Opinions - 01.07.2012

Moncef Guen à Marzouki : Essayons de sauvegarder nos bonnes relations avec le FMI

De Washington où il réside depuis de longues années, Dr Moncef Guen, Ancien haut fonctionnaire du Fonds monétaire international (FMI), adresse une lettre ouverte au président de la République, Moncef Marzouki. Sous le titre  « M. le Président, essayons de sauvegarder nos bonnes relations avec le FMI », il écrit :

Le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale ont été créés par les représentants de 44 pays réunis en juillet 1944 (en pleine 2ème guerre mondiale) à Bretton Woods dans le New Hampshire aux Etats-Unis d’Amérique. Ces deux grandes institutions ont joué et continuent de jouer un rôle cardinal dans le système monétaire et financier mondial.  
 
Le FMI compte 188 pays membres dont la Tunisie qui a adhéré le 14 avril 1958 soit deux ans après l’indépendance. Les pays membres sont représentés au sein de son Conseil d’administration par un système de quoteparts reflétant leur poids relatif dans l’économie mondiale. La Tunisie est membre d’un groupe hétérogène comprenant l’Iran, le Pakistan, l’Algérie, le Maroc et le Ghana, dans lequel aucune rotation n’est admise si bien que l’Iran et le Maroc se partagent respectivement les postes d’administrateur et d’administrateur adjoint depuis plus de trente ans. La Tunisie, à cause de sa quotepart modeste et le laisser-aller scandaleux de l’ancien régime, se contente d’un strapontin insignifiant. 
 
Le FMI assure la promotion de la coopération monétaire internationale et la stabilité des taux de change, facilite la croissance équilibrée du commerce international, fournit des ressources financières aux pays membres dont la balance des paiements est en difficulté ou pour contribuer à la réduction de la pauvreté. Il joue ce rôle fondamental par trois leviers principaux : (a) la surveillance macroéconomique en alertant les pays membres des risques qu’ils encourent (les agences de notation basent le plus souvent leur notation des pays sur l’analyse macroéconomique du FMI) et en prodiguant ses conseils de politique économique, (b) l’octroi de prêts à moyen terme à des taux raisonnables aux pays en difficulté de paiement et (c) la fourniture d’une assistance technique de grande valeur aux pays en vue d’une gestion saine et efficace de leurs économies. Il est important de souligner que les concours financiers des organisations internationales comme la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, la Banque islamique, le Fonds arabe de développement, la Banque européenne d’investissement, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement ainsi que l’Union européenne sont conditionnés par un satisfecit macroéconomique du FMI.
 
Le Président de la République vient de décider de sursoir à la promulgation de la loi votée par l’Assemblée constituante approuvant l’augmentation de la quotepart de notre pays au FMI. Sans utiliser l’argument que le Président, qui tire son pouvoir de l’Assemblée, ne peut pas nier à l’Assemblée son pouvoir de décision, il est utile de souligner que notre pays a entretenu de très bonnes relations avec le FMI et qu’il est dans son intérêt fondamental de continuer ces bonnes relations. La Tunisie est confrontée à une situation économique très difficile, a des problèmes de balance des paiements suite à la stagnation macroéconomique, au marasme du tourisme, au recul des exportations et des investissements étrangers, à l’augmentation des importations. Elle flirte avec un niveau très bas de ses réserves de change qui pourrait l’amener, si la trajectoire actuelle continue, à une cessation de paiements extérieurs. 
 
Il est vrai que l’ancien régime a su tromper certains experts du FMI qui avaient rédigé des rapports presque flatteurs de sa performance et qui n’avaient vu ni les déséquilibres des revenus et des régions ni l’ampleur de la corruption. Mais la Direction générale de l’organisation a présenté son mea culpa. Il est aussi utile de rappeler que le FMI s’est rangé au côté de la Tunisie dans ses moments difficiles comme dans les années 60 et 80. Il a élaboré avec les autorités tunisiennes des programmes d’ajustement structurels qui ont permis à notre pays de se redresser. Il a donné à la Tunisie un conseil extrêmement précieux à savoir honorer ses dettes, ce qui lui a permis de lever des ressources importantes sur les marchés internationaux, notamment au Japon. 
 
Par rapport à d’autres pays, l’endettement extérieur de la Tunisie n’est pas élevé. Si des dettes douteuses ont été contractées, on devrait simplement les renégocier mais il est impératif de continuer à les honorer. Le gros de la dette bilatérale est détenu par la France et le Japon. Il est capital que notre diplomatie se mobilise pour s'inspirer de l’exemple qu’a donné la République fédérale d’Allemagne qui a consenti des accords désendettement/développement. Il faut convaincre le Japon d’abord et, fort d’accords avec ce pays, convaincre la France qui l’a fait pour son pays chouchou en Afrique, la Côte d’Ivoire.
 
Monsieur Le Président, j’espère que vous sauvegarderez nos bonnes relations avec le FMI. Nous en avons le plus grand besoin.
 
Dr. Moncef Guen
Ancien haut fonctionnaire du FMI