Opinions - 06.04.2012

Trop, c'est trop !

Sans doute, l’indignation soulevée par les exactions salafistes et régulièrement exprimée tous les deux jours a ses limites. Elle finit, surtout, par lasser le bon peuple qui a d’autres chats à fouetter en ce moment avec la hausse continuelle des prix entre autres ! Sans doute encore, c’est sur cette lassitude que misent les activistes intégristes pour banaliser et multiplier leurs actions violentes chaque jour plus déstabilisantes pour le pouvoir civil, ruineuses pour notre économique chancelante et inquiétantes pour l’écrasante majorité des Tunisiens. Il n’empêche qu’il est impossible de passer sous silence certains agissements révoltants attribués à des éléments radicaux dont l’audace trouve sa source dans l’impunité que manifestement leur accordent les autorités. Celles-ci ne cherchent-elles pas à nous persuader qu’elles n’ont pu, à ce jour, mettre la main sur les agresseurs de Zied Krichen et de Hamadi Rdissi et le profanateur du drapeau qui a fini par se rendre.

En effet, comment se taire et ne pas dénoncer les violences subies mardi 3 avril  par le cadre enseignant du collège de Barnoussa, au Kef, et, plus spécialement encore, par le directeur de l’établissement dont le domicile a subi une tentative d’incendie et la voiture particulière a été brûlée ? Le motif de ce déchaînement hystérique réside dans le rappel par le directeur à deux élèves de la règlementation ministérielle interdisant le niqab dans les espaces scolaires.

Comment observer le silence et faire semblant de regarder ailleurs lorsque l’on apprend la profanation de tombes dans le carré orthodoxe du cimetière chrétien de Borgel ? Comment se faire en quelque sorte complice de ces nouveaux fascistes apparus sous nos cieux et ne pas réagir face aux menaces adressées au pope de l’église orthodoxe de l’avenue Mohamed V à Tunis et face à l’ultimatum de trois jours qui lui a été fixé pour qu’il se convertisse à l’islam, sous peine de voir ce lieu de culte, dont la façade a déjà été outrageusement souillée, purement et simplement incendié ? A moins qu’il ne règle le tribut que tout non musulman vivant en terre d’islam devait au calife ! Autres temps, mais mêmes mœurs ?

Comment ne pas condamner les appels au meurtre des juifs tunisiens ? Comment ne pas se solidariser avec Béji Caïd Essebsi qui a fait l’objet de menaces de mort proférées, qui plus est, par un haut fonctionnaire ? Comment ne pas être soulevé de colère par la lâche agression qu’une bande d’extrémistes a fait subir à l’ancien ministre de l'emploi dans le gouvernement Caïd Essebsi, Saïd Aïdi, qui a été copieusement insulté, traité d’athée et de francophile, bref considéré comme traitre ?

Après un pareil inventaire des exactions salafo-fascistes – mais sans aucune prétention à l’exhaustivité – l’on ne peut que tristement s’interroger sur l’impact d’un tel tableau sur l’opinion publique à l’étranger et se demander quelle image la Tunisie offre aujourd’hui au monde -- elle dont la Révolution a fait l’admiration de tous il y a un an à peine ! Samir Ettaïeb a indiqué au cours d’une émission télévisée qu’une large photo a été récemment publiée par un grand journal américain montrant le drapeau noir des salafistes hissé le dimanche 25 au-dessus de l’horloge de la place du 14 janvier. Est-ce là, ajoutait pertinemment le représentant du Pôle démocratique à l’Assemblée Nationale Constituante, la meilleure façon d’attirer investisseurs et capitaux étrangers ? En interdisant aux juifs et aux chrétiens de pratiquer leurs propres cultes, a-t-on pensé un instant à l’image que l’on donne ainsi de notre religion qui prône la paix et la tolérance ? A-t-on envisagé un instant les conséquences qu’une telle interdiction pourrait avoir sur les musulmans vivant en Occident et à qui des Marine Le Pen seraient tentées d’appliquer la règle de la réciprocité et donc de les chasser de France et de Navarre ?

Au risque évident de se répéter d’une chronique à l’autre, l’on ne peut que crier de nouveau pour savoir si nous nous sommes débarrassés d’une dictature aux ramifications mafieuses pour simplement ouvrir grand les bras aujourd’hui à une inquisition qui ambitionne d'établir une prétendue pureté religieuse ? Pour chasser juifs et chrétiens de chez nous ? Pour réclamer l’application de la chariâ ? Pour installer le règne du non droit dans le pays ? Mais alors, quelle place un tel programme réserve-t-il aux mots d’ordre de Liberté et de Dignité qui ont tellement galvanisé les foules entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011 ? Il nous faut amèrement reconnaître qu’il y a là un véritable détournement des objectifs de la Révolution qui ne peut laisser indifférents les démocrates authentiques. Aussi, ne faudrait-il pas compter sur nous pour nous lasser de réclamer encore et toujours une Constitution qui fera de la Tunisie un exemple pour le monde arabo-musulman, une Tunisie ouverte, moderne, tolérante, égalitaire et démocratique.

Mohamed Ridha BOUGUERRA