Mohamed Gherab Un grand patriote
L’hommage que je rends à Mohamed Ghérab se confond avec l’histoire de la Tunisie à laquelle il a participé activement à plus d’un titre, avant et après l’indépendance
Le militant
C’est au cœur du quartier latin, à l’unique Faculté de Droit de Paris de l’époque, que Mohamed Gherab effectue ses études et obtient sa licence en Droit en 1954. C’est au fameux « Capoulade », café tout proche, à l’angle de la rue Soufflot et du boulevard St Michel où il a pris l’habitude de prendre un café que je fais sa connaissance.
Il devient rapidement un militant assidu aussi bien du Néo-Destour que de l’Association des Etudiants Musulmans Nord Africains (AEMNA) dont le siège au 115 du Boulevard St. Michel était le centre de réunions, de contacts, d’organisations de cellules en France
Militant actif, il ne tarde pas à devenir le Secrétaire Général de la Fédération des Etudiants destouriens en France, présidée alors par Hamed Karoui et à être attentif aux divers évènements concernant la Tunisie.
La proposition de Robert Schuman en1950 sur l’autonomie progressive «self goverment » négociée par Premier Ministre M’hamed Chenik et Salah Ben Youssef Secrétaire Général du Néo-Destour est interrompue à la suite de la lettre du 15 décembre 1951, dans laquelle le gouvernement français renonce à cette proposition et prône la co-souveraineté pour l’autonomie.. La Fédération s’attache à informer l’opinion française de ce qui se passe en Tunisie et de la position tunisienne en faveur d’une indépendance graduelle et négociée. Elle défend ce point de vue auprès des représentants du Congrès de l’ONU qui se tient à Paris au palais de Chaillot cette année 1952.
La crise s’installe entre la Tunisie et la France, elle va durer près de 3 ans. Elle est marquée par un certain nombre d’évènements :
- l’arrestation de Bourguiba emprisonné à La Galite
- l’assassinat de Farhat Hached, Secrétaire Général de l’UGTT.
- la constitution d’un nouveau gouvernement tunisien favorable au thèses françaises
- les menaces proférées contre Hédi Nouira venu secrètement à Paris en 1953 pour dénoncer ce gouvernement l’obligèrent à se réfugier chez Mohamed Ghérab..
En mai 1954 Mohamed, en tant que Secrétaire Général de la Fédération des étudiants reçoit un pli venant de Ben Youssef, établi à Genève, qui dénonce officiellement les négociations franco-tunisiennes. Il en avisa Hamed Karoui, et Mongi Slim.
Après son échec au Vietnam, en 1954, la France sent la nécessité de changer sa politique vis à vis de la Tunisie reprend les négociations et conjointement change peu à peu les lieux de résidence de Bourguiba
L’administrateur
Mohamed rentre à Tunis en l’été 1955 pour assister en tant que délégué de la Fédération de France au Congrès du Néo-Destour à Sfax au cours duquel sera approuvée la politique de Bourguiba au regard des conventions franco-tunisiennes et l’exclusion de Salah Ben Youssef du Parti. A la fin du Congrès, en novembre 1955, Mohamed est convoqué par Mongi Slim, ministre de l’Intérieur pour être son Chef de Cabinet, « une carrière qui allait durer 10 ans ». Il supervise « les premières élections tunisiennes pour l’Assemblée Constituante avec la participation du Néo-Destour, du Parti Communiste et des personnalités indépendantes avec un scrutin de liste»
Mongi Slim quitte le Ministère de l’Intérieur avec le nouveau gouvernement, le 17 avril 1956. Taieb Mehiri est nommé Secrétaire d’Etat à l’Intérieur et le 16 janvier1957 Mohamed devient son Chef de Cabinet et prend en charge en 1962 la Direction Générale de l’Administration Régionale et Communale avec rang de Gouverneur et devient de fait Gouverneur des Gouverneurs [??????????]avec la coordination de tous les services. Il a mission de tunisifier la police tunisienne, d’organiser les régions et les gouvernorats. Bourguiba insistera auprès de lui pour «veiller sur le règlement des dossiers du nom patronymique et de penser à l’organisation d’un concours pour le recrutement des délégués de gouverneur qui doivent avoir une formation administrative et politique pour assister les gouverneurs de région dans leur tâches ». En 1958, le président Bourguiba, mis au courant du travail de Mohamed Gherab, lui déclare en présence en présence de Taieb Mehiri « le militant doublé de l’administrateur que vous êtes ma andenech minkoum barcha ».
