News - 05.05.2025

Puissance et conditionnalité: La nouvelle grammaire allemande des relations extérieures

Puissance et conditionnalité: La nouvelle grammaire allemande des relations extérieures

Par Elyes Ghariani - Après des élections anticipées qui ont mis en lumière un paysage politique divisé et la montée de l’extrême droite, un compromis attendu s’est imposé : la CDU/CSU et le SPD se sont alliés autour de Friedrich Merz. Ce choix, plus stratégique que spontané, vise à éviter une impasse politique et redonne un certain équilibre au centre de la vie politique allemande.

Friedrich Merz, reconnu pour sa rigueur et son sens du pragmatisme, prend la tête d’un gouvernement déterminé à moderniser le pays tout en réorientant l’Allemagne sur la scène internationale. Après sept semaines de négociations intenses, la coalition s’est accordée sur un programme ambitieux : relancer l’économie par l’innovation, redresser les finances publiques et mieux gérer les migrations. Une feuille de route claire pour un pays prêt à reprendre les rênes de son destin.

Cependant, c’est dans le domaine de la politique étrangère que la véritable rupture s’opère. Le temps des compromis timides appartient désormais au passé. Sous la direction de Merz, Berlin adopte une posture plus affirmée, plus ferme, et se réapproprie un leadership sans ambiguïté. Fidèle à son ancrage atlantiste, l’Allemagne se positionne désormais de manière plus offensive, recentrée sur ses priorités stratégiques, et prête à bousculer les partenaires traditionnels. Dans ce contexte, l’Europe est avertie, et la Méditerranée, en particulier, devra faire face à une Allemagne plus directe, plus exigeante. Un nouvel équilibre est en train de se dessiner: plus lucide, plus tranché et résolument tourné vers l’efficacité.

L’ère Merz s’ouvre sur une promesse: celle d’une Allemagne qui n’a plus peur d’assumer sa puissance.

Un nouveau cap stratégique : entre affirmation militaire et ambition internationale

Dans le sillage de ce réalignement politique, l'Allemagne effectue un tournant majeur en matière de sécurité et de défense. Le contrat de coalition marque la fin de la retenue stratégique et la montée en puissance militaire assumée, avec la volonté de peser davantage sur l’échiquier international.

Pour répondre aux attentes de ses alliés et renforcer sa position au sein de l’Otan, Berlin annonce une hausse significative de son budget de défense, accompagnée d’une modernisation rapide des équipements et de l’acquisition de nouvelles technologies.

L’Allemagne change de posture. Elle ne se limite plus à accompagner – elle veut désormais conduire. Symbole de cette ambition : la création d’un Conseil fédéral de sécurité rattaché à la chancellerie, un centre de décision stratégique visant à réagir rapidement face aux menaces hybrides. La reconduction de Boris Pistorius (SPD) à la Défense assure une continuité, notamment concernant le dossier du Proche-Orient. Parallèlement, la nomination d’un ministre des Affaires étrangères de la CDU laisse présager une diplomatie plus affirmée, alignée sur les fondamentaux de la politique extérieure allemande.Le contrat de coalition confirme que la sécurité d'Israël reste une priorité, tandis que la solution à deux États est mentionnée plus prudemment, signifiant un recentrage sur des priorités concrètes. L’invitation controversée de Friedrich Merz à Benjamin Netanyahu, malgré un mandat d’arrêt international, illustre cette tension entre considérations diplomatiques et enjeux internes du gouvernement.Sur le plan européen, Friedrich Merz adopte une position ferme : stabiliser l’Union tout en préservant les principes budgétaires, notamment en refusant la mutualisation des dettes. Cette approche, saluée par les milieux économiques allemands, ravive néanmoins les tensions, particulièrement avec les partenaires du Sud de l’Europe. Berlin se projette dans une Union plus axée sur la compétitivité, la sécurité et la cohésion, où la rigueur économique domine de nouveau.

Quant au lien transatlantique, il demeure essentiel pour la diplomatie allemande, mais une prudence croissante s’y manifeste, accentuée par les tensions commerciales et les pressions protectionnistes en provenance des États-Unis, notamment dans le secteur de l’industrie verte.

Migration et coopération extérieure: un nouveau prisme stratégique

Dans le prolongement de sa redéfinition géopolitique, l’Allemagne opère un virage structurant de sa politique migratoire. Sans remettre en cause le droit d’asile, la coalition choisit de rationaliser les flux, accélérer les procédures, renforcer les retours. Une réorientation profonde, aux répercussions directes pour les pays du pourtour méditerranéen. Les contrôles aux frontières, prolongés et renforcés, restreignent la libre circulation. La requalification de certains pays comme « sûrs » et l’élargissement des possibilités de refoulement traduisent une volonté claire de réduire les demandes d’asile jugées non fondées. Les expulsions sont désormais facilitées par un cadre juridique plus strict, reflet d’une ligne plus ferme. Plus encore, la migration devient un levier de diplomatie conditionnelle. Les États partenaires doivent coopérer sous peine de sanctions : réduction des visas, gel de l’aide au développement, blocage de projets communs. La coopération migratoire n’est plus un cadre d’échange mais une adhésion aux priorités de Berlin.

Autre inflexion notable : la suspension ciblée du regroupement familial, couplée à un durcissement des critères de naturalisation malgré une simplification des procédures de séjour. Le message est explicite : l’intégration ne sera ni automatique ni indulgente. Elle devra répondre à un cadre plus strict et sélectif.

Dans le discours officiel, la migration est désormais un enjeu stratégique à part entière. Elle n’est plus seulement une question sociale ou humanitaire, mais un facteur clé de stabilité nationale. 

Pour les pays d’Afrique du Nord, cela marque un changement de paradigme: la coopération sera subordonnée à l’alignement sur les priorités allemandes.

La montée en puissance militaire comme levier d’influence allemande

Le tournant sécuritaire amorcé par Berlin ne souffre aucune équivoque : l’Allemagne ambitionne de redevenir un acteur militaire de premier plan. La modernisation de la Bundeswehr, inscrite clairement dans le contrat de coalition, devient une priorité stratégique. L’objectif est double : répondre aux attentes de l’Otan et renforcer le rôle de l’Allemagne dans l’architecture sécuritaire européenne.Pour y parvenir, le gouvernement fédéral assouplit ses contraintes budgétaires en excluant certaines dépenses militaires du cadre du frein à l’endettement. Cette décision ouvre la voie à des investissements conséquents, durables et ciblés. Elle marque une rupture nette avec les années de sous-investissement et s’accompagne d’un effort soutenu en faveur des technologies avancées, de la consolidation de la base industrielle et de la simplification des procédures d’acquisition. La création d’un Conseil national de sécurité, rattaché à la chancellerie, incarne cette nouvelle ambition. Conçu pour coordonner les politiques étrangère, militaire, numérique et de renseignement, il vise à renforcer la cohérence stratégique de l’action allemande. A terme, cette architecture permettra à Berlin de s’imposer avec davantage de clarté et d’autonomie sur la scène internationale. Dans ce contexte, la coopération sécuritaire avec les pays du Sud pourrait connaître un redéploiement. Plus structurée, davantage sélective, elle sera régie par des critères précis, reposant à la fois sur la gouvernance et la convergence d’intérêts stratégiques.

Friedrich Merz : une vision stratégique entre conservatisme et ambition géopolitique

L’arrivée de Friedrich Merz à la chancellerie marque le retour d’un conservatisme stratégique, assumé et structuré. Sa vision repose sur un triptyque clair : discipline sociale, libéralisme économique et ambition internationale. Plus qu’un simple changement de ton, c’est une volonté de repositionner l’Allemagne comme une puissance agissante, au-delà du rôle traditionnel de médiateur du consensus.Cette orientation se décline en trois priorités : consolider l’axe franco-allemand, revitaliser le lien transatlantique, et adopter une posture plus offensive face aux grandes rivalités géopolitiques. Dans ce cadre, la politique migratoire est repensée selon une logique d’externalisation encadrée, s’appuyant sur des partenariats stricts avec les pays tiers. Mais cette stratégie se déploie dans un contexte de fragilité politique. La coalition entre la CDU/CSU et le SPD repose sur un équilibre précaire, exigeant des compromis permanents, notamment sur les arbitrages budgétaires et les choix diplomatiques. En parallèle, les tensions commerciales persistantes avec les États-Unis – notamment dans l’automobile et la pharmacie – mettent à l’épreuve un modèle économique fortement tourné vers l’exportation.

Pour autant, l’Allemagne conserve un levier déterminant : sa puissance financière. L’assouplissement du frein à l’endettement offre à Berlin une marge de manœuvre budgétaire inédite en Europe. De quoi soutenir des investissements majeurs dans la défense, le numérique et la modernisation de l’administration, et ainsi asseoir durablement son rôle stratégique sur la scène internationale.
La Méditerranée au cœur d’une nouvelle dynamique de coopération et de sécurité.Sous la direction de Friedrich Merz, l’Allemagne se redéfinit avec une stratégie plus claire et plus affirmée. Moins conciliatrice et plus sélective dans ses alliances, elle réoriente son action extérieure autour de principes de puissance, de souveraineté et de sécurité partagée. Ce n’est plus une simple adaptation, mais un changement profond de sa vision géopolitique.

Cette évolution bouleverse les rapports au sein de l’Union européenne. Berlin ne se limite plus à jouer le rôle de médiateur, elle cherche à exercer un leadership assumé, exigeant davantage de ses partenaires. La coopération devient conditionnelle, et les relations, désormais plus verticales, sont structurées autour d’intérêts stratégiques clairs. Dans ce cadre, la Méditerranée devient un terrain clé pour la nouvelle stratégie allemande. Confrontée à des enjeux migratoires, des rivalités d’influence et des défis communs, la région est désormais abordée sous l’angle de la sécurisation des frontières et de l’efficacité des coopérations.

La solidarité cesse d’être un principe pour devenir un levier d’efficacité, calibré selon les paramètres définis par le Nord. Le Maghreb et le Sahel, tout en continuant à jouer un rôle central, voient leurs marges d’action se réduire dans un cadre de coopération de plus en plus structuré. Cette dynamique, qui tend à privilégier l’alignement sur les exigences européennes, laisse moins de place au dialogue fluide et mutuel. La Méditerranée se transforme ainsi en un espace stratégique pour l’Europe, où les pays du Sud assument de plus en plus des responsabilités en matière de régulation de la sécurité, dans un contexte où la coopération est soumise à des critères plus rigides. L’enjeu reste de savoir si cette Allemagne affirmée pourra concilier sa quête de puissance avec une vision partagée du voisinage, fondée sur le respect mutuel et la coopération sur des défis communs. Car c’est de cet équilibre que dépendra, en définitive, la stabilité du partenariat euroméditerranéen dans un monde traversé par des fractures géopolitiques profondes.

Elyes Ghariani
Ancien ambassadeur