News - 28.02.2025

Elyes Ghariani - Élections anticipées du 23 Février 2025 : Victoire des conservateurs et recomposition du paysage politique Allemand

Elyes Ghariani - Élections anticipées du 23 Février 2025 : Victoire des conservateurs et recomposition du paysage politique Allemand

Un tournant politique majeur en Allemagne

Les élections législatives anticipées de février 2025 ont profondément redéfini le paysage politique allemand et influencé l’équilibre européen. La victoire de l’Union Chrétienne Démocrate, CDU/CSU (28,5 %) sous la direction de Friedrich Merz et la percée historique de la formation populiste d’extrême droite, AfD, (20,8 %, contre 10,3% en 2021), désormais première force d’opposition, illustrent une reconfiguration des alliances.

L’arrivée de Merz à la chancellerie marque une rupture nette avec l’ère Merkel et son centrisme. Il a mené campagne sur trois axes majeurs : renforcement de la souveraineté européenne, relance industrielle et durcissement des politiques migratoires. Toutefois, la coalition avec les sociaux démocrates du SPD, affaibli par son plus mauvais score depuis 1949 (16,4 %), s’annonce difficile en raison de divergences sur la transition énergétique, le marché du travail et la politique de défense.

Au-delà du cadre national, ce bouleversement survient dans un contexte international instable – guerre en Ukraine, crise économique et tensions transatlantiques – plaçant l’Allemagne au cœur des recompositions stratégiques européennes.

Une CDU recentrée sur le conservatisme

Une rupture avec l’ère Merkel

L’accession de Merz au pouvoir marque un virage idéologique pour la CDU, qui s’éloigne du pragmatisme modéré de Merkel. Son positionnement plus conservateur, notamment sur l’immigration et l’énergie, a creusé des divisions internes, certains cadres restant attachés à l’héritage de l’ancienne chancelière.

Trois priorités ont structuré sa campagne:

1. Affirmer la souveraineté européenne, notamment face aux États-Unis, en réaction aux déclarations de Trump sur l’OTAN.
2. Relancer l’industrie grâce à une politique énergétique pragmatique, incluant le maintien des centrales à charbon.
3. Renforcer le contrôle des frontières et réformer l’asile, en réponse aux préoccupations d’une partie de l’électorat.

Cette stratégie lui a permis de séduire l’électorat conservateur, tout en limitant la progression de l’AfD. Toutefois, ce virage idéologique risque de fragiliser la cohésion interne de la CDU.

Une coalition fragile avec le SPD

La victoire de la CDU/CSU conduit à la formation d’une nouvelle grande coalition avec le SPD, qui rappelle les alliances passées mais s’annonce particulièrement fragile. Malgré une majorité parlementaire, les dissensions profondes entre les deux partis risquent d’entraver l’action gouvernementale.
Quatre principaux points de friction émergent:

Réforme du marché du travail : le SPD s’oppose aux réformes libérales de la CDU.
Défense européenne : divergence entre l’alignement atlantiste de la CDU et l’approche multilatérale du SPD.
Transition énergétique : désaccord sur la prolongation des centrales à charbon, en contradiction avec les objectifs climatiques de l’UE.
Monté de l’AfD : La CDU est tentée de reprendre certains thèmes de l’AfD sur l’immigration, ce qui suscite des critiques au sein du SPD.

Affaibli et en perte de vitesse, le SPD pourrait être marginalisé face à une CDU décidée à imposer son agenda économique. Les divergences CDU-SPD sur la réforme du marché du travail (25% d’écart programmatique selon le « Institut der deutschen Wirtschaft (Institut d’économie allemand), sapent la cohésion gouvernementale, alors que l’Allemagne doit relever d’importants défis nationaux et européens.

La percée historique de l’AfD

Une montée en puissance électorale

Avec 20,7 % des voix, l’AfD atteint un score inédit pour un parti d’extrême droite en Allemagne.

En axant sa campagne sur l’immigration, l’énergie et l’euroscepticisme, il parvient à élargir sa base électorale bien au-delà de son noyau traditionnel. Son leader, Alice Weidel, qui a bénéficié du soutien appuyé de l’entourage de Donald Trump, a capitalisé sur l’inflation et la crise industrielle, notamment dans les Länder de l’Est, où le parti dépasse 30 % des voix. En se positionnant comme le porte-voix des "oubliés" de la mondialisation et de la transition énergétique, l’AfD renforce son implantation dans les zones rurales et ouvrières, séduisant un électorat en quête d’alternatives aux partis traditionnels.

Un défi institutionnel et sociétal

Désormais premier groupe d’opposition au Bundestag, l’AfD gagne en influence malgré le maintien d’un cordon sanitaire par les autres partis. Toutefois, sa montée en puissance suscite de vives inquiétudes : il reste sous surveillance du renseignement intérieur en raison de ses liens présumés avec des mouvements extrémistes.

Sur le plan sociétal, cette progression accentue les clivages autour de l’immigration et de l’identité nationale, polarisant encore davantage le débat public. La forte présence de l’AfD au Parlement risque également de peser sur certaines décisions gouvernementales, posant la question de l’équilibre entre prise en compte du vote populaire et maintien des mécanismes de contrôle constitutionnel face aux 47 propositions législatives de l’AfD jugées incompatibles avec l’article 21 de la Loi fondamentale, qui définit le cadre juridique des partis politiques en Allemagne.

Les enjeux européens et internationaux

Un nouvel équilibre en Europe

Les élections de 2025 ont renforcé le poids de l’Allemagne dans l’UE, tout en accentuant les tensions internes. Friedrich Merz prône une souveraineté européenne renforcée, rééquilibrant les pouvoirs entre Bruxelles et les capitales nationales. Cette approche, qualifiée de « fédéralisme à géométrie variable », risque d’aggraver les divisions, notamment sur l’industrie et la défense.

Dans un contexte de guerre en Ukraine et d’incertitudes transatlantiques, Berlin doit jongler entre soutien à Kiev, impératifs économiques et repositionnement stratégique face aux déclarations de Donald Trump sur l’OTAN.

L'ombre de l’euroscepticisme

La montée de l’AfD, désormais premier parti d’opposition, fragilise l’intégration européenne. Les députés du parti populiste d’extrême droite torpillent systématiquement les projets d’approfondissement européens.

Au Parlement européen, l’AfD risque de s’allier aux forces populistes comme le Rassemblement National ou la Ligue, compliquant les décisions sur des dossiers majeurs tels que le Pacte migratoire et la transition écologique. L’UE doit ainsi trouver un équilibre entre cohésion communautaire et montée des souverainismes.

Tensions économiques et énergétiques

Berlin mise sur une relance industrielle qui entre en conflit avec les normes européennes. Merz défend un assouplissement environnemental et un soutien accru à l’industrie lourde, provoquant des tensions entre:

Les partisans du protectionnisme (France, Italie), favorables à un soutien aux industries stratégiques.
Les défenseurs du libre-échange (Pays-Bas, pays scandinaves), opposés à une remise en cause des règles du marché unique.

Contre vents et marées juridiques, Berlin maintient le cap sur le charbon jusqu'en 2038, défiant les douze recours déposés par les défenseurs de l'environnement. Cette décision, prise en dépit d'investissements massifs dans l'hydrogène vert, illustre le dilemme allemand: assurer sa sécurité énergétique sans renoncer à ses ambitions climatiques. Un équilibre délicat qui met à l'épreuve le leadership du pays sur la scène européenne.

La politique étrangère: entre atlantisme et repositionnement stratégique

Un réalignement transatlantique assumé

La politique étrangère de Friedrich Merz marque un rapprochement clair avec les États-Unis, rompant avec la prudence d’Olaf Scholz. Estimant que la sécurité économique et militaire de l’Allemagne repose sur un partenariat renforcé avec Washington, il défend une OTAN revitalisée et s’aligne largement sur les positions américaines, malgré l’imprévisibilité de l’administration Trump.

Ce réalignement se traduit par un soutien accru à l’Ukraine, notamment avec la livraison de missiles Taurus, une décision controversée en Allemagne. En Europe, Emmanuel Macron dénonce une « subordination aux intérêts américains », affirmant que cela affaiblit l’autonomie stratégique du continent. L’Allemagne se retrouve ainsi partagée entre son engagement atlantiste et son rôle moteur au sein de l’UE.

Washington adopte cependant une posture ambivalente : tout en encourageant une hausse des dépenses militaires européennes, Trump réaffirme son scepticisme sur l’OTAN, fragilisant le cadre sécuritaire européen. Berlin doit donc trouver un équilibre entre proximité avec les États-Unis et autonomie stratégique européenne.

Entre fermeté envers Moscou et pragmatisme avec Pékin

Sous Merz, l’Allemagne adopte une double approche envers la Russie et la Chine. Elle durcit ses sanctions contre Moscou et intensifie l’aide militaire à l’Ukraine, tout en cherchant à préserver ses liens économiques avec Pékin, son principal partenaire commercial.

Cette posture est vivement critiquée par les pays d’Europe centrale et orientale, qui reprochent à Berlin de négliger leurs préoccupations sécuritaires face à la Russie. Par ailleurs, son refus de rompre certaines coopérations industrielles avec la Chine, notamment dans l’automobile, suscite des tensions, notamment avec Washington, qui prône un découplage stratégique.

Dans ce contexte, l’Allemagne tente de naviguer entre intérêts économiques et engagements stratégiques:

Face à la Russie, elle affiche une ligne dure tout en évitant une escalade incontrôlée.
Avec la Chine, elle privilégie un dialogue économique sans s’aliéner les États-Unis.

Cette approche pragmatique, bien que défendable sur le plan économique, pose la question de la cohérence globale de la politique étrangère allemande, oscillant entre solidarités européennes et impératifs commerciaux.

L’avenir du leadership franco-allemand en Europe

Un partenariat fragilisé

Longtemps moteur de l’UE, le couple franco-allemand traverse une période de tensions croissantes, exacerbées par des visions divergentes:

• Défense: La France prône une autonomie stratégique européenne, tandis que l’Allemagne privilégie un alignement atlantiste.
• Énergie: Paris critique la dépendance allemande au gaz américain et au charbon, jugée incompatible avec les objectifs climatiques européens.
• Économie: L’Allemagne défend une politique libérale et concurrentielle, alors que la France milite pour un protectionnisme européen et une mutualisation des dettes publiques.

Ces désaccords affaiblissent leur capacité à impulser des réformes au sein de l’UE, risquant de fragiliser l’unité du bloc face aux défis géopolitiques.

Un leadership européen redéfini

