Opinions - 14.02.2012

Quelle clé d'allocation du budget de développement ?

L’objet de cet article est de proposer un nouveau système d’allocation des ressources  publiques du budget de développement  basé sur un nouveau processus d’allocation, d’une part,  et des clés d’allocation, d’autre part. Le nouveau processus et les règles d’allocation tiennent compte  du rôle de l’Etat dans la mise en place de la stratégie nationale de développementainsi que les handicaps structurels des régions.

C’est dans ce sens que nous proposons des clés d’allocation du budget de développement reposant sur cinq principes : La cohérence globale, l’efficacité, l’équité, la transparence et la simplicité.  Ces cinq principes sont cruciaux pour garantir la cohésion nationale et la réalisation des objectifs de la révolution. En plus, le  processus d’allocation est conçu sur la base de trois tranches du budget. Une tranche dite de Cohérence globale, une deuxième  dite  Républicaine et une dernière dite de Convergence.

Chaque tranche a ses règles et objectifs. En particulier, l’allocation de Convergence entre les régions  s’effectue selon une clé de répartition qui a pour objectif une croissance inclusive. Elle repose principalement sur  un indice  de développement régional construit qui tient compte de trois éléments à savoir, la marginalisation structurelle, la vulnérabilité économique et la vulnérabilité sociale des régions.

Les règles ou la discrétion dans l’allocation budgétaire

Se forger des règles d’allocation budgétaire  en particulier entre les régions,  permet aux pouvoirs publics de lancer un signal fort en matière d’engagement de l’Etat dans la réduction des disparités régionales et de s’engager dans des allocations budgétaires orientées vers le développement et la convergence régionale. Cela est d’autant plus vrai que la discrétion et l’arbitraire nuisent à la conduite de la politique  de développement régional et créent un environnement suspicieux alimenté par des conditions  économiques et sociales très difficile dans certaines régions. En plus,  la Tunisie ne dispose pas d’une règle d’allocation budgétaire explicite permettant même ex-post de mesurer le degré d’engagement des pouvoirs publics dans la poursuite de l’objectif de la convergence régionale.  De ce point de vue, la mise en place de règles d’allocation du budget de développement est un impératif qui permet de renforcer la crédibilité des pouvoirs publics en matière d’actions envers  la convergence régionale et met fin à toute décision arbitraire ou discrétionnaire. Enfin,  et c’est très important, les règles doivent être démocratiquement choisies et expliquées ce qui  permet de mettre fin aux pratiques discrétionnaires  en matière d’arbitrage régional et sectoriel.

A ce stade, il convient aussi de noter que l’allocation  du budget de développement ne doit pas être vue comme une répartition et distribution des ressources financières entre les régions. Au contraire, elle devrait être  conçue comme une détermination des dotations budgétaires que le pouvoir public se doit d’allouer par région pour financer divers  projets en vue d’assurer le développement du pays et la convergence régionale. La taille de la dotation par région ne sera plus le résultat de l’arbitraire et de la discrétion des pouvoirs publics mais plutôt  le résultat d’une démarche transparente permettant d’apprécier les besoins des régions en vue de la croissance inclusive. Notons enfin que cette démarche est parfaitement compatible avec un système de gouvernance régionale démocratique et décentralisé.

I - Principes de l’allocation du Budget de développement

Le processus et la  clé d’allocation du budget de développement doivent être régis par des principes. Ils sont au nombre de quatre : la cohérence globale, l’efficacité économique et sociale, l’équité, la transparence et la simplicité.

1. Le premier principe est celui de la cohérence globale qui consiste à ce que les pouvoirs publics doivent disposer des ressources nécessaires pour mettre en place certains projets d’intérêt national, interrégional et de désenclavement. L’Etat se doit de renforcer le tissu national de développement et d’établir la cohérence globale aux différentes actions privées et régionales. Il se doit aussi de jouer le rôle de coordinateur et incitateurs en palliant les failles  du marché et des régions qui risquent de ne pas avoir une vue d’ensemble  globale et cohérente. C’est la raison pour laquelle l’allocation du budget de développement doit mettre à la disposition de l’Etat central les ressources nécessaires pour mener à bien le rôle de coordination et de cohésion globale. 

