News - 21.07.2012

Vous avez dit Etat de droit...?

Après la révolution du travail, de la liberté et de la dignité, les Tunisiens espéraient consacrer la primauté de la sécurité et de l’Etat de droit. La sécurité est le premier des droits fondamentaux du citoyen. Nos ancêtres ne s’y sont pas trompés, lorsqu’ils ont placé la sécurité en tête du Pacte Fondamental de septembre 1857, écrivant à l’article premier: «Une complète sécurité est garantie formellement à tous nos sujets, à tous les habitants de nos États, quelles que soient leur religion, leur nationalité et leur race. Cette sécurité s›étendra à leur personne respectée, à leurs biens sacrés et à leur réputation honorée». Cet article sera repris en l’état dans la Constitution de 1861. Il est bien loin ce temps où l’homme, sujet et pas encore citoyen, était considéré dans sa conscience et sa différence.

Le gouvernement provisoire se fait appeler aujourd’hui « gouvernement de la révolution », preuve, s’il en est, qu’il cherche une légitimité en dehors de son action, tant il ne semble pas convaincu de la nécessité d’assurer la sécurité des personnes et des biens, et ne se gêne pas pour porter atteinte à la réputation de ses adversaires politiques. L’Etat tire sa légitimité de sa capacité à réguler la société et les conflits, en faisant usage d’une violence légitime, dont il a le monopole, pour empêcher tout groupe d’user de violence envers un autre. Dans un Etat moderne, la légitimité est légale et rationnelle lorsqu’elle s’appuie sur le droit et une administration cohérente de la société (Max Weber), faisant de sorte que les lois deviennent impersonnelles et applicables à tous. L’Etat de droit s’oppose justement à l’arbitraire et au fait du prince, dans lesquels la Tunisie a baigné des années durant, où la justice était rendue au nom du politique et non du peuple.

«Quand on voit des fanatiques, on peut prévoir qu’il y aura des sacrilèges.»
(Malesherbes)

De quel Etat de droit parlons-nous lorsque la sécurité des citoyens est menacée par des abrutis, hirsutes, impunis au titre de leurs croyances ? Ceux-là mêmes, dans un passé récent, alcooliques indics et parasites, qui vivaient aux crochets de la société, seraient devenus aujourd’hui des exemples de vertu, bénéficiant de la protection d’un gouvernement sous influence. En laissant faire, le gouvernement devient illégitime, et il pourra toujours se prévaloir des extrêmes pour apparaître comme une force modérée, mais la ficelle est trop grosse. Ce n’est pas en laissant faire des illuminés dont la foi confine à l’exaltation qu’il rassemblera les Tunisiens autour de valeurs républicaines. Mais cherche-t-il à rassembler les Tunisiens ? Nous sommes en droit de nous poser la question.

De quel Etat de droit parlons-nous, lorsqu’après six mois de gouvernement, nous attendons encore une justice transitionnelle qui tarde à venir, et qui se transforme en monnaie d’échange, et d’alibi pour justifier une exclusion politique de masse ?

Les salafistes sont le projet de force dissuasive des islamistes, celle qui régente la foi des Tunisiens et leur comportement, en se transformant en une forme de police parallèle, une milice à l’image des Pasdarans iraniens, un Etat dans l’Etat, un instrument entre les mains du «guide», par lequel il impose sa vision aux citoyens et manipule ses propres troupes militantes. La compromission du pouvoir islamiste avec les mouvements salafistes ne fait plus de doute, et on peut prédire dès maintenant que les vagues d’arrestation de ces derniers jours ne seront que de la poudre aux yeux. Le terrorisme qui envahit le pays risque de nous conduire à l’affrontement. Les Tunisiens n’accepteront pas de se voir dicter leur vie et leur foi alors même qu’ils sont allés chercher dans la rue leur droit à la dignité. Le calcul politique n’a plus sa place lorsque l’avenir d’une nation est en jeu, et que la sécurité des citoyens devient un enjeu de pouvoir.

