Quand la femme et les salafistes s'invitent dans une réunion d'Ennahdha sur le tourisme tunisien
Une réunion pour rien ? Oui, si l’on pensait que cette initiative prise par Ennahdha pour débattre des problèmes du tourisme, jeudi du côté des berges du lac allait faire avancer le débat sur ce secteur. Or, ce qui a été dit sur les maux du tourisme tunisien nous a laissé une impression de déjà entendu.
Une déclaration liminaire de Hamadi Jébali aux accents de discours de politique générale qu’on prononce généralement lors d’une investiture et les débats démarrent. Le surendettement des hôteliers, le manque de diversification du produit touristique, la dégradation de la qualité du service, la dépendance vis-à-vis des TO étrangers, l'open sky. Des problèmes qui perdurent au point qu’on se désespère d’y trouver un jour une solution, ou même un début de solution. Par contre, ce qui est nouveau, c’est le ton des débats. Fini le bel ordonnancement des réunions d’antan, avec leurs tabous, leur langue de bois et leur unanimisme. Désormais, on n’hésite pas à interpeller les responsables, sur un ton comminatoire, à la limite de l’irrespect, dans une joyeuse anarchie. Un intervenant, en retard d'une guerre, croit bon de remercier le Secrétaire général d’Ennahdha pour… sa ponctualité. Mouvements divers dans la salle. Des cris fusent : « pas de flagornerie (yezzi mitbendir) ». Tout penaud, il rend le micro et se rasseoit . Un jeune se saisit du micro pour parler de ses problèmes. On le lui «arrache» gentiment. « Y a-t-il une alternative aux marchés traditionnels ? », s’interroge un autre intervenant, « par exemple, les marchés du Golfe ». La salle désapprouve et le fait savoir par des sifflets. Un hôtelier a une idée lumineuse : La Tunisie a été chrétienne pendant quatre siècles et abrité une forte communauté juive. Il propose entre autres que les édifices chrétiens et juifs du pays soient restaurés pour "promouvoir le tourisme religieux". H. Jébali opine.
Mais la grande, la belle surprise de cette réunion est ailleurs : la femme et les salafistes se sont invités dans les débats. A priori, on peut se demander, ce que viennent faire ces deux sujets dans une réunion sur le tourisme. En fait, nous sommes au cœur du problème. Car les agressions contre les femmes non voilées dans la rue et les enseignantes dans les facultés, les affaires du Nikab à l’université, les files d’attente séparées, la cacophonie autour du code du statut personnel, les dernières déclarations de Souad Abderrrahim, membre du bureau politique d’Ennahdha sur les mères célibataires, tout cela a, de l'avis de nombreux professionnels du tourisme, écorné sérieusement l’image d’une Tunisie tolérante et respectueuse des droits humains à l’étranger et provoqué l’inquiétude non seulement des Tunisiens, mais aussi des étrangers qui y sont extrêmement sensibles, d’autant plus que la presse a amplifié ces évènements.
Malgré toutes ses lacunes, notre tourisme a maintenu plus ou moins ses parts de marché sur les principaux pays émetteurs et notamment la France, parce que la Tunisie a su rester fidèle à l’héritage de Bourguiba en matière de droits de la femme, se démarquant nettement des autres pays de la région. A cause de ces agissements, confirme un TO Juif tunisien basé à Paris «la Tunisie souffre d'un déficit d'image auquel il faudra très vite remédier», révélant que certains de ses clients qui avaient réservé depuis l'été pour le réveillon de fin d'année ont annulé leurs réservations». S’adressant à Hamadi Jebali, une jeune directrice d’agence de voyage lui demande une position claire sur ces sujets. Cette intervention a le mérite de délier les langues. Un de ses confrères ne s’explique pas l’attitude du leader d’Ennahdha : « Comment ose t-il demander que ces salafistes soient reconnus en tant que parti ?». Une autre dame abonde dans le même sens « Ghannouchi a dit que vous ne toucherez pas aux droits de la femme, est-ce que vous confirmez ? Réponse de Jebali : « M. Ghannouchi a exprimé exactement le point de vue de notre parti. Ennahdha est fille de ce peuple. Elle n’est pas venue de nulle part. Nous allons renforcer ces droits ». Applaudissements timides dans la salle. Elle attendait certainement davantage pour se rassurer.
Une réunion pour rien ? Certainement pas. Elle a permis au moins au parti majoritaire de prendre le mesure de la détresse des femmes tunisiennes aujourd'hui, mais aussi de leur combativité et de leur volonté de défendre mordicus leurs acquis. Même si les problèmes du tourisme nécessitent d'autres réunions, des idées pertinentes et surtout beaucoup d'investissements.
H. Behi