Notes & Docs - 14.03.2011

A propos de séismes

Le Japon vient de connaître l’un des plus forts séismes de son histoire, suivi d’un tsunami dévastateur qui a entrainé la mort ou la disparition de milliers de personnes et des pertes matérielles se comptant par dizaines de milliards de dollars, conduisant à des reculs en cascades des cours dans de nombreuses bourses mondiales.

Cette grave et regrettable catastrophe naturelle, survenue dans un pays ami de la Tunisie et qui a peiné l’ensemble des tunisiens, ne manquera pas, malheureusement, d’influer négativement sur l’économie japonaise et plus généralement sur l’économie mondiale.

Cette catastrophe naturelle majeure a en outre causé l’arrêt du système de refroidissement dans des centrales nucléaires, faisant planer le risque d’un grave accident, dont les conséquences seraient incalculables.

Le citoyen non averti est alors en droit de se poser un certain nombre de questions, dont en particulier celles-ci :

  • Qu’est-ce qu’un séisme ?
  • Peut-on en prévoir l’avènement ?
  • Notre pays est-il à l’abri des risques sismiques et, si non, quelles mesures faut-il prendre ?

La présente contribution a pour objet d’apporter quelques éléments de réponse à ces questions que se posent beaucoup de gens désireux de comprendre des phénomènes naturels majeurs qui les concernent et dont la culture scientifique ne leur permet pas l’accès à des exposés pour spécialistes. Il s’agit par conséquent d’un exercice de vulgarisation scientifique, ce qui conduit forcément à sacrifier, par endroits, la rigueur qu’exige la complexité du sujet.

1-Qu’est-ce qu’un séisme ?

Un séisme est la libération brusque de l’énergie emmagasinée, durant des décennies, dans une région de la terre, souvent en profondeur, par le mouvement relatif de certaines parties de l’écorce terrestre.

Il s’agit là de la définition d’un séisme naturel, dit séisme tectonique, seul considéré ici. Il existe en effet d’autres types de séismes comme ceux que produisent des explosions (tirs de mines, explosions nucléaires, etc.) et ceux induits par des implosions (effondrement de cavités sous terraines, par exemple).

Le terme tremblement de terre, couramment utilisé dans le langage courant, désigne en fait un séisme dont les effets sont ressentis par la population.

Voyons d’abord, comment s’effectue l’accumulation de l’énergie dont on vient de parler.
Pour s’en faire une idée imagée, considérons un chariot d’une certaine masse pouvant glisser sur un support horizontal et se trouvant attaché à un système formé d’un ressort et d’un amortisseur, montés en parallèle.

Lorsqu’on applique une force au chariot, suffisamment forte, celui-ci se déplace et l’énergie fournie par cette force est transformée, selon un principe physique bien connu, en énergie cinétique (mouvement du chariot), en énergie dissipée (perdue) dans l’amortisseur et pour vaincre éventuellement le frottement et enfin, en énergie emmagasinée dans le ressort (énergie dite potentielle).

Si la force en question est supprimée d’une manière brutale, l’énergie potentielle du ressort est restituée au système considéré et va se traduire en particulier par un mouvement de va et vient du chariot, mais ce mouvement ira en s’atténuant à cause de l’amortisseur et des effets de frottement.

Revenons maintenant au séisme. La théorie de la tectonique des plaques élaborées à la fin des années soixante du siècle dernier, à partir des idées originales du géophysicien américain Wegner (1912) sur la dérive des continents, nous apprend que la couche externe de la terre, appelée lithosphère, est subdivisée en plaques, dites plaques lithosphériques. La Tunisie par exemple se trouve, avec les pays maghrébins, sur la plaque Afrique.

L’ensemble de ces plaques repose sur un matériau visqueux, en mouvement complexe, où règnent des températures et des pressions très élevées, appelé asthénosphère. Ces plaques sont en outre en mouvement les unes par rapport aux autres. Leurs épaisseurs sont variables allant de 80 à 150 Km et s’amincissent au droit des parties immergées.

