News - 08.11.2025

Anissa Barrak - Tracer sa voie, affranchir sa destinée : l’histoire d’Hafida Ben Rejeb Latta dans son nouveau livre «Une fille de Kairouan»

Anissa Barrak - Tracer sa voie, affranchir sa destinée: l’histoire d’Hafida Ben Rejeb Latta

Êtes-vous prêt à donner la main à Hafida pour vous laisser guider, voire emprunter avec elle les multiples chemins qu’elle s’est frayés en elle-même et à travers le monde, depuis son point de départ, Kairouan, dans les années 40, et franchir avec elle les remparts de la vieille cité, au sens figuré comme au sens propre, afin de donner libre cours à son dessein de femme libre ?

Vous pourrez vous y abandonner en toute confiance, car vous prendrez la mesure, dès les premières pages de son récit, du degré de confiance qu’elle a elle-même choisi de placer en le lecteur, en l’introduisant au cœur de son espace privé et en se livrant avec sincérité sur le vécu de son creuset familial, dans ses moindres détails. Démarche qui se confirmera tout au long de sa narration, à toutes les étapes de son cheminement à divers endroits de la planète.

Vous prendrez plaisir – et vous serez instruits – à lire ce témoignage authentique sur le parcours de liberté et de détermination d’une femme, et à travers elle, sur une époque de mutations profondes en Tunisie et dans le monde.

Anissa Barrak

Née à Kairouan où elle a obtenu son baccalauréat au lycée Ibn Rachiq, Anissa Barrak est diplômée de l'Institut de presse et des sciences de l'information (Ipsi, Tunis) et de l'Institut français de presse (IFP, Université Paris 2). Après un début de carrière éclectique en Tunisie (journaliste et attachée de presse de festivals culturels), elle intègre la Ligue des Etats arabes en 1979 (Direction de l'information au siège à Tunis puis Bureau de Paris). Elle exerce au sein de la Délégation permanente de la Tunisie auprès de l'Unesco de 1991 à 1998. Anissa Barrak rejoint l'Organisation internationale de la Francophonie et y occupe, durant les mandats des secrétaires généraux Boutros Boutros-Ghali et Abdou Diouf, les fonctions de cheffe du Service de la communication puis de directrice du Bureau régional de la Francophonie en Asie-Pacifique, basé au Vietnam.

Elle a par ailleurs assuré de façon bénévole le secrétariat de rédaction de la revue trimestrielle Confluences-Méditerranée (Editions L'Harmattan, Paris) de 1991 à 2000. Après sa retraite à l'OIF, elle a été responsable durant trois ans de l'édition en langue arabe du Courrier de l'Unesco, magazine qui paraît en 6 langues.

Dans les faits évoqués, intimes ou publics, dans le ton avec lequel ils sont relatés, dans les détails livrés, y compris les émotions et la psychologie des personnages abordées avec subtilité, on perçoit chez l’auteur la réponse à un appel émanant de ses profondeurs : le besoin de laisser des traces d’un vécu hors normes car sans précédent à l’époque.

Ce témoignage illustre de façon significative l’enclenchement des changements qui ont traversé la société tunisienne, non sans difficultés ni clivages, et qui s’avèreront irréversibles chez le citoyen autant qu’à l’échelle de la société tunisienne dans son ensemble.

La publication d’un récit véridique sur le processus de libération d’une femme des sangles qui entravent son autodétermination, au moment où la Tunisie était sur la voie de son indépendance politique et de son accès à la modernité, est nécessaire aujourd’hui pour mesurer l’importance de ces  acquis pour l’ensemble de la société et inciter tout un chacun à continuer à agir pour les préserver.

Ce qui était considéré comme «inacceptable et scandaleux» il y a quelques décennies est aujourd’hui intégré et devenu une pratique courante. Il ne s’agit pas seulement de la détermination audacieuse d’une femme à se forger une identité propre, à refuser de réduire la finalité de son existence à un mariage précoce et arrangé, allant jusqu’à entraver les frontières communautaires et religieuses en épousant un étranger…Le mariage de la Kairouanaise Hafida avec l’Ecossais David, qui avait fait les gorges chaudes à Kairouan dans les années soixante, entre défenseurs admiratifs et détracteurs offensés, a été rendu possible par les piliers que le père de l’indépendance Habib Bourguiba a construits pour édifier la Tunisie indépendante: l’égalité des droits entre les citoyens, y compris en matière de statut personnel ; un système judiciaire unifié en termes de lois et de juridictions ; l’éducation pour tous les enfants de la République, filles et garçons.

