Opinions - 20.01.2011

Belgacem et Achour

Qui des Tunisiens ne connait pas ces deux illustres personnages ? Ils n’ont été que trop souvent invoqués pour  « s’arranger » avec les lois ou l’abus de leur application. Soudain, ces surnoms des billets de 30 et de 10 sont invoqués pour arranger l’inverse. Belgacem redevient Abou El Kacem et Achour retrouve son Mouvement. Ainsi le dinar a laissé place à la devise : lorsqu’un jour, le peuple aspire à vivre, le destin se doit de répondre !

Les tunisiens invoquent leurs grands esprits !

La planète s’arrêterait de tourner si elle pouvait pour regarder cette nation qui fait tourner les têtes partout dans le monde. Tous regardent, tantôt avec admiration tantôt avec espoir, ce peuple qui force son destin et offre un beau conte  à l’Histoire.

Après un week end houleux où la population a montré une maturité naturelle et une organisation qui a surpris les Tunisiens eux même, l’heure des tractations politiques est vite venue. Le gouvernement transitoire est annoncé alliant la cohésion à la rupture. Inutile de vous refaire la liste des rentrants et restants, mais il est heureux de voir une nouvelle classe dirigeante issu de tout bord et tout profile ; représentative de cette Tunisie diverse et modérée. Du moins, c’est comme cela que je le voyais…

Car je vois que beaucoup le contestent encore et les ministres de l’UGTT l’ont quitté avant même d’y entrer. Là, je vous avoue que je m’y perds un peu. Pour quelle raison fait-on cela? On dit réclamer le départ des ministres issu du RCD. Sérieux ? Oui.

Mais ce gouvernement est  transitoire et « transitoire » dans le dictionnaire signifie « qui représente un passage entre un état et un autre ». Quelle est la sagesse à vouloir créer une coupure nette dans l’appareil de l’Etat ? Quel est l’intérêt de dépouiller le gouvernement de hauts fonctionnaires compétents n’ayant pas trempé dans les affaires ? Ils sont issus du RCD, dira-t-on. Mais la plupart de nos fonctionnaires sont issus du RCD. Mais 20% à 25% des Tunisiens (selon les estimateurs) ont fait partie du RCD. Va-t-on tous les exclure ? Je ne veux pas le croire même si c’est vrai. Nous n’allons pas crier à la vengeance aveugle, nous qui quêtions la justice. Qu’on veuille se débarrasser des mauvaises pratiques et des structures qui les portaient, oui à l’unisson. Qu’on veuille instaurer une équité en demandant la démission des ministres RCD de leur parti mettant ainsi les partis sur un pied d’égalité, c’est légitime. Qu'on procède à la séparation Etat/RCD, c'est tout à fait fondé. Cependant tout cela peut se faire dans l’intelligence.

Tout nous appelle au calme et au discernement, notre tunisianité, notre Histoire et notre religion.
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« Et ainsi Nous avons fait de vous une communauté de juste milieu afin que vous témoigniez des gens et que l'Envoyé témoigne de vous… » sourate Al-Baqarah v143.

Que la fierté ne se transforme pas en vanité. Que la liberté ne se transforme pas en anarchie. Que notre amour inné pour la Tunisie ne se transforme en haine  entre Tunisiens. Nous avons montré au monde entier notre capacité à nous révolter avec sagacité, il reste de notre devoir de l’entériner.

Le meilleur moyen de contester le gouvernement sera les élections. Nous voulions la démocratie, la voici. Usons-en et elle se renforcera. Les élections législatives permettront à chaque tunisien de porter sa voix et à former enfin le pouvoir exécutif qui le représentera. N’est-ce pas l’essence même de la démocratie ?

Entre temps, pensons à la Tunisie du quotidien dont l’économie pâtit. Et au lieu d’entamer les travaux de reconstruction, nous sommes encore dans l’instabilité. Aujourd’hui, le couperet est tombé, la Tunisie a vu sa note souveraine dégradée par Moody's de Baa2 à Baa3. Ceci engendrera plus d’intérêts à rembourser et pèsera sur nos finances. Dans un contexte plus terre à terre, banques, usines et sociétés de services ne fonctionnent que péniblement et les partenaires étrangers risquent à terme de se désengager. La bataille pour la création d’emplois passe par la préservation de ceux déjà existants.

La République Tunisienne a été bâtie sur la Liberté, l’Ordre et l’Egalité. La bataille se jouera désormais dans le travail et les urnes. Et si je n’ai jamais adhéré à un parti politique quelconque, ma patrie a toujours été mon parti.

Au bon lecteur, ceci est mon humble avis. Mon espoir est de fêter au plus vite la quiétude de ma Tunisie, chantonner la paix dans la rue et voir Khemaïs redevenir Tarnane.

Je me suis arrêté et l’ai interrogé :
« Reviendra-t-il ô mon cœur, le fugace printemps
de la vie ?
Afin qu’y retentissent encore les chants des fleurs
Et qu’y puisse reverdir, de mon âme,
Le paradis moissonné ;   
Afin qu’y repasse, en sa démarche lente,
Le soleil, fiancé du matin, exultant dans l’ivresse
De ces hymnes ;
Que revienne, des parvis infernaux,
Un salut de mon cœur joyeux d’autrefois.
De leurs liens, en effet, les filles de la nuit l’ont
Enlacé, et lui font entendre
des hurlements d’orage. »

Abou El Kacem Echebbi – Tristesse du soir
(Traduction Abderazzak Cherait- Edition Apollonia)