C'est l'heure du rassemblement !
Un mois de révolution, un mois de révolte, un mois d’insoumission : la première facture du calme.
Tel est le schéma intrinsèque que l’on attribuerait à la majorité des tunisiens pour venir à bout de l’oppression qui les a tant fait souffrir et indignés durant plus de 20 ans.
« Une révolution classique », diront certains, d’un peuple qui s’est débarrassé du pénible fardeau dictatorial et qui s’est constitué partie civile. Le constat reste légitime tant qu’il s’intéresse à l’aspect ou à l’allure de la révolution, mais dès lors qu’il en découvre l’âme, il demeure infondé. Cette révolution est propre à l’âme de ses martyrs, arabes et méditerranéens. Cette révolution est Tunisienne et non un avatar d’une quelconque autre révolution occidentale.
Le message du tunisien révolutionnaire semblait pourtant clair : « Liberté ». Cette même liberté lui a procuré l’espoir du soulagement relayé dans les rues par un souffle de délivrance. Cette même liberté l’a plongé dans un sentiment de témérité et d’appréhension dès qu’il était question de la préserver. Le tunisien se sentait ainsi libre de partir à la quête des sens : libre de vivre, libre de s’exprimer, libre de s’affirmer, libre d’exulter, libre de condamner, libre de récriminer. Guidé par son unique instinct, il était pour la première fois entendu, reconnu et respecté. Il s’est découvert une nouvelle forme de réalité bâtie par son miracle sur les fondements de l’estime, de la dignité et de la juste reconnaissance. Internet lui a suggéré le Rêve de la liberté, que son sang a transformé en Liberté de rêver. Il se voyait ainsi libre de réclamer les instruments « sous-garanties » de ladite Liberté.
Face à cette foudroyante ferveur populaire, le gouvernement provisoire de Ghannouchi, quel qu’il fût, ne pouvait évidemment pas suivre le rythme imposé par la renaissance du peuple. Plus les jours passaient, plus il perdait de sa légitimité. Ce gouvernement, atrophié ne serait ce que par l’historique du régime sanguinaire précédent, n’était qu’au stade de réformer les réformes et de restructurer les forces de l’ordre fourvoyées. Le gouvernement était instable face à une pression implacable et vigilante d’un peuple soucieux qui s’estimait déjà prêt à vivre librement.
Il ne s’agit pas de critiquer l’ancien gouvernement provisoire, loin de là, mais bel et bien de sensibiliser le tunisien sur tout ce qui se passe autour de lui, de ses nouvelles fonctions de citoyens jusqu’à l’environnement politique et social auquel il appartient. Il faudrait ainsi commencer par analyser quelques facettes du passé pour comprendre la réalité du présent. Nous ne pouvons nous empêcher d’admettre qu’en dépit des efforts investis et des discours prononcés, ce gouvernement provisoire était dépassé ; il se voulait rassurant mais répandait involontairement l’inquiétude, il se voulait sécuritaire mais ne maitrisait pas encore son autorité, il se voulait unitaire mais provoquait maladroitement le désordre. Le gouvernement de Mohamed Ghannouchi était instable, non pas parce qu’il n’était pas à la hauteur de ses responsabilités, mais parce qu’il ne pouvait satisfaire les attentes que lui incombait la nervosité d’un peuple impatient. Il se voulait à la merci du tunisien avant même de décider, démocratique avant même de communiquer et souverain avant même de s’affirmer. Il se voulait ainsi démissionnaire avant même de gouverner.
La Tunisie a vécu une incapacité politique, n’ayant pas peur des mots : un réel vide politique. Il serait pourtant impensable de parler d’aspirations démocratiques sans parler de rupture brutale et totale avec l’ancien régime de Ben Ali. Si nous devions retenir un seul point positif, et non moins essentiel, de ce néant politique, c’est qu’il a permis par la force du peuple d’écarter progressivement l’ignominie et la dépravation initiées par les têtes dirigeantes de l’ancien régime. Les Tunisiens se sont rassemblés autour d’un rejet pulsionnel général envers ceux que nous appelons les petits Ben Ali : le signe d’une unité nationale retrouvée semblable à celle de l’après indépendance. Il s’agit d’une condition nécessaire mais pas suffisante à la garantie de l’avènement du peuple tunisien. La problématique aujourd’hui est de remplir le vide politique, et plus particulièrement de bien le faire car « la nature a horreur du vide ».
