Opinions - 15.04.2011

Une langue=Une nation ?

Une question me taraude depuis quelque temps :

Les partis sont-ils là pour défendre un idéal universel voire leur idéal ou pour briguer des sièges en urgence ?
Et une fois les sièges occupés ?  Vont-ils nous servir une tambouille faite de compromis et de compromissions, d’idées diluées dans la recherche du consensus et une navigation à vue sans objectif humaniste ou alors une politique franche, courageuse, annoncée et empreinte d’une seule préoccupation : une société meilleure et plus juste?

J’ai le sentiment que la mollesse préside en face des extrémismes qui fleurissent faute de trouver des jardiniers avisés dans l’élimination des mauvaises herbes.
En un mot l’audace est inexistante!

J’ai le sentiment qu’une autocensure, telle une énorme araignée au plafond, paralyse le débat d’idées audacieuses et jette le discrédit rapidement sur celui ou celle qui s’en réclamerait.
Laïcité ? le déchaînement est immédiat et les encore fragiles troupes de reculer en ordre.
Héritage : trop tôt pour en parler, on attendra la prochaine révolution !
La mollesse n’est pas la tolérance ni la modération qui sont des vertus en temps de paix.
Car ne nous faisons pas d’illusions, nous sommes en guerre contre les forces obscures minoritaires qui veulent enjamber notre devenir.

Ceux qui pensent que dans ce camp des ténèbres  existent des modérés se trompent lourdement : leur but est un et unique. Prendre le pouvoir en se regroupant au final et mettre une chape de plomb sur nos vies.

Or, pendant que nous nous exerçons à la mollesse et au consensus stérile en rejetant les idées fortes et justes au profit d’une bouillabaisse populiste, le fanatisme se réclamant de l’Islam gagne du terrain car faisant preuve d’une authenticité jamais défaillante et d’une audace surprenante dans son discours.
Oui, l’aile dure dérape dans les rues mais l’aile « modérée » rassure rapidement l’opinion.

Tiraillés entre une partie de notre identité tournée vers un orient encore rétrograde et se débattant avec ses pires démons et l’autre partie détournée d’un occident envié et honni, nous peinons à trouver notre voie et les réponses simplistes, rassurantes et prêtes à penser ont de plus en plus de clients.

Quelle est la solution me direz-vous ?

Il me semble que c’est en nous, encore et toujours, qu’il faudra la chercher.

Nous sommes Tunisiens certes ! Quelle est le socle de notre identité ? Pourquoi vivons-nous ensemble ou devrions nous le faire à l’avenir ? Qu’est ce qui pourrait nous cimenter au-delà des divergences inévitables de nos opinions et de notre vécu ? Qu’est ce qui transcenderait nos divergences ? Une nation.

Qu’est ce qui fait une nation ? une langue, un territoire, des mythes fondateurs (ancêtres, figures nationales/Ibn Jazzar, Elyssa,), une histoire, une culture (vestimentaire, culinaire, musicale, théâtrale, littérature, contes, poésie, ……) autant de patrimoines en commun qui constituent un ciment entre les individus.
J’ai volontairement omis la religion.
La religion me semble être le ciment le plus inconsistant pour former une nation…de nos jours.
Qu’y a-t-il de commun entre un Tunisien, un saoudien, un malais, un pakistanais, un bosniaque et un iranien ? L’islam. Cela en fait-il des membres d’une même nation ? La réponse me semble évidente.

J’ai choisi d’aborder la langue car, selon Herder, elle est l’expression vivante et organique de l’esprit d’un peuple.

La langue serait donc l’incarnation vitale et corporelle de l’esprit d’un peuple ? Le corps vivant du peuple.
Cela voudrait donc dire que la mort de ce corps est envisageable ?
Le corps sans vie du peuple : Le peuple donc, se meut et vit à travers sa langue. Il ne forme pas encore une nation mais il est en route vers son destin qu’il bâtira.

1 langue=1 nation serait donc une équation forte ?

Quelle est notre langue en Tunisie ? A Kuala Lumpur, à Menphis ou à Tokyo  il nous suffit d’entendre, « chnoua » ou taoua pour identifier immédiatement l’origine géographique de celui qui émet ces mots. Ce lien universellement Tunisien est indéfectible et malgré toute la bonne volonté des apprentis dictateurs cela sera toujours. Pourquoi ? Car cette langue au fond de nous est enracinée par des liens émotionnels. Et nous savons pertinemment qu’elle est une part importante de notre immortalité. C’est pour cela que nous parlons en Tunisien à nos nouveaux nés. 

