«Nous avons changé». Voire !
Alors que les autres partis continuent de discutailler sur le sexe des anges, le mouvement Ennahdha avance ses pions, avec le profil bas et l’assurance de celui qui est certain de décrocher le gros lot le 24 juillet prochain. Les Nahdhaouis ne font plus peur au point d'endormir notre vigilance. Parti islamiste pur et dur dans les années 80 et 90, ce parti déclare avoir tiré un trait sur le passé et le fait savoir urbi et orbi. Désormais, il se comporte même comme un parti attrape-tout. «Nos portes sont grandes ouvertes à tous les Tunisiens». Il a troqué le dogmatisme des années 80, contre la dialectique lente ; l’intolérance contre la compréhension et l’empathie. « Nous avons changé », avouent ses cadres. La preuve, ils viennent de faire acte de contrition pour les attentats au vitriol commis en leur nom...il y a plus de 20 ans. Il n'est jamais trop tard pour bien faire.
Avec une habileté consommée, ils poussent la modestie, le fair play et même la coquetterie jusqu’à reconnaître quelques uns de leurs travers, comme ce fameux double langage dont on leur fait souvent grief. « Oui, reconnaît le secrétaire général, Hamadi Jebali dans une interview à un journal de la place, nous avons ce problème et nous en souffrons », tout en le mettant sur le compte de l’inexpérience des militants et…des années de répression que son parti a connues sous Ben Ali. Même si le rapport de causalité n’est pas évident, l’argument désarçonne l’interlocuteur ou le lecteur qui reste sans voix, devant tant d’humilité au point qu' on est parfois pris de remords d'avoir osé douter de la sincérité de ces militants. Poussant son avantage, Jébali ajoute : « En tout cas, celui qui s’écarte de la ligne du parti n’a qu’à assumer ses responsabilités ». Sauf que, jusqu’à plus ample informé, aucun militant ne s’est fait rappeler à l’ordre jusque-là pour ses écarts de langage, y compris ce cadre qui vient de faire des déclarations tonitruantes à Djerba. Il y a, bien sûr, les mises au point, les démentis que le mouvement s'empresse de publier à chaque fois où l'un de ses siens s'exprime d'une manière trop abrupte. Mais, détrompez-vous. Il ne s'agit pas de désaveux. On se contente de reprendre les positions incriminées sous une forme politiquement correcte pour dorer la pilule et ne pas donner prise aux critiques. Mais le fond reste inchangé. Plus que jamais, En Nahdha est prisonnière de sa logique interne.
Autre point faible des Nahdhaouis, la femme : on connaît leurs positions sur ce thème, leurs petites phrases sur le voile, le travail des femmes, la polygamie, l'adoption qu’ils distillent savamment, à doses homéopathiques en privé ou dans les journaux étrangers. Mais là aussi, vous seriez bien en peine de les prendre en défaut. « Nos propos ont été déformés, tronqués, sortis de leur contexte », jurent-ils la main sur le cœur. La preuve : la parité hommes/femmes, « nous sommes pour, absolument pour ». De fait, ils l’ont votée à l’instance Ben Achour. Ils ont fait même dans la surenchère pour donner le change : « Même si le gouvernement y renonce, nous serons les premiers à le dénoncer », affirme sans rire Jébali. Malheureusement, leurs écrits et leurs pratiques plaident largement en leur défaveur. On ne peut pas tromper tout le monde, tout le temps.
Séparation entre les hommes et les femmes dans les meetings d’Ennahdha, utilisation des mosquées à des fins politiques, prêches incendiaires, prières dans les endroits publics, complaisance vis à vis des salafistes du groupe Tahrir et bien d’autres pratiques comme les agressions répétées contre les intellectuels qui jurent avec le visage avenant et résolument moderniste que veut se donner ce mouvement : comment les interpréter sinon comme une illustration de la Taquia, la dissimulation. « Nous avons changé », nous répètent-ils à l'envi. Voire !