2. Le deuxième principe est relatif à l’efficacité de l’investissement pour promouvoir l’inclusion économique et sociale à travers la croissance et la convergence régionale.  Dans ce sens il est important de prendre en compte les caractéristiques des régions et leurs avantages comparatifs pour assurer l’efficacité de l’investissement qui leur est alloué. De même,  la  relative vulnérabilité économique ou sociale  ainsi que  le degré de marginalisation d’une région sont  aussi des facteurs de l’efficacité de l’investissement. De ce fait, la vulnérabilité économique ou sociale ou la marginalisation en infrastructure pourraient être  considérés, au regard du principe d’efficacité, comme un critère crucial d’allocation.

3.
Le troisième principe sur lequel il convient d’asseoir une formule d’allocation est celui de l’équité. L’équité consiste à donner à chaque individu des chances égales de sorte que  les inégalités ne résultent que des différences dans l’effort ou la performance. Si l’on raisonne au niveau des régions, l’équité est de donner des chances égales de sortir de la pauvreté et du chômage en compensant les régions pour leurs handicaps structurels qui réduisent l’efficacité de leur effort. Ces handicaps structurels sont les caractéristiques durables des régions qui ne résultent pas de leur volonté régionale, mais de facteurs historiques et géographiques. De ce point de vue, l’insuffisance des infrastructures et les vulnérabilités économiques ou sociales sont candidates comme critères d’équité dans l’allocation de l’enveloppe; l’un et l’autre réduisent durablement les chances d’une convergence régionale.

4.
Le quatrième principe est celui de la transparence : il est important que les régions en tant que population, société civile et élus soient à même d’apprécier le poids relatif des critères d’allocation, car ceux-ci reflètent une politique de consensus national et non un arbitrage discrétionnaire, et que chaque région puisse calculer l’allocation qui lui revient par application de la clé.

5.
Le cinquième principe est la simplicité.  Il signifie que la formule doit être simple. Elle consiste à utiliser des indicateurs facilement accessibles, disponibles et nationalement reconnus et  doit intégrer de façon cohérente les différents critères d’allocation.

C’est sur la base de ces cinq principes que nous proposons une formule d’allocation de l’enveloppe régionale. Mais tout d’abord, il est nécessaire de construire un indicateur qui permet d’apprécier les besoins des régions en matière de développement à fin de mettre un processus d’allocation qui tient compte de ces exigences(1) .

II - Le processus  de l’allocation du Budget de développement

Afin d’éviter que les fonds disponibles ne se concentrent excessivement dans quelques régions et que les grandes villes soient pénalisées et dans un souci de respecter les cinq principes de cohérence globale, efficacité, équité,  transparence et simplicité, l’allocation des ressources est conçue comme un processus en trois  étapes définissant trois tranches.

1. Allocation de cohérence globale

Afin d’établir une tranche centralisée,   un  pourcentage Y%  du Budget global est déduit dès le début  et mis dans un pool centralisé consacré aux projets d’infrastructure d’intérêt national, interrégionaux de désenclavement, interconnexion ou commun tel que les Aéroports, hôpitaux, Stades,  ports, zones industrielles, centrale électrique…  Cette tranche commune centralisée  permet la cohérence de la politique de développement du tissu économique du pays.

L’utilisation de cette tranche dépend des priorités sectorielles déterminées  par les pouvoirs publics et est en quelque sorte la partie discrétionnaire de l’allocation du Budget. Il n’existe pas de règle explicite en pourcentage régional pour sa répartition. Le critère principal est l’efficacité économique et sociale et la recherche de cohérence globale du système économique du pays. Les choix de l’affectation seront le résultat de l’arbitrage réalisé au niveau des Ministères sectoriels.