Les partis politiques ne sont malheureusement pas exempts de tout reproche. Ils n’ont jusqu’à présent pas réussi à combler une partie du vide politique, bien plus préoccupés, à séduire qu’à guérir, à critiquer qu’à construire… Certains ont accru le fossé entre le gouvernement et le peuple afin de donner plus d’impact à leurs promesses miraculeuses, qui ne restent qu’illusions tant qu’elles ne sont pas matérialisées par des actions substantielles.
Où sont ces partis politiques qui n’attendaient que le départ de Ben Ali pour éclore. Faute de moyens ou de structure ? La seule excuse « tolérée », c’est qu’ils n’ont pas existé quand le peuple les a réclamés. Choisir de représenter un groupe de personnes, c’est commencer par se considérer comme partie intégrante d’un peuple de personnes. Les partis auraient-ils confondu leurs intérêts avec l’intérêt national à l’instant t = révolution ? Il ne fallait pas grand-chose pour se rapprocher du peuple, pour le toucher, le sensibiliser, le réunir, l’organiser, l’informer, le guider, le conseiller, le flatter et le raisonner. Il ne fallait pas grand-chose pour être à la fois le confident, le garant et l’interlocuteur privilégié de la foule : le liant principal entre le pouvoir et le peuple. Comment voulons-nous instaurer un ordre social alors que nous n’arrivons pas à générer un ordre moral au sein de partis totalement libres de s’organiser ? Tant d’interrogations pour un tunisien qui cherche à donner un sens à sa démocratie. Tant qu’il restera dans la division il restera dans le doute, et ne pourra retourner travailler l’esprit libre, de peur d’être trompé dès qu’il aura le dos tourné. Agir ensemble constituera notre meilleure avancée. Que dire d’un peuple soulagé qui n’a besoin que de sérénité pour faire don de sa liberté au service du progrès. Un progrès encore bon marché : avis aux investisseurs étrangers.
Nous n’allons pas intervertir une dictature en une démocratie en peu de temps. La démocratie est un apprentissage institutionnel de longue haleine qui passe, tout d’abord, par un sacrifice progressif de l’intérêt personnel au bénéfice de valeurs morales communes. N’oublions pas que la démocratie estropiée de Ben Ali, soutenue par la démocratie impérialiste occidentale, avait réussie à spolier un peuple tout entier. La démocratie n’a aucune définition universelle, parler d’un modèle démocratique nous oblige à le situer dans un référentiel politique, social et économique, précis dans l’espace et dans le temps. Notre démocratie sera ainsi notre concept politique qui ne trouvera signification qu’à l’intérieure de nos frontières, dans notre culture, nos traditions et nos préceptes. Le seul caractère universel de toute démocratie réside dans l’intérêt de préserver la souveraineté du peuple. Il ne se justifie ni par le nombre de partis politiques recensés, ni par l’expression spontanée et désordonnée d’un sentiment populaire, deux phénomènes encore visibles dans une Tunisie post-révolutionnaire. La démocratie serait plutôt appréciée par l’interaction organisée d’unités rassemblant des personnes autour de valeurs, de principes, de doctrines et d’idéologies tant qu’elles restent universelles. Pour garantir le bien commun, de la naissance des idées jusqu’au vote de la citoyenneté, ce système politique doit bien évidemment être régi par des règles aussi bien définies que respectées.
L’issue de ces règles se dessinera par une Assemblée Constituante. La principale bonne nouvelle est que tout le peuple votera un certain 24 juillet. Cependant, les partis politiques répartis aujourd’hui en 63 unités ne reflètent aucune solidarité, ni une réelle envie de se rassembler mis à part quelques velléités dans ce sens qui tardent à se concrétiser. Faut-il d’abord qu’ils rassemblent le peuple autour de leurs unités sans conflit d’intérêt et sans peur de succéder. Nous n’avons plus le temps d’analyser, nous devons regrouper toutes les forces vives et s’unir autour d’un étendard visant à contrecarrer les extrêmes pensées car il serait irresponsable aujourd’hui de nier le risque de l’obscurantisme d’un état islamisé. Notre optimisme restera aussi inviolable et prononcé que l’enthousiasme de notre liberté car nous ne laisserons plus jamais notre histoire se confesser. Certaines actions sont irréversibles et conditionnées, arrivera le jour où nous en connaitrons les effets.
Hichem Stambouli
*Ingénieur d'Affaires