Il arrive fréquemment que deux plaques rentrent en collision. Il arrive également que l’une des plaques plonge sous l’autre, c’est le phénomène dit de subduction. Ces phénomènes s’expliquent et seraient amplifiées par l’effet d’entrainement que jouent les matériaux de l’asthénosphère sur les faces inférieures de ces plaques. C’est un phénomène semblable, mais d’une tout autre complexité, à celui qui régit le mouvement d’un tapis roulant pour bagages dans une aérogare et dont le mouvement est dû au frottement du tapis sur les rouleaux moteurs en mouvement.

Ces phénomènes de collision mettent en œuvre des énergies considérables. Une partie de cette énergie, somme toute la plus importante, est dissipée dans les grandes déformations que subissent les parties en contact. Ces parties constituent l’équivalent de l’amortisseur dans notre dispositif du chariot décrit précédemment. Une deuxième partie de cette énergie, non négligeable est emmagasinée dans les plaques dont le comportement est en partie élastique, jouant ainsi le rôle du ressort.

Lorsque, pour diverses raisons, l’énergie emmagasinée sous forme d’énergie potentielle se libère, il se crée à partir de la région où se produit cette libération, appelée foyer du séisme, des ondes, dites ondes sismiques, qui se propagent dans les différentes directions. Ce sont ces ondes et particulièrement les ondes horizontales qui causent les plus grands dégâts aux constructions.
Cette libération d’énergie s’effectue lors de mouvements relatifs de certaines parties de l’écorce terrestre. Par exemple et c’est un cas courant, lors du mouvement relatif des lèvres d’une faille ou lors de l’effondrement, en profondeur, de masses importantes.

A titre d’exemples de collision de plaques, citons le cas de la plaque « Inde » qui est rentrée en collision avec la plaque « Asie » voici 40 millions d’années environ et qui porte actuellement sur environ 2000 Km et s’effectue à raison de 5cm par an. Elle a eu pour conséquence en particulier, la formation des montagnes de l’Himalaya qui croît d’environ 1 mm par an et la grande fréquence des secousses sismiques dans la région du sud-est asiatique, dont le Japon précisément.

On peut également citer le cas de la plaque « Afrique », à laquelle nous appartenons et qui se trouve en collision avec la plaque « Europe » dont elle se rapproche à raison de 2 cm par an ! C’est cette collision, avec la présence de failles actives, qui seraient à l’origine des secousses sismiques qui se produisent en Afrique du nord et en Europe occidentale.

Nous venons de voir brièvement comment s’explique un séisme. Voyons maintenant comment caractériser un séisme.

Un séisme est caractérisé par son foyer, son épicentre, son intensité et sa magnitude. Le foyer est l’endroit où s’effectue la libération brusque de l’énergie emmagasinée dont on a parlé. Il se situe à des profondeurs variables et les sismologues classent les séismes en superficiels (profondeur inférieure à 60 km), intermédiaires (de 60 à 300 Km) et profonds (supérieure à 300 Km).

L’épicentre est le point de la surface terrestre à la verticale du foyer. Il est défini par sa latitude et sa longitude et, ce sont ces deux coordonnées que fournissent généralement les services météo.

L’intensité est un nombre pris sur une échelle conventionnelle graduée en degrés et qui mesure en gros la gravité des dégâts causées sur des constructions types. Les échelles les plus courantes sont celles de Rossi-Forel (1874), qui compte 10 degrés, de Mercalli (1888) qui en compte 12 et celle de Mercalli modifiée (1917) qui en compte également 12. C’est cette dernière qui est la plus fréquente.

Enfin la magnitude, introduite par Richter (1935), mesure en gros l’énergie libérée lors d’un séisme en un endroit donné. Elle se mesure sur une échelle logarithmique. Les séismes les plus forts ne dépassent guère la magnitude 9. C’est le cas du séisme qui vient de se produire au japon et c’est ce qui explique sa gravité et son pouvoir dévastateur.
  
2- Peut-on  prévoir l’avènement d’un séisme ? 

