publics. Les résultats de ladite étude ont été examinés au mois de juin par un comité de suivi qui regroupe les ministères concernés et les partenaires sociaux.
Actuellement, la CNAM, en collaboration avec le CRESS, prépare une étude portant évaluation du régime d’assurance maladie. Les résultats de cette étude seront examinés par le Conseil national d’assurance maladie dans sa réunion prévue ce mois de septembre. Compte tenu du rôle important de la Sécurité sociale dans la politique sociale du pays, la commission tripartite (Gouvernement, UGTT et UTICA) chargée de l’élaboration du contrat social a retenu la protection sociale comme l’une des composantes principales de ce contrat qui sera signé le 14 janvier 2013.
S’ajoute à cela le souci du gouvernement de répondre favorablement à la recommandation n° 202 concernant la mise en place des socles de protection sociale adoptée par la Conférence internationale du travail à sa 101e session à Genève le 14 juin 2012.
Cette recommandation incite les pays membres, en fonction de leur situation nationale, à établir et maintenir leurs socles de protection sociale qui devraient comporter des garanties élémentaires de sécurité sociale pour assurer au minimum à toute personne dans le besoin, tout au long de la vie, l’accès à des soins de santé essentiels et une sécurité élémentaire de revenu.
Avez-vous pris des mesures d’urgence dans ce sens ?
Au regard de leur horizon à long terme, les réformes engagées, notamment au niveau des régimes de retraite, vont demander suffisamment du temps, que ce soit pour l’analyse des différentes options, la recherche de concertation avec les partenaires sociaux ou pour la mise en œuvre des options retenues.
Et contrairement à la CNSS et la CNAM qui disposent de réserves relativement suffisantes, la situation financière de la CNRPS nécessite de prendre des mesures urgentes pour garantir un minimum de liquidités, surtout que les mesures déjà prises se sont avérées insuffisantes.
Lire aussi
CNRPS : Les vraies menaces, les grandes réformes impératives