Opinions - 01.03.2011

Tunisie : l'urgence, établir la confiance

Le gouvernement provisoire tunisien vient de chuter faute de pouvoir résister à la pression de la rue. Il avait sans doute l’intention de stabiliser le pays et à faire redémarrer son économie. La tâche était immense alors qu’il avait à faire face à une situation historique inédite dans la région mais des expériences éclairantes existent, en particulier dans les pays de l’Est européen. Il serait sans doute bon de les réexaminer de près pour en tirer des enseignements et, surtout, pour éviter des erreurs comme celles dans lesquelles l’équipe de Mohamed Ghannouchi est vite tombée.

Des erreurs ont été et sont commises. La valse-hésitation dont il a fait montre dès les premiers jours, dans la distribution des portefeuilles, sujet pourtant dérisoire dans la phase délicate que vivait le pays, marquée une sorte de «griserie révolutionnaire» qu’il ne fallait ni négliger ni mépriser. Le Gouvernement a donné l’impression de se livrer à diverses manœuvres occultes. Vrai ou faux, ce qui compte au final, c’est le sentiment d’avoir, de lui-même, nourri la défiance. L’épisode malheureux de la désignation d’un ministre de l’intérieur, puis de celui des Affaires étrangères, a renforcé ce sentiment. L’équipe gouvernementale a, jusqu’à présent, failli sur un point fondamental : la communication politique, psychologiquement.  Une reprise en mains des medias, réelle ou fantasmée, a paru flagrante aux yeux des citoyens qui se  sont convaincu que le doute était seul raisonnable. Il ne faut certainement pas exclure qu’une connivence implicite se soit installée entre les dirigeants des rédactions et d’une classe politique dont le souci a paru être plus de «sauver les meubles » que de sauver le pays. N’appartiennent-ils pas, les uns et les autres, à la même Nomenklatura qui a dirigé le pays, partagé le gâteau du pouvoir, que le président fût Bourguiba ou Ben Ali ?  Quelques clics sur un moteur de recherche permettraient vite de retrouver, pour les confondre les écrits anciens, de ceux qui cherchent aujourd’hui à « distraire » les citoyens par une « chasse aux sorcières» inutile et vaine, sauf pour les cas les plus flagrants. La justice aura à faire son œuvre, aujourd’hui la priorité doit être aujourd’hui de remettre le pays sur ses rails.

Le gouvernement a failli en ne sachant pas émettre les bons signaux en direction des citoyens. Il a manqué d’accomplir des gestes pourtant simples, comme de changer les aspects les plus visibles. Cela va du Gouverneur de région, aux Ambassadeurs, jusqu’aux présentateurs/trices du journal télévisé et les uniformes des policiers. Accessoire ? Certainement pas, car il lui fallait, sans tarder conforter le citoyen dans l’impression que tout a changé, que tout va changer et, ensuite, d’initier réellement le changement. Mais un mois après, quel résutat politique- donc de perception psychologique – pouvait offrir le gouvernement à des citoyens dont l’impatience était compréhensible.

Il aurait aussi dû ne pas donner l’impression de s’installer dans le moyen et le long terme en s’abstenant de d’annoncer des réformes de fond, tâche réservée au prochain gouvernement, un gouvernement légitimé par les urnes. Sachant aussi qu’il n’en a pas les moyens et qu’il n’en aura pas sans la confiance des citoyens et des partenaires extérieurs.  Voir des ministres, de l’ancienne ère, comme de la nouvelle (qui se confondent désormais), discourir sur des œuvres de longue haleine, sur l’enseignement, la santé, la politique régionale, n’avait aucun sens et a paru dérisoire. Les seules tâches urgentes étaient l’aide aux plus démunis,  familles et régions ; d’assurer la sécurité et de préparer l’instauration de la légalité institutionnelle par la préparation d’élections

Il n’avait pas pris conscience que personne n'était légitime aujourd'hui. Seules des élections, bien contrôlées notamment par des instances internationales neutres, permettront de conférer cette caractéristique aux uns et/ou aux autres.  C'est, pourquoi, - sans tenir compte du contexte autour de la Qasbah, le siège du gouvernement,  car tout le monde manipule tout le monde - il faut au président intérimaire agir et avancer les législatives, qu’elles soient constituantes, avant même l’élection présidentielle laquelle ne requiert aucune urgence.

