News - 30.04.2011
Ennahdha a-t-il convaincu les membres d'Esprit Citoyen
Ces 300 médecins, chercheurs, ingénieurs, chefs d’entreprises et hauts cadres ont-ils été convaincus par l’argumentaire du Mouvement Ennahadha ? Invités à la rencontre débat organisée samedi après-midi par leur Association Esprit Citoyen, ils s’impatientaient à rencontrer les représentants de ce parti, non pour en découdre, mais pour bien comprendre leur programme politique et les interroger sur leurs positions au sujet de différentes questions-clefs. Plus de 3 heures d’échanges vifs, mais courtois, ont laissé une impression largement partagée par l’assistance : « ils ne sont pas peut être totalement convaincants pour nous, mais bien organisés, très habiles ! »
Pour faire face à ce public assez particulier, à l’esprit critique (scientifique) bien développé, le parti de Rached Ghannouchi a dépêché trois de ses ténors, parfaitement appropriés : Ajmi Lourimi, membre du bureau exécutif, 16 ans de prison à la file, Zied Daoulatli, études scientifiques en France, membre du bureau politique, 14 ans de prison dont 10 ans d’affilée à l’isolement et Riadh Bettaieb, ingénieur ENIT, 20 ans d’exil en France, président de l’association Solidarité Tunisienne, membre du bureau exécutif. Malgré leur longue expérience militante, les trois abordaient cette rencontre non sans appréhension, tant le public leur paraissait assez « original et exigeant. » Ils s’attendaient certes aux questions habituelles sur le nikab, la polygamie, l’égalité dans l’héritage, la chariaa, et autres, mais redoutaient aussi d’autres plus percutantes, sur le financement, le double langage, les extrémistes, etc.
«Nous ne venons pas d’une autre planète, attaque d’emblée Ajmi Lourimi, pour rassurer l’audience et essayer de jeter des ponts de proximité. Nous sommes comme vous, nous aimons le Lablabi et la salade méchouia, supportons les mêmes équipes de foot et partageons les mêmes goûts de la vie. D’ailleurs, avant de venir à cette réunion à Gammarth, je me suis arrêté à la Marsa pour savourer une glace chez Salem.»
La glace est brisée pour détendre l’atmosphère, mais le vrai débat va bientôt commencer. En introduction, Lourimi rappellera les origines d’Ennahdha, ses sacrifices et ses martyrs. Il indique, au passage, que « le mouvement a beaucoup muri, évolué, découvrant dans son auto-évaluation que des erreurs ont été commises et que certaines visions n’étaient pas très claires.» A présent, Ennahdha milite pour «une véritable coexistence entre croyants et laïcs, voilées et sans voile, l’essentiel est de réussir la transition démocratique.»
Premier à ouvrir le débat, le Dr Mohamed Aissaoui, fondateur d’Esprit Citoyen et maître de cérémonie, lance la grande question : « Pourquoi votre manifeste politique n’est pas écrit et présenté au public ? » Réponse d’Ajmi Lourimi : « Avant, on se regroupait autours de principes, à présent il faut élaborer tout un programme détaillé. Il est en cours de finalisation et sera publié, d’ici dix jours. »
Puis les questions pleuvent de la salle : Allez-vous signer le Pacte Républicain ? Votre sens de la démocratie consiste-t-il en une valeur centrale et une pratique effective au quotidien, ou juste une passerelle pour accéder au pouvoir ? Comptez-vous appliquer la chariaa en mode de gouvernement et source de droit ? Allez-vous interdire le tourisme et la consommation du vin ? Qu’en est-il de l’obligation du port du voile ? Dites-vous à vos bases exactement le même discours que vous tenez en public et dans les médias ? D’où proviennent vos ressources financières ? Quel est votre programme économique et social ? Comptez-vous sceller des alliances avec d’autres partis ? Quelles sont vos liaisons avec les autres formations islamistes extrémistes et pourquoi vous ne dénoncez pas leurs abus? etc.
Particulièrement, le Pr Zahia Jouirou, spécialiste en théologie, se distinguera par une série d’analyses courtes mais pertinentes du discours d’Ennahdha, réfutant nombre de thèses développées par le parti de Rached Ghannouchi et dénonçant l’amalgame et le double langage. S’adressant aux orateurs, elle les a mis en garde contre les risques de perte de crédibilité. «Faites attention, leur lance-t-elle, à force de pratiquer le double langage, vous risqueriez d’être débordés par vos bases qui se retourneront contre vous ! »
Se relayant tour-à-tour, Lourimi, Daoulatli et Bettaieb, s’efforçant à ne pas verser dans la polémique, ont essayé de répondre, et surtout de convaincre, voire même de séduire. « Notre parti est ouvert aux femmes non-voilées, donc celles qui le souhaitent, seront les bienvenues », dira Lourimi. « J’ai deux filles, l’une voilée, l’autre pas », ajoutera Daoulatli, avant de souligner qu’il s’agit là d’une « question d’attitude personnelle et de conviction qu’Ennahdha entend respecter. »
Pacte Républicain : La primauté de la Constitution l’emporte sur tout autre texte. C’est d’ailleurs l’avis de plusieurs juristes. Les engagements demandés seront consignés dans la future constitution. Maintenant, si un document recueille le consensus au sein de la Haute Instance, nous l’examinerons avec bienveillance et nous nous y rallierons… »
Autres mouvements islamistes : «Tous les acteurs se réclamant de l’islam ne font pas nécessairement partie d’Ennahdha et ne sauraient ni nous représenter, ni engager notre responsabilité. D’ailleurs dès jeudi dernier, Hammadi Jebali avait bien précisé dans une conférence de presse, spécialement tenue à ce sujet, que les manifestations projetées, vendredi, par certains mouvements, n’ont aucun lien avec notre mouvement. Nous condamnons la violence et l’extrémisme. »
La Chariaa : «Notre référence est certes l’islam, mais dans une lecture moderne. Nous avons évolué et nous épousons les mutations profondes. A propos des vols et des voleurs, par exemple, notre but n’est pas d’avoir des manchots, mais de réduire au maximum les vols et de dissuader les voleurs, sans pour autant édicter l’amputation des mains… »
Concertations et alliances avec les autres partis : « Nous avons déjà initié en octobre 2005, avec d’autres familles politiques, l’Alliance du 18 Octobre et nous demeurons ouverts à toute concertation et alliance…»
Tourisme : "Nous avons soutenu, pas plus tard la semaine dernière à Paris, avec Rached Ghannouchi, devant des milliers de présents notre attachement à la reprise du tourisme tunisien. Mais, nous estimons que notre tourisme est l’otage de grands TO européen et gagne à s’ouvrir à d’autres marchés émetteurs, notamment, la Turquie, le Japon, et d’autres pays asiatiques, comme il se doit de favoriser le tourisme familial. »
Difficile de s’arrêter, de part et d’autre de la salle. Zahia Jouirou fera une bonne synthèse qui laissera chacun repartir avec ses propres convictions. Une seule certitude : ce débat aura été instructif pour les représentants d’Ennahdha, afin de discuter avec un panel aussi significatif et pour les présents, de connaître davantage les positions de ce mouvement.
En photo: Zied Daoulatli
Tags : Ennahdha