Faut-il cesser de payer la dette tunisienne?
La Tunisie doit faire face cette année à deux grandes échéances importantes quant au paiement des tranches échues de sa dette. Le montant pour l’année 2011 s’élève à 577 millions d’euros, dont 410 millions d’euros sont exigibles en avril et le reste en septembre. De nombreuses voix s’élèvent pour l’annulation de l’ensemble de la dette et, d’ici-là, la suspension d’ores et déjà du paiement de ces deux tranches. A Tunis, la section locale du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers-Monde (CADTM), dirigée par Fathi Chamkhi (Raid Attac et LTDH) a lancé, avec d’autres associations, une vaste campagne de mobilisation nationale. Elle s’apprête à participer activement à une conférence publique organisée par CADTM Bruxelles, avec les eurodéputées Marie-Christine Vergiat et Gabriele Zimmer, membres de la Gauche Unitaire Européenne (GUE). Elle aura lieu ce jeudi 24 mars, au Parlement européen, sur le thème de «L’Union Européenne et la dette tunisienne».
Dans une lettre adressée le 20 mars au Gouverneur de la Banque Centrale, le collectif tunisien affirme que la « décision de payer les 1120 millions de dinars prévue dans la Loi n°2010-58, du 17 décembre 2010, portant loi de finances pour l’année 2011, n’a aucun fondement légal » et demande notamment « la suspension immédiate du remboursement des créances européennes (avec gel des intérêts) à l’égard de la Tunisie et un audit de ces créances pour identifier la part illégitime, celle qui n’a pas profité au peuple tunisien et qui doit être annulée sans conditions.»
Cette prise de position contre la « dette odieuse » qui n’a pas pour le moment suscité de réaction de la part des autorités monétaires (étant intervenu durant le long weekend des fêtes de l’Indépendance et de la Jeunesse) pose nombre de questions. Faut-il effectivement renoncer à rembourser cette dette non légitime, contractée par un régime déchu et dont la bonne utilisation est sujette à caution ? Quels avantages recueillir de cette attitude et quels risques fait-elle courir au pays, à présent et dans l’avenir? La Tunisie est-elle en mesure de faire face à ces échéances et quelle serait la meilleure position à respecter. Autant de questions que Leaders a posé à un spécialiste.Eclairage.
Renforcer le capital de confiance ou dénoncer une "dette odieuse"?
Au-delà des considérations purement idéologiques qui peuvent être compréhensibles, surtout dans une logique de révolution et de rupture, il faudrait rappeler que la Tunisie a, depuis l’Indépendance, toujours honoré ses engagements ce qui lui a donné une bonne qualité de signature et permis de sortir en toute aisance sur les marchés financiers et d'y obtenir d’excellentes conditions. Aujourd’hui, il va falloir faire un choix historique : dénoncer la dette et économiser ainsi une somme non-négligeable qu’elle pourra réinvestir pour son développement, ou se conformer aux échéances ? La dénonciation de la dette n’a été jusque-là entreprise que par des pays en faillite et cessation de paiement. Elle a pour conséquence inéluctable, l’obstruction, à l’avenir, des voies d’accès aux marchés financiers qui perdent confiance et pénaliseront ainsi les générations futures.
Mais pour mieux comprendre les enjeux, il faudrait revenir aux conditions propres à la Tunisie. Les différents indicateurs publiés par la Banque Centrale et confirmées par différentes institutions internationales montrent que la Tunisie dispose des ressources suffisantes pour honorer ses dettes et ne se trouve pas actuellement dans l’obligation de demander leur rééchelonnement. L’arbitrage est à faire entre un remboursement à temps pour renouveler la confiance et obtenir de nouveaux prêts, dans une logique d’ancrage dans les marchés financiers et d’affirmation d’une bonne santé économique et financière qui ne cherche qu’à se consolider, et une rupture.
La première attitude (remboursement), n’interdit pas cependant de demander, à travers les mécanismes de concertation avec les bailleurs de fonds, notamment souverains, l’annulation de la dette, en totalité ou en partie, et du moins, la renégociation de ses conditions, dans le cadre d’une approche de solidarité et de contribution à la relance. Tout l’enjeu de la Tunisie est de ne pas dilapider le capital de confiance dont elle jouit d’autant plus que ses indicateurs ne sont pas aussi catastrophiques que certains le laisseraient croire. Ils sont même meilleurs que ceux du Portugal ou de la Grèce. »
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