Ses activités vont se multiplier avec l’arrivée des instances algériennes politiques et militaires installées en Tunisie sur l’invitation de Bourguiba et avec lesquelles le Ministère de l’Intérieur avaient de constants échanges. Les troupes algériennes agissaient de la frontière tunisienne contre les troupes françaises massées en France.
En 1961, Mohamed fait partie de la délégation tunisienne invitée pour un séjour de trois semaines aux USA qu’il découvre. C’est alors qu’éclate la guerre de Bizerte.
Après le décès de Taieb Mehiri en juillet 1965, Bourguiba souhaite nommer Mohamed pour lui succéder, après toutes les années d’expérience d’un homme compétent, rigoureux, honnête et dévoué à son pays et à son Président. Wassila s’y est opposée, Mohamed ne l’avait pas consultée avant de remettre la liste des délégués gouverneurs au Président avant de la confier au Président.
Le diplomate
C’est ainsi qu’en 1965 il part pour représenter la Tunisie à Madrid. L’Espagne, alors dirigée par Franco, développait une politique touristique de grande envergure qui lui permit de signer un accord de coopération favorable à notre politique touristique naissante.
En avril 1967, en voyage en Espagne, je rendis visite à nos amis Ghérab et assistais à leur profonde émotion à la nouvelle de la crise cardiaque dont était victime Bourguiba.
Rentré en Tunisie en été 1967, il est convoqué par Bourguiba, tout à fait rétabli, qui lui propose d’être son Chef de Cabinet. C’est en faisant ses adieux à l’Espagne qu’il reçoit un message des Affaires étrangères annulant la proposition, lui faisant part de son affectation au Maroc où il remplacerait Habib Chatti nommé Chef de Cabinet.« Encore une fois, dira t-il, il s’avère que Wassila aura le dernier mot et refuse de me voir au Palais »
Mohamed a la chance que Bourguiba Jr en réunion avec U Tant, alors Secrétaire Général des Nations Unies obtienne, sa nomination en tant que Directeur du Personnel de l’ONU avec le titre et grade de Sous Secrétaire Général à partir du 1er avril 1969 pour une durée de trois ans. Son successeur Kurt Waldheim le confirme dans ses fonctions et le nomme Secrétaire Général adjoint de l’ONU et Secrétaire Général de la Conférence des Nations Unies sur les ressources d’énergies nouvelles et renouvelables de mars 1979 à mai 1981.
Il a renforcé le rôle du français dans l’administration de l’ONU dominée par l’anglais. Il a défendu également le rôle des langues les plus parlées dans le monde, à savoir l’espagnol, le chinois, le russe, l’arabe, l’allemand et l’italien. Pour ce faire, il a favorisé le recrutement à compétence égale d’un personnel parlant plusieurs langues dont l’anglais et le français, langues de travail des Nations Unies.. Il s’est attaché à la représentation de tous les pays dans l’administration onusienne.
Les contacts et les multiples réunions tenues sur tous les continents pour expliquer ses recrutements et ses innovations lui ont valu l’approbation et l’estime de tous pour la transformation réussie de l’organisation interne de l’ONU. Une estime qu’il partage volontiers avec son épouse Fawzia Ladjimi, polyglotte et personnalité brillante qui l’a secondé tout au long de sa carrière diplomatique.
En 1981, il est nommé Ambassadeur en Union Soviétique. où le drame de Chernobyl nous priva d’un séjour à Moscou et d’une visite dans les républiques musulmanes qu’il nous avait organisée.
De retour à Tunis, nous n’avons cessé de nous retrouver, d’évoquer nos souvenirs et de parler de l’avenir de notre pays et récemment de notre Révolution.
Mohamed et Fawzia ont eu trois enfants qu’ils ont entourés de leur générosité et de leur affection : Habib, l’ainé , actuellement aux USA, ayant toujours clamé qu’il ne rentrerait en Tunisie qu’avec le départ de Ben Ali, prépare aujourd’hui son retour pour se mettre à la disposition de son pays. Paris, Tunis, New York, une carrière exceptionnelle soutenue par le Président Bourguiba, Mongi Slim, Taïeb Mhiri et Béji Caïd Essebssi.
Dr. Saadeddine Zmerli