La réponse à cette question, à l’état actuel des choses est malheureusement non ! En effet, même si les mécanismes d’accumulation d’énergie sont relativement bien connus, les phénomènes qui sont à l’origine de la libération brusque de cette énergie  sont difficilement prévisibles avec précision et relèvent davantage de l’aléatoire, tellement sont complexes les processus mis en jeu.

Cependant, les progrès considérables réalisés en technologies des sismographes, ces appareils qui détectent et mesurent les séismes, de même que les moyens  disponibles en matière de collecte et d’analyse des données permettent, d’une part, d’établir des cartes de risques sismiques pour les différentes régions du globe terrestre et permettent, d’autre part de calculer la probabilité pour qu’un séisme d’une intensité et d’une magnitude données se produise en un endroit et au cours d’une période déterminée.

L’avantage de ces progrès réside surtout dans l’aide que ceux-ci fournissent aux ingénieurs ayant en charge la construction de bâtiments et d’édifices selon des normes parasismiques.

En effet, il serait économiquement et psychologiquement risqué de faire évacuer une ville ou un quartier sous prétexte de l’avènement d’un séisme et se rendre compte, quelques jours après, que ce ne fut qu’une fausse alerte.

 Il n’est pas exclu cependant que des progrès, en matière de prévisions sismiques, analogues à ceux réalisés en matière de prévisions météorologiques voient le jour dans un avenir proche, tellement sont dynamiques les recherches dans cet important domaine.

3-Qu’en est-il de la Tunisie ?

Signalons d’abord qu’il n’existe aucune région au monde susceptible d’être indéfiniment à l’abri d’une secousse sismique. Bien entendu, il existe des régions plus exposées que d’autres, mais ceci ne doit nullement évacuer l’intérêt que les pouvoirs publics doivent accorder à cette question.

Notre pays fait partie de l’ensemble Afrique du nord qui est traversé par de nombreuses failles qui sont relativement actives sur le plan sismiques. Même si la Tunisie est relativement épargnée comparativement à d’autres régions du monde, il convient de tenir compte parmi les risques naturels majeurs ceux ayant trait aux risques sismiques.

A titre d’exemples, la Tunisie a connu par le passé de nombreux séismes, de différentes magnitudes :
En 1758 Tunis (6,2) ; 1870 El Djem (6,2) ; 1894 Bizerte (5,6) ; 1970 Chawat (5,6) ; 1989 Sned (5)  en plus de quelques séismes de magnitudes inférieures à 5.

Il convient de tenir compte dans nos constructions des normes parasismiques, notamment dans les régions à risque élevé, selon le code de constructions parasismiques qui a été élaboré dans le début des années 90, la carte sismique de la Tunisie étant bien connue. Il convient également d’élaborer des plans de secours  (plan ORSEC) pour parer à toute éventualité et puis sensibiliser le citoyen à l’importance du respect des règles de l’art en matière de construction, dans le respect  du dicton bien célèbre qui dit qu’il vaut mieux prévenir que guérir ! Car, même si notre pays est plutôt à faible risque sismique d’ampleur, les erreurs perceptibles dans de nombreuses constructions risquent d’alourdir les dégâts humains et matériels même en cas de faibles secousses sismiques  qui sont loin d’être peu probables et Que Dieu préserve notre chère Tunisie.

A cet égard il convient de rendre hommage à l’association tunisienne de génie sismique que dirige avec compétence et dévouement notre ami le Pr. Tahar Chaieb et qui agit précisément dans ce sens et contribue à la sensibilisation des différents acteurs concernés.

P.S. : Le hasard a voulu que, durant la préparation de ma thèse de doctorat, il y a bien longtemps, je me trouve impliqué dans un projet à cheval entre la géophysique et la mécanique des structures qui est ma véritable spécialité. C’est ce qui m’a permis, en collaboration avec les Professeurs M. Frémond et M. Daignières, de proposer une simulation numérique de la collision himalayenne qui a fait l’objet d’une note aux comptes rendus de l’Académie des Sciences française en 1978 (CRAS, série B, t 186, page 371). C’est cette collaboration fortement enrichissante qui m’a permis de me familiariser un peu avec la géophysique et apprécier cette belle discipline.

Ahmed FRIAA
Mars 2011.