Opinions - 04.03.2011

La révolution revisitée

Le monde a retenu l’image de ces Tunisiens, jeunes et défavorisés, prêts à mourir pour la liberté et l’espoir d’un avenir meilleur. Leur lutte continue et ils ne s’arrêteront pas avant la disparition de toutes les traces de ces 23 dernières années de tyrannie et de corruption. Pour la deuxième fois en moins de 60 jours, ils démontrent leur volonté de renverser le gouvernement et insistent sur un ensemble de revendications politiques qu’ils veulent voir réalisées.

Cela exigera plus de temps et coûtera plus de vies mais ainsi va la révolution. Le manque de représentativité du peuple dans les instances gouvernantes, l’absence d’emplois, l’injustice économique et la répartition inégale des richesses restent les sujets du jour. Les manifestants d’hier et d’aujourd’hui sont toujours en quête d’un gouvernement qui tienne compte de leurs besoins, renforce l’action judiciaire et favorise la croissance économique.

La tenue de grèves et de sit-in quotidiens plonge le pays dans un climat de tension permanente qui a atteint son summum entre les deux constituants majeurs de la population jeune tunisienne : des chômeurs et personnes défavorisées d’un côté et une classe moyenne active, de l’autre. Les premiers se sentent marginalisées par le système actuel et craignent d’être, encore une fois, les victimes d’un régime plus intéressé par sa stabilité que par son équité. Les deuxièmes se voient comme les victimes des interruptions continues dans la marche régulière de l’activité économique causées par les grèves, les violences et les manifestations. La fermeture de quelques entreprises étrangères implantées sur le sol national les a confortés dans ce sentiment. Certains d’entre eux commencent même à se demander si la révolution valait vraiment la peine d’être menée et cherchent la stabilité et un retour rapide à la normale.

Les échanges virulents se multiplient entre ces deux groupes sur les réseaux sociaux et les blogs, une cyber-guerre se dessine ainsi avec séquences vidéo tronquées et commentaires agressifs de part et d’autre. Il est cependant intéressant de constater que leurs objectifs et rêves sont similaires mais que leurs méthodes présentent, néanmoins, beaucoup de contrastes.

Comment les factions Dégage et Engage voient le futur est une question intéressante à se poser. On peut également se demander quelles sont les méthodes et les outils qu’ils comptent utiliser pour atteindre leurs objectifs ? A quoi le rêve qu’ils formulent aujourd’hui sur leurs murs facebook, dans leurs tweets et sur leurs pancartes ressemblera dans dix ans ?

On peut, par ailleurs, constater que la jeunesse égyptienne s’est montrée plus avertie et intellectuellement plus mature dans sa période de transition. La jeunesse tunisienne sera, elle, témoin d’autres sacrifices personnels et sociétaux dont elle n’a pas encore conscience ou qu’elle ne veut pas encore faire. Mais en fin de compte, ces leçons auront valeur de sacrifice. Il suffit de comparer la tendance aux saccages et à la destruction de certains jeunes tunisiens alors que des groupes de jeunes égyptiens servent désormais de guides touristiques à la place Tahrir. Peut-être, est-ce des signes du devenir de ces deux révolutions !

Cela me dérange au plus haut point de voir les divisions entre les Tunisiens, qui étaient si unis dans la conduite de cette révolution, se creuser de jour en jour. Certains ont eu recours à des insultes lamentables que l’on croyait révolues, à la stigmatisation et au régionalisme. On pouvait voir qu’ils ne considéraient que le court terme, et parfois, leurs seuls désirs personnels. Ces pratiques ne servent, en fait, que ceux parmi nous qui veulent un retour aux temps anciens. Comme notre société n’est pas démocratiquement mature et intellectuellement consciente, elle va souffrir des conséquences de ces subdivisions.

La Tunisie a besoin aujourd’hui d’un leader jeune et charismatique qui pourra rallier à lui les différents partis et montrer la voie à un avenir meilleur pour tous. Je me souviens d’un jeune John. F. Kennedy qui a dit«ne pas demander ce que votre pays peut faire pour vous, demandez ce que vous pouvez faire pour votre pays”.

Lotfi Saibi