Même mal élue sur la base d’une liste nationale – à la proportionnelle sur base de listes nationales car seuls les têtes de liste sont connus - (faute d'un temps de préparation et d'apprentissage suffisant), une nouvelle assemblée sera plus légitime et plus représentative que l'actuelle. Il faudrait élire, le même jour, une Chambre des Conseillers composée, elle,  d'élus par gouvernorat. Les deux chambres travailleront à un projet de constitution pour une 2eme République qu’elles voteront, en «chambre unique»  aussitôt dissoute. Le texte sera applicable dès un premier retour aux urnes dans les 90 jours pour une représentativité relativement assainie et un peu plus démocratique.  Et tenir alors, le même  jour une élection présidentielle sur une base constitutionnelle assainie.

La procédure parait complexe, mais elle doit comporter une série de précautions pour ne pas risquer de se retrouver de nouveau dans une impasse.

Le plus urgent serait que la gestion économique du pays soit confiée aux deux ministres "technocrates", assistés des "patrons" des principaux organismes économiques (API, APIA, FIPA, CEPEX, ONTT, etc.) sous la supervision d'un Comité économique et social composé de représentants mandatés des syndicats, du patronat et de représentants des partis sans restriction (constitués ou en cours de constitution). Ce Comité n'aura pour mission que de gérer les affaires courantes.  Le président par intérim gardera à ses côtés un  représentant spécial en charge de la diplomatie et un responsable pour la défense en liaison directe avec l’armée.

Il faudrait, d’un autre côté,  instituer une Commission politique nationale quelle que soit la dénomination à préférer, afin de séparer la gestion des affaires urgentes, économiques et sociales, des enchères et surenchères partisanes. Les partis politiques seront ainsi invités à ne se préoccuper que de la préparation de la réforme électorale et des prochaines élections. Ils ont suffisamment à faire pour déblayer le terrain, décider qui fera quoi à tous les étages institutionnels futurs, choisir quel régime, présidentiel ou parlementaire. La décision finale sera soumise aux deux chambres constituantes sans recourir au referendum dont l’idée est déjà émise. Le risque serait sinon de déclencher une vague de populisme dont les bénéficiaires, tapis dans l’ombre, sont d’ores et déjà connus. Anciens « apparatchiks » RCD ou de l’extrême-droite religieuse.

Il conviendrait, pendant ce temps, de donner un mandat – unique - au président par intérim par une décision exceptionnelle qui comportera en garantie la promesse qu’il ne se présentera pas au prochain vote. Ce sera un verrouillage utile que les juristes sauront mettre en forme. Car, il ne faut pas l’oublier, un président élu en l’état, tirera son autorité d’une Constitution dont les Tunisiens ne veulent plus. Un "vrai" président, un autre, sera élu plus tard, le temps que la situation politique paraisse plus claire.

Certains jugeront tout cela inconstitutionnel. Mais que vaut encore l'actuelle qui date de 1959. Plus rien. La seule légitimité est celle de la rue, de la voix du peuple, Vox populi. Il faut surtout et avant demeurer vigilant, car si la Tunisie a conquis sa liberté, elle est loin d'avoir bâti une démocratie, laquelle représente un travail de long terme, un rude apprentissage et une vigilance de tous les instants.

En Tunisie certains cherchent à focaliser le débat sur les manifestations à la Qasbah ou sur l'ambassadeur de France ? Sujets accessoires. Il faudrait se garder de tout ce qui pourrait nourrir la colère et la frustration pour se mettre dans un exercice de réflexion et de débat. Point par point et songer à préparer une "révolution dans la révolution", nos propres comportements.  Ben Ali n'est plus là, le «système» comme les Tunisiens, avec leurs vieilles habitudes, le sont encore et ceux-ci doivent se mettre au diapason de l'esprit nouveau.  Que chacun fasse le compte en lui-même, dans ses rapports avec l'administration, avec les autres. L'esprit "destourien" a longtemps contaminé le pays, bon gré, mal gré. La cure de désintoxication ne fait que commencer. Car, plusieurs parmi les Tunisiens ont applaudi Ben Ali avec la même intensité que Bourguiba et probablement en verra-t-on plusieurs, demain, taper des mains avec la même ferveur au profit du troisième président de la république: «être avec celui qui est debout». N’est-ce pas une formule répétée à l’envi dans nos rues et les terrasses de nos cafés surpeuplées.


Fathi B’CHIR

Journaliste-Bruxelles
 

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