Notre langue est donc le Tunisien, notre langue maternelle.
Cette langue riante, douce, chantante, légère, sarcastique, enveloppante que nous chuchotent nos parents le soir, cette langue qui nous a raconté les mythes de notre enfance.
Qui ne connaît pas l’histoire d ’oummi sissi ? Un mythe fondateur de notre identité que cette jeune dame qui trouve une piécette à terre.

Cette langue à la grammaire élaborée et au vocabulaire chatoyant et qui se prête tellement à l’ironie est notre différentiation naturelle des autres peuples, de plus nous sommes les seuls à la parler.

Celle là-même que la politique a exclu de son discours officiel car se prêtant mal à la langue de bois et marginalisée au nom d’une arabisation populiste vestige d’un panarabisme malvoyant.
Ses détracteurs, et ils sont nombreux, vous objecteront que cette langue n’en est pas une. Que c’est un dialecte. Je les renverrai aux rares ouvrages qui ont échappé au pilon et qui traitent de la grammaire, du vocabulaire et de la syntaxe Tunisienne. Quelques dictionnaires dépenaillés  de la langue Tunisienne existent encore aux mains d’amoureux de cette langue.

Nous avons délaissé notre langue vernaculaire (propre au pays) et l’avons remplacé.

Par quoi ?

1. Par l’arabe littéraire. Langue du message coranique, de l’enseignement,  du discours politique menteur et racoleur et d’une littérature magnifique. Une  langue que parlent tous les pays arabes à quelques variantes près et que même les muezzins russes baragouinent.

En parlant d’identité, l’arabe littéraire fait il partie de notre identité Tunisienne ?
L’arabe littéraire accouché laborieusement par césarienne est devenu une langue administrative opaque et un peu véhiculaire. Il suffirait de s’exprimer dans un café, chez soi ou avec des amis dans cette langue pour susciter le rire ou l’étonnement.
Force est de constater que ceux qui parlent bien l’arabe littéraire s’expriment aisément en Tunisien, l’inverse n’est pas vrai. Qu’est ce que cela prouverait ? Qu’une bonne partie du Tunisien vient de l’Arabe littéraire. Sans plus.
L’arabe littéraire est une composante non négligeable de la langue Tunisienne mais il n’en demeure pas moins que la langue Tunisienne est notre langue vernaculaire.

2. Par le Français. Langue en voie de paupérisation et de disparition mais qui a longtemps fait partie de notre panier linguistique.

Nous oscillons donc entre deux langues officieuses et une langue officielle et parmi les langues officieuses figure notre langue maternelle et vernaculaire.
Et à mon humble avis, l’épicentre de notre instabilité identitaire commence exactement à ce niveau.

L’article 1 qui fait tellement parler de lui fut une magnifique acrobatie bourguibienne en son temps mais notre langue est le Tunisien devrait stipuler cet article. Logiquement.

Oui, il faudra à ce moment revoir les fondements de notre Tunisianité, l’enseignement, les manuels etc…
Et alors ?
L’hébreu de langue morte est devenu une langue véhiculaire de progrès après des mois de travail et de reconstruction afin de l’adapter à notre environnement ( je sais que cet exemple irrite mais attachons-nous à analyser les succès des autres).

Pour conclure ce court article, il me parait impératif de créer une commission nationale pour la réhabilitation de la langue Tunisienne car notre renaissance passe par là. Ce n’est pas le moment, hurleront les détracteurs habituels. Quand il s’agit de prendre son destin en mains, le moment est toujours opportun.

Ce travail sera une digue naturelle contre enturbannés et barbus réfractaires à la vie sur terre, purs produits frelatés de l’importation.
Il nous redonnera une voie à explorer ensemble, un idéal à atteindre ensemble celui d’une nation qui aura réinventé sa future histoire pour la gloire de ses descendants.
 
Cette première pierre à l’édifice de la reconstruction de l’identité Tunisienne nécessaire mais non suffisante sera l’amorce d’une réconciliation nationale inévitable.
Nous aurons reconstruit la Tunisie en puisant dans son patrimoine, en puisant dans nos cœurs.

Dr Walid Alouini