Opinions - 16.05.2011

Les élucubrations d'Ahmed Ben Bella

Ahmed Ben Bella. Un nom qui ne dit pas grand-chose aux jeunes tunisiens aujourd’hui, pas plus qu’aux jeunes algériens. Mais pour ceux qui ont connu la révolution algérienne, il était le symbole de la lutte contre l’occupant français. Paradoxalement, il s’illustra davantage dans les batailles engagées par l’armée française au cours de la deuxième guerre mondiale notamment à Monte Cassino, en Italie que dans les maquis de l’Aurès. Et pour cause, l’avion qui le transportait avec ses quatre compagnons, Bitat, Ait Ahmed, Boudhiaf et Lacheraf  vers Tunis a été détourné par l’armée française d’Algérie en octobre 56. Détenu depuis à la prison de Fresnes, il ne fut libéré avec ses compagnons que quelques semaines après le cessez-le-feu du 19 mars 1962, mais il bénéficia de l’aura qui entoure généralement les prisonniers politiques d’autant plus que les conditions de sa capture (c’était le premier acte de piraterie aérienne de l’histoire) avaient suscité une émotion considérable dans le monde. Mettant à profit cette notoriété, Ben Bella s’empara du pouvoir quelques semaines après l’indépendance avec l’appui de l’état-major de l’armée de libération nationale basé à Ghardimaou.

Ancien adjudant-chef de l’armée française, ayant peu fréquenté l’école, Ben Bella s’entoura de ceux qu’on appelait alors les Pieds-rouges, des intellectuels de gauche français et arabes qui, après s’être  engagés au côté de la résistance algérienne, cherchaient à tester leurs théories économiques et sociales in vivo. Homme fruste, le nouveau maître de l'Algérie avait le complexe des diplômes. Il laissa faire ces conseillers, à charge pour eux de faire de l'Algérie la principale puissance de la région comme ils le lui promettaient. On calqua le modèle soviétique pourtant en pleine crise  en privilégiant l’industrie lourde baptisée pompeusement industrie industrialisante et on sacrifia l’agriculture avec les résultats catastrophiques que l'on sait. Admirateur de Nasser, Ben Bella recruta pour sa part des dizaines de milliers d'enseignants dont un grand nombre d’égyptiens intégristes envoyés par Nasser pour assurer l’arabisation du pays. Leurs élèves formeront les cadres du futur FIS dans les années 80. Ben Bella dirigera l'Algérie pendant  près de trois ans. Le 19 juin 1965, il est  renversé par le colonel Boumediene qui avait étudié à la Khaldounia pendant quelques mois avant de se rendre au Caire où il aurait fréquenté l'université El Azhar selon sa biographie officielle. Arrêté et jeté en prison sans être jugé, il y restera jusqu'à l'arrivée au pouvoir de Chadli Ben Jedid. Choisissant l'exil après sa libération, il  retournera dans son pays quelques années plus tard à bord d'un paquebot. Il s'attendait à un accueil triomphal. Ce sera un véritable flop. Les quais du port d'Alger étaient déserts. N'est pas Bourguiba qui veut. La majorité des Algériens ne  se souvient plus de lui. Pire, ceux qui s'en souviennent se mettent à douter de son algérianité.

Aujourd’hui à 94 ans et bien qu’ayant perdu tout crédit, Ahmed Ben Bella veut se rappeler au mauvais souvenir de ses compatriotes et des Tunisiens, ressassant les mêmes idées, offrant ses conseils aux uns, tançant les autres et surtout donnant libre cours à la haine qu’il a toujours nourries à l’encontre de la Tunisie et de Bourguiba auquel il n'avait jamais pardonné de s'être opposé à son idole, le raïs égyptien. A l’en croire, "ce qui se passe en Tunisie n’est pas une révolution", d’ailleurs « les Tunisiens n’en sont pas capables », contrairement aux Marocains qui, eux, sont « de vrais combattants » et non des « poules mouillées », déclare t-il dans une interview à Jeune Afrique.  C’est l’ingratitude faite homme, quand on sait qu’il a été naguère l’obligé de ce peuple qu’il accable aujourd'hui d’injures et de propos racistes dans des termes qu'un Le Pen n’aurait pas désavoués. Déjà en pleine force de l’âge dans les années 60,  il avait fait toujours les mauvais choix lorsqu'il était au pouvoir et  avec une persévérance dans l’erreur quasi pathologique.  Dès lors, que peut-on attendre d’un nonagénaire subissant de toute évidence le naufrage de la vieillesse.