Opinions - 09.06.2011

A quand le 14 Janvier du sport ?

Depuis un peu plus de deux mois, M. Mohamed Ghanouchi, l’ancien premier ministre pendant douze ans du président déchu Ben Ali et aussi premier ministre des deux premiers mois de l’ère nouvelle, a été forcé de lâcher prise après s’être accroché à son poste de toutes ses forces pour des raisons que l’avenir nous fera certainement découvrir.

Mr Béji Caïd Essebsi lui a succédé et  pris la décision de garder tous les ministres de M. Ghannouchi  qui voulaient rester à leur poste.

A mon humble avis, il a commis là , la faute la plus importante de ses deux premiers mois d’exercice .
En gardant les ministres de M. Ghannouchi, qu’il ne connaissait pas tous très bien et dont certains  n'étaient pas tout ce que l’on a fait de mieux  (voir le feuilleton de  Farhat RAJHI et le départ de  Slim AMAMOU), il endossait le résultat de la gestion de ministres nommés par son prédécesseur et en devenait, de ce fait comptable puisque c’est lui qui, à la fin de sa mission , sera jugé sur les résultats de l’action de tout son gouvernement.
Tant qu’à faire, et sauf contrainte majeure, il aurait mieux fallu nommer un nouveau gouvernement qu’il aurait choisi en totalité et dont il allait assumer les résultats.

Mais force est de reconnaitre aujourd’hui que, malgré toutes les difficultés rencontrées et les problèmes à notre frontière avec la Libye, beaucoup de choses sont en train de se réaliser  et son bilan est, à ce jour, largement positif.

Depuis le 14 Janvier, le pays connaît une révolution qui fait honneur à tous les Tunisiens.
Les barons de l’ancien régime sont en train d’être jugés. L’assemblée nationale, la chambre des conseillers et le RCD ont été dissouts. L’ancienne constitution  a été abolie, et tout le pays travaille déjà à la préparation des prochaines échéances.
La majorité des institutions est remise à plat et, dans quelques mois, une nouvelle assemblée constituante, légalement élue, siègera.

Un domaine des activités de ce pays et non des moindres a pourtant échappé à tout cela. Il s’agit du SPORT.

Plus de quatre mois sont passés depuis le 14 Janvier et on serait bien en peine de citer une seule action importante  entreprise dans ce domaine pour  le faire avancer, le réformer et le mettre au diapason de notre révolution ?

Le comité olympique (CNOT) qui avait été choisi et présidé par M. Abdelhamid Slama alors qu’il était le conseiller de l’ancien président en matière de sport (je vous laisse apprécier le cumul de ses fonctions) est toujours le même, à la même place. Le seul changement qui  a eu lieu, a été l'ordre qu'i a reçu à la veille des dernières élections, sous l’ancien régime,  de céder sa place à M. Slim Chiboub. Ce qu’il fît. Puis, au lendemain de la révolution, le remplacement de celui-ci par M. Younès Chettali alors vice-président. Tout le reste du bureau du CNOT est encore en place.

Les bureaux de la Fédération Tunisienne de Football (FTF) ainsi que ceux d'un certain nombre d'autres Fédérations ont été choisis et installés par l’ancien régime, et rien n’a changé jusqu’à ce jour, à l’exception de la démission de M. Ali Hafsi (ex président de la FTF).

Bien que je n’ai jamais  partagé ses idées,  je dois lui rendre un hommage pour sa geste. Il faut rappeler qu’il avait été élu !….et que s’il avait tenu à garder son poste jusqu’en 2014,il aurait été difficile de l’en déloger.
Je ne connais pas les motivations de sa démission, mais, ce faisant, il a levé un sérieux obstacle sur la voie des réformes. Son acte représente un premier pas vers la dissolution du bureau fédéral.
Ce CNOT ainsi que ces Fédérations ont vu après le 14 Janvier certains de leurs responsables annoncer leur opposition à l’ancien régime (un peu de décence s’il vous plait !) alors qu’ils en étaient l’émanation et le symbole :

- Tel président annonce qu’il qu'il prolonge son mandat d'une année.
- Tel autre annonce qu’il s’accrochera à son mandat, contre vents et marées, jusqu’à la fin
Que fallait-il qu’ils fissent me diriez-vous ?
La moindre des choses aurait été qu’ils assument au moins ce qu’ils étaient et qu’ils se mettent au diapason de ce que vit le pays en entamant les réformes en profondeur qui s’imposent.
Je n’ai pas besoin de rappeler que la situation du sport en Tunisie était très alarmante à la fin de l’ancien régime. Je l’ai dénoncée dans le journal LE TEMPS dans un article en date du 29 Mars 2010   intitulé ‘Et maintenant ?.....’ dans lequel j’ai mentionné les lacunes dont souffraient notre football ,mais cela était aussi valable pour la majorité des autres sports :