Ennahdha prépare sa défaite en se rendant illégitime, mais cette défaite n’est que théorique. Dans la pratique, elle usera des mêmes artifices et recettes que Ben Ali, pour garder le pouvoir aussi longtemps que son projet d’islamisation de la société n’aura pas réussi, que leur devise pour la République Islamique de Tunisie ne sera pas entérinée,  «El Islam houwa el Hall» (l’Islam est la voie). Une manière de réfuter le droit politique naturel, et de le remplacer par une théocratie de droit divin. Ces groupes Salafistes font partie de la stratégie d’accaparer le pouvoir sur le long terme, leur rôle sera in fine de réprimer toute forme de contestation, criminalisant toute critique sous le prétexte de porter atteinte à l’unité du pays, en menaçant les médias, les artistes et tous ceux qui voudront mettre l’intelligence au centre de la république. Le gouvernement joue avec le feu, et pourtant il faudra résister, rester vigilant, et n’accepter aucun compromis avec les libertés et l’Etat de droit. Souvenons-nous, pour toujours, des premières années du règne de Ben Ali, où très tôt la société tunisienne a perdu la bataille, en acceptant les compromis et en se laissant endormir par une forme d’état de grâce, d’un pouvoir peu avare de promesses.La liberté et la dignité ne s’acquièrent qu’à l’ombre de l’Etat de droit, consacrant la protection et la sécurité des citoyens, et limitant l’usage de la force à l’Etat au travers une police républicaine au service de la nation et non du pouvoir politique. C’est par une tragique absence de culture et d’ignorance de l’histoire que des barbus se retrouvent à terroriser les hommes et femmes de ce pays.

Le gouvernement et ses acolytes jouent sur le sacré. Le sens du sacré, c’est la capacité de l’homme à accepter l’autre dans sa différence, en sacralisant son droit à la vie. L’accepter comme il est et non comme on voudrait qu’il soit. La morale, fût-elle religieuse, n’est pas le sacré, l’immoralité n’est pas sacrilège, et l’ordre moral n’est pas le droit. Il n’y a pas primauté de l’Etat sur le droit mais bien l’inverse. Le droit ne peut s’édicter par la seule véhémence de la revendication d’une minorité marginale qui cherche à se frayer un chemin vers la reconnaissance et le pouvoir. Aujourd’hui  pour criminaliser la critique ou l’art et demain autoriser la polygamie ou que sais-je encore, pour finir par élaborer une charia à la mode nahdhaouie, en faisant voter, à une assemblée d’hommes, des lois dignes du droit canon. Culpabiliser l’homme pour mieux le soumettre, en jouant sur l’amalgame entre sacré, morale sociale, traditions et droit.

Le droit n’est pas la force, mais la justice, car la force seule ne suffit pas, elle ne fait qu’appliquer une contrainte qui n’est valable que tant que l’homme accepte de s’y plier, Ben Ali l’aura compris à ses dépens. Un pouvoir fort est un pouvoir juste qui, lorsqu’il utilise la force, légitime son existence et sa position, par la protection de l’intérêt général et des citoyens qui aspirent à une dignité retrouvée. Ce pouvoir livré à lui-même, sans contre-pouvoirs et sans opposition, devient fou. Alors que nous aurions besoin de nous rassembler pour rebâtir, le pouvoir poursuit l’œuvre de déconstruction de la société. Comme les pouvoirs précédents, il se coupera de son peuple, qui finira par déserter les mosquées pour envahir les rues, et chasser un pouvoir rendu illégitime. Ce qui est en danger aujourd’hui, c’est la paix et la sécurité des citoyens, la survie de la société. Le combat sera rude et long. Il ne sera ni loyal ni juste. La règle est qu’il n’y aura pas de règles. Que ceux dont les rêves sont ornés de nuages blancs restent en dehors, ils n’auront pas les tripes.

W.B.H.A.