 Il va de soi que plus cette tranche est importante et plus on augmente la part discrétionnaire du budget d’où la nécessité de limiter cette tranche à un pourcentage raisonnable en fonction des niveaux historiques et futurs des grands travaux du pays.  De même, l’utilisation exclusive de cette tranche dans des projets  d’intérêt national et interrégional réduit le souci de l’arbitraire et de  discrétion. Il est même possible de concevoir un système où les régions soumettent des grands projets d’intérêt national ou inter-régional dont le financement dépasse leurs allocations.

2. Allocation Républicaine

Cette tranche du Budget du développement est répartie selon une clé Républicaine de citoyenneté basée sur le droit au développement de tout citoyen. C’est la raison pour laquelle que la clé de répartition concernant cette tranche doit conduire l’Etat à dépenser pour le bien être de chaque citoyen la  même somme. C’est donc une allocation par tête selon laquelle le montant global de la tranche Républicaine (X% du budget) est divisé par le nombre totale de la population En se basant sur le principe  Républicain de droit de chaque citoyen au développement,  cette règle est équitable car chaque tunisien est traité de la même manière. En revanche, chaque région se voit  attribuée un montant proportionnel à sa population bien que chaque individu soit traité de la même manière. C’est un principe d’équité voire même de justice.

L’allocation effective Républicaine dépendra du montant de la tranche de l’allocation Républicaine que les pouvoirs publics doivent choisir en fixant dès le début le % X du Budget global à consacrer à cette tranche. En l’absence d’inégalité régionale, les pouvoirs publics pourraient maximiser cette tranche de sorte que  cette règle soit suffisante  pour répartir le budget de développement. Cependant, l’existence des inégalités et le souci de la convergence conduit à concevoir une troisième tranche traitant les questions des handicaps structurels des régions.

3. Allocation de Convergence

Le montant restant (100- X- Y)% après déduction de l’allocation Républicaine et de Cohérence globale  est réparti selon une clé d’allocation qui tient compte des handicaps structurels des régions pondérée par la taille de la population. Elle a pour objectif de permettrele rééquilibrage/convergence/inclusion des régions. L’application de la clé de répartition permet de calculer pour chaque région la part des ressources qui lui revient après qu’une allocation Républicaine ait été attribuée à chaque région.

III - Les critères de la clé d’allocation de convergence

Si l’objectif est uniquement de combler le retard de certaines régions par rapport aux autres et assurer la convergence régionale, il est nécessaire de construire un indice de développement régional ou autrement dit de retard ou vulnérabilité.  En effet, nous proposons de tenir compte des handicaps structurels auxquels se heurtent certaines régions  pour sortir de la pauvreté et achever la convergence nationale. Ces handicaps sont appréciés à travers trois critères  structurel, économique et social.  L’introduction de ces critères dans la clé d’allocation réduit  l’instabilité de la répartition puisque les handicaps structurels sont par définition relativement stables et nécessitent du temps pour être absorbés. Elle permettrait aussi de traiter dans un cadre intégré le problème des régions les plus défavorisés et/ ou les plus peuplées.

1. Le degré de marginalisation structurelle

La situation actuelle d’une région défavorisée mesure l’écart que doit parcourir une région pour rattraper une autre. Il est synonyme d’un besoin régional en matière de développement et est à la fois un critère d’équité et d’efficacité. En effet, il est équitable d’octroyer les mêmes moyens à ceux qui sont dans une situation actuelle très en retard par rapport aux autres. Ceci est vrai parce que la répartition favorisera ceux qui n’ont pas les moyens aujourd’hui pour qu’ils  puissent disposer des mêmes chances de développement. C’est la forme la plus forte de l’équité. De même ce critère obéit au principe de l’efficacité car généralement le rendement du capital est décroissant et plus l’investissement est élevé dans une zone dépourvue plus il est rentable en matière d’objectif.

2. La vulnérabilité économique

Les facteurs de vulnérabilité économiques déterminent les besoins des régions. Il s’agit de la nature des activités économiques dominantes dans la région et qui subissent les aléas naturels ou les chocs extérieurs, soit à travers la production ou le commerce extérieur, notamment en raison de la variation des prix internationaux des produits primaires tel que l’huile d’olive, le phosphate…, soit du fait d’incidents climatiques ou de désastres naturels ou de récession économiques.  Ces évènements, qui certes en eux-mêmes réduisent la dynamique des régions, augmentent l’efficacité de l’investissement régionale. En d’autres termes, l’investissement public régional est marginalement plus efficace dans des régions économiquement plus vulnérables.

3. La vulnérabilité sociale

Un faible capital humain  conjugué avec des conditions sociales extrêmes conduit impérativement à générer des besoins importants en matière d’investissement pour accélérer les rattrapages des autres régions et donc la convergence. C’est donc dans une perspective d’équité qu’il convient alors de prendre en compte cette caractéristique comme critère de répartition. En permettant d’accroître le capital humain dans sa double dimension scolaire et de santé, le développement régional peut contribuer à long terme à sortir les régions d’une trappe de  pauvreté puisque le manque de capital humain qualifié et accédant aux soins de santé ne permet pas d’attirer les entreprises et  créer de l’emploi. C’est la raison pour laquelle que  répartir les ressources pour  permettre aux régions de surmonter aux handicaps sociaux structurels d’éducation, de santé et de pauvreté est un critère  crucial d’équité.

IV - Un exemple d’allocation globale

Nous prenons dans ce cas l’exemple  d’une allocation de X MD à répartir entre les trois allocations.  L’allocation d’une région est la somme  de son allocation  Républicaine et son allocation de Convergence. La première dépend du  montant X% du budget alloué à l’allocation  Républicaine et de la taille de sa population alors que la seconde dépend du  montant Z% alloué à l’allocation de  Convergence et de son  Indice régional.

Plus la région est peuplée, et  plus elle obtient une  part importante de l’allocation  Républicaine. Mais plus l’Indice de vulnérabilité est  élevé, et  plus elle obtient une part importante de l’allocation de Convergence.  Le résultat d’une région dépendra à la fois de ces deux mécanismes.

Tableau 1: Cohérence=30%, Républiaine=20%, Convergence=50%

gouvernorat

Clé Convergence

Clé Républicaine

% Allocation totale

Kasserine

7,50

4,10

6,53

Kairouan

7,01

5,31

6,52

Sidi Bouzid

6,96

3,90

6,08

Médenine

5,67

4,31

5,28

Gafsa

5,84

3,20

5,09

Jendouba

5,47

4,01

5,05

Nabeul

4,18

7,14

5,02

Bizerte

4,70

5,18

4,84

Sfax

3,15

8,84

4,77

Mahdia

4,66

3,76

4,41

Gabés

4,72

3,43

4,35

Béja

4,38

2,89

3,95

Tunis

1,48

9,44

3,75

Le Kef

4,16

2,43

3,67

Monastir

3,17

4,90

3,66

Manouba

3,71

3,51

3,65

Siliana

4,17

2,21

3,61

Sousse

2,60

5,80

3,52

Tataouine

3,90

1,39

3,18

Kébili

3,75

1,43

3,08

Ben Arous

2,06

5,49

3,04

Ariana

1,87

4,75

2,69

Zaghouan

2,75

1,61

2,43

Tozeur

2,15

0,98

1,82


V - Conclusion

Eu égard à l’objectif et les principes énoncés, l’application des propositions sur des cas fictifs  montre la pertinence de cette règle eue égard à l’objectif et les principes énoncés.  Afin de mettre en œuvre cette clé d’allocation,   Les pouvoirs publics doivent tout d’abord répondre aux questions suivantes:

1. Quel est le X% de la tranche de l’allocation  Républicaine?
2. Quel est le Y% de la tranche de l’allocation de Cohérence?
3.  Quel est le Z% de la tranche de l’allocation de Convergence ?
4. Le choix est évidement  politique  mais guidé par les éléments évoqués dans le document.

(1) Voir les cahiers du cercle n2 : http://www.Cercle-economistes-tunisie.org

Prof. Taoufik Rajhi
Président du Cercle des Economistes de Tunisie