« - la formation des joueurs : des présidents de clubs qui négligent cette formation
- parce  qu’ils ne sont intéressés que par les résultats immédiats 
- la formation des entraineurs
- la formation des arbitres
- la formation des dirigeants
- la tenue morale et professionnelle des médias
- une autorité de tutelle qui ne doit exercer son pouvoir que là où elle doit le faire…
- etc
Qu’un maillon de cette chaîne ne fasse pas convenablement son travail et la sanction est immédiate.
Aujourd’hui, force est de constater que les défaillances se situent à tous les maillons. Tout se tient et nous ne gagnerons notre pari que si tous les problèmes sont abordés. »

Après  la révolution, cette situation s’est encore  dégradée. La plupart des clubs sont actuellement en situation de faillite.

Alors, devant cette situation, tous les jours, toutes les heures et toutes les minutes comptent.
Il aurait fallu , dès le 15 janvier, créer des commissions spéciales et tout réformer aussi bien au niveau des règlements internes des Fédérations que des lois générales qui régissent les clubs et le sport en Tunisie.
Le sport est très malade et toutes ces instances l’ont regardé, ces quatre derniers mois, dépérir sans esquisser le moindre geste.

Quant à l’autorité de tutelle, à l'instar de Ponce Pilate, elle semble s’en laver les mains, s’appuyant sur le fait qu’il s’agit d’instances élues auxquelles on ne peut rien imposer.
Cela est en partie vrai ; mais on pouvait, quand même,  appeler ces responsables, dialoguer avec eux, les raisonner pour leur faire prendre les bonnes décisions dans l’intérêt supérieur du pays. Les connaissant, je suis certain  que le dialogue persuaderait la majorité d’entre eux. Sinon, il faudrait  rappeler aux récalcitrants  les leviers dont dispose l’état pour les pousser à épouser la cause du changement opéré dans ce pays depuis le 14 Janvier.
Ce n’est pas parce que l’état ne doit pas intervenir dans l’élection de ces instances, qu’il doit se taire ou continuer à les soutenir financièrement, quand leurs agissements sont contraires aux intérêts du pays.

Face à cette situation, nous pensons pour notre part qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire et que l ‘autorité de tutelle devrait enclencher ce processus dans les plus brefs délais.
Trop de temps est déjà perdu.

Alors qu’y a t-il d’autre  à faire à part pousser ces instances vers de nouvelles élections cet été ?
Il faudrait, parallèlement, constituer les commissions nationales suivantes ,à l’image de ce qui a été fait sur le plan politique :

- Une commission générale pour toutes les disciplines du sport dont le rôle sera une refonte totale des lois qui le régissent.
- Des commissions spécifiques pour chacun des sports et dont le rôle sera la refonte des règlements internes à chaque Fédération.

Ces commissions, la générale et les spécifiques, seront constituées de personnes connaissant bien le sport et ayant des expertises, non seulement   dans les divers domaines classiques  qui le régissent , mais aussi dans d’autres domaines, tels celui des nouvelles technologies.

Ces personnes existent en Tunisie, un bon nombre  ne sont même pas connues du grand public et leur apport serait certainement très utile.

Il appartient à l’autorité de tutelle de désigner les membres de ces commissions après consultations avec qui de droit.

La commission supérieure des réformes politiques  ainsi que les deux autres  commissions indépendantes ont bien été initiées et installées par l’autorité  et sont en train de faire du bon travail pour notre avenir.
Pourquoi ne pas faire autant pour le sport ?

Les commissions  à créer ,auront  pour objectif de produire, après consultation avec toutes les parties prenantes, et dans un délai de trois mois, les textes de lois et les textes règlementaires  qui devront régir le Sport et les Fédérations.

Il est bien entendu que ces textes de loi seront soumis au vote de la prochaine assemblée nationale et ces textes de règlements intérieurs seront soumis aux votes des assemblées générales extraordinaires des différentes Fédérations, dont les nouveaux bureaux fédéraux auront été élus.

Nous pensons que cette feuille de route est réalisable avant la fin de l’été 2011 ce qui aura pour avantages de faire gagner une année à notre sport et permettra aux clubs de démarrer la saison sportive prochaine dans de bien meilleures conditions.

Le sport vit certainement la crise la plus grave de son histoire. Aujourd’hui, les problèmes se situent à tous les niveaux : les hommes, les mauvaises habitudes ,les règlements ,etc.

Mais impossible n’est pas Tunisien .Notre pays a réussi à se libérer d’un régime dictatorial, et à se mettre dans la bonne direction. Alors , il n’y a aucune raison pour que le SPORT n’ait pas son 14 janvier.

Khaled SANCHOU
Ancien Président de la FTF
Actuellement membre de la CAF