Blogs - 12.07.2012

Mourou réintègre Ennahdha ou le retour de l'enfant prodigue

Jeudi 12 juillet. Il est 11h35. Du haut de la tribune du congrès d'Ennahdha, le secrétaire général, Hamadi Jebali enflamme la salle. Soudain, il interrompt son discours remarquant des mouvements divers au fond de l’immense salle du palais des expositions du Kram où avaient pris place près de 6000 personnes entre invités et  délégués. Même s'il feint la surprise, Jebali était dans le secret. C’est l’enfant prodigue du mouvement, Abdelfattah  Mourou qui fait son entrée (programmée) dans la salle, scellant ainsi son retour au sein du mouvement dont il est l’un des fondateurs. Il a droit à un standing ovation qui durera plusieurs minutes. Visiblement ravi de l'accueil, il salue par de grands gestes de la main l’assistance avant de venir s’installer au premier rang au milieu des invités de marque et des dignitaires d’Ennahdha. Le chef du gouvernement  loue les qualités de Mourou et son apport au mouvement avant de céder la parole à Rached Ghannouchi qui ne cache pas sa joie de voir «le parti plus uni et plus fort que jamais avec le retour au bercail des pères fondateurs, notamment Salah Karkar, [ présent dans la salle], et Abdelfattah Mourou». Le Palestinien Khaled Méchaal, chef du Hamas,  insistera sur ce point appelant Mourou et Ghannouchi à agir en parfaite symbiose pour le bien du mouvement.

Quasi-inconnu de la grande masse des Tunisiens et notamment les jeunes, avant le 14 janvier après avoir quitté la scène politique suite à l'attentat de Bab Souika en 1991, le Cheikh Mourou fut révélé au grand public grâce à ses qualités de «debater» dans les débats télévisés et radiophoniques où il est souvent invité. Le verbe facile, la repartie prompte, il crève l’écran à chacune de ses apparitions. L'hiver dernier, Il s’est taillé un franc succès en critiquant vivement le profanateur du drapeau à la Manouba puis l’Egyptien Wajdi Ghénim qui venait de donner  une série de prêches dans les principales mosquées où il présentait sa propre vision de l’islam. Quelques jours plus tard, il rencontre, à sa demande, le prédicateur égyptien pour faire… acte de contrition. «Nous détenons le pouvoir, mais notre discours ne passe pas, confie-t-il à Ghénim. On doit procéder par étapes». La scène est filmée par un des agents du prédicateur et diffusée sur la Toile. Cette maladresse n’a pas pour autant suffi à écorner la réputation de notre cheikh.

Que faut-il pour faire un bon politique ?  du charisme, un art oratoire consommé  et du doigté. Abdelfattah Mourou réunit ces qualités, mais pas seulement. D’abord quelques détails dont l’intérêt peut paraître anecdotique s’ils ne permettaient d’aider à mieux cerner le personnage : il rappelle aux Tunisiens les cheikhs de la Grande-Mosquée des années 50 du siècle dernier par sa mise soignée qui tranche avec la barbe mal rasée et  les chemises ou les polos déboutonnés devenus l’uniforme de la classe politique depuis l'arrivée d'Ennahdha; c’est un cheikh atypique, toujours souriant,  qui ne boude pas les plaisirs (halal s’entend) de la vie : la musique (il lui arrive à ses heures perdues de chantonner quelques airs en allemand, une langue qu’il a apprise à Sadiki et qu’il apprécie tout particulièrement), la bonne chère et le sport ;  il est doté d’un humour très fin (une vertu trop rare dans ces milieux pour ne pas être signalée) qui contribue souvent à dérider l’atmosphère sur les plateaux, dans les moments de grande tension.

Mais l’essentiel est ailleurs : Mourou se présente souvent comme un  homme d’ouverture et de dialogue qui rejette toute forme de violence : il a été l’un des rares dirigeants d'Ennahdha à  dénoncer  l’attentat de Bab Souika. Son problème, c’est qu’il sacrifie trop souvent à son péché mignon : le double langage qui est, il faut bien le reconnaître, la chose la mieux partagée au sein du mouvement. Mais lui en use avec beaucoup d’habileté au point de dérouter à la fois ses amis et ses adversaires allant  jusqu’à se présenter sur une liste indépendante, aux dernières élections contre son ancien parti, histoire de tester sa popularité. Mal lui en a pris : il ne recueillera que quelques centaines de voix… Cette défaite humiliante l’a sans doute convaincue qu’il n’y avait  point de salut hors du parti. Dès lors, il n’aura de cesse de se rapprocher dEnnahdha en mettant en sourdine ses critiques (même si elles sont destinées parfois à donner le change) contre le mouvement. Quand on a interrogé Rached Ghannouchi, à la veille du congrès, sur les possibilités de retour de Mourou, il a répondu, énigmatique : « il est le bienvenu. Mais, au fait, a-t-il jamais quitté notre mouvement ?». On doit se rendre, aujourd’hui à l’évidence. Effectivement, il ne l’avait jamais quitté.

Hédi Béhi