L’auteur les relate à travers les situations concrètes qu’elle a vécues, en les étayant d’informations sur le contexte politique et historique. Toute une génération, hommes et femmes, s’y reconnaîtra. Leurs enfants et petits-enfants y trouveront une meilleure compréhension de l’évolution de leur société et du précieux héritage dont ils bénéficient aujourd’hui. Un héritage à préserver et à faire fructifier.

«David et moi avons été les pionniers relativement précoces d’une nouvelle révolution démocratique», écrit l’auteur.

Mais au-delà de cet événement exceptionnel en soi tant il se situe à la lisière de la confrontation entre le communautarisme religieux et la liberté individuelle, il s’agit aussi dans ce récit captivant, non dépourvu d’humour ni de suspense, de la suite du déroulement de la vie de Hafida qu’ont induit son caractère déterminé et sa volonté à toute épreuve : comment est-elle devenue, en plus de ce qu’elle a toujours été et revendiqué, à savoir une Kairouanaise à part entière, ce qu’elle est désormais : une femme destinée à une vie de liberté planétaire.

Affronter les difficultés, trouver en soi les ressources pour dépasser les sentiments de culpabilité, composer avec les souffrances induites par le rejet de certains de ses proches… tout cela pourrait brider l’aspiration à la conquête de sa liberté individuelle, chez quiconque lirait – je dirai écouterait - cette confidence.

Où Hafida a-t-elle puisé cette force ? Dans ses gènes ? Dans la douceur d’un foyer aimant ? Dans un environnement presque exclusivement féminin où elle a pris des responsabilités dès le plus jeune âge ? Dans la confrontation avec un univers masculin hostile ? Ou encore grâce à des femmes à la forte personnalité et à l’ancrage culturel solide telles que sa grand-mère Rekaya, ou des hommes marquants porteurs de valeurs humaines et modernistes, tels que son grand-père poète et militant nationaliste ou le père de la nation Habib Bourguiba ?

Dans la Tunisie d’aujourd’hui, quiconque désire dégager la voie de sa destinée vers la liberté  ne dispose-t-il pas de ces mêmes atouts, du moins de quelques-uns? Le témoignage de Hafida, à mon avis, donne l’impulsion nécessaire à l’atteinte de cet objectif, plutôt qu’il ne pousse à la renonciation. D’autant que les vents contraires peuvent souffler à tout moment et risquer de détruire des acquis réalisés à grands efforts et de longue haleine. La décennie 2011-2020 en a donné l’illustration.

Partager les bénéfices et les avantages d’un choix audacieux, après avoir franchi tant d’obstacles au départ, c’est l’objet d’une bonne partie de l’ouvrage qui aborde le déploiement de la personnalité de Hafida pour «embrasser la diversité du monde avec tous ses défis», la menant de Kairouan aux Highlands écossais, de Beyrouth à Dar-es-Salam, d’Abu Dhabi à Londres, en passant par Tunis, et bien d’autres contrées… pour se poser enfin à Alcossebre, en Espagne.

Au fil de ses voyages et de ses rencontres avec des milliers de personnes de diverses cultures, favorisées par sa vocation de tisseuse de liens, l’auteur égrène des anecdotes quelquefois drôles, souvent émouvantes mais toujours instructives car placées dans un contexte mondial mouvementé. On y suit son évolution en tant que mécène, femme d’affaires, enseignante… et de personne sans cesse en action, en quête d’innovation.

J’ai hésité à qualifier l’ouvrage Une fille de Kairouan de Hafida Ben Rejeb Latta. Est-il une compilation de souvenirs? Un journal intime ? Une autobiographie? Un témoignage? Une chronique de ses années de délivrance ?

Il me semble qu’il est tout cela à la fois. 

Et pour tout ce qu’il comporte comme descriptions minutieuses des scènes, la pertinence de l’analyse de la psychologie des personnages, l’exposé du contexte sociopolitique et la justesse des dialogues, cet ouvrage constitue un terreau fertile pour une adaptation audiovisuelle.

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