Tahar Bekri: Complainte pour une planète blessée

Si ton champ n’est pas pour bercer tes blés
Mais pour ameuter le coassement des corbeaux
Si son bord n’est pas une valse de coquelicots
Mais un épouvantail pour les oiseaux
Si ton olivier perd ses feuilles de tristesse
Ses rameaux ne retiennent pas leurs bourgeons
Si ta saison n’est plus à la saison
Ses merles disparus depuis longtemps
Si ton bois n’est pas pour caresser ton violon
Mais pour soutenir la crosse du fusil
Si tes cordes ne bouleversent pas ton archet
Mais enchaînent rêves et utopies
Si ta musique n’est pas pour remuer tes notes
Mais pour obéir aux cadences des bottes
Si ton fer n’est pas pour consolider un mur d’école
Mais aligner barreaux cellules et prisons
Si ta braise n’est pas nourrir ta passion
Explose fracas d’obus blessant la nuit
Si ton cri n’est pas pour inviter la joie festive
Mais pour pleurer blessés et corps ensevelis
Si ton nuage n’enfante pas l’eau douce
Crache la pluie acide pour empoisonner le puits
Si ta montagne n’a pas la tête dans les étoiles
Mais le ventre grotte pour les sombres reptiles
Si ta vallée n’est pas la résonance des chants
Mais un amas de pierres immobiles
Si ta rivière ne coule pas de source
Ne se remplit que de vase et de boue
Si ta forêt n’est pas pour nourrir tes arbres
Elève potences et vautours sur les cimes
Si ton ciel est une arène pour les fusées
Leurs têtes pour anéantir la voie humaine
Si ta ville est emmurée dans la solitude
L’asphalte lui soude les pores
Si le ciment est ta tour de gloire
Et toi sur le fil comme un funambule
Si tes plaines ne sont que mines éventrées
Les minerais avides pour engraisser la bourse
Si ton feu n’est pas un brûlis pour la terre
Mais incendies et guerres à l’infini
Comment peux-tu aimer l’humanité ?
Copyright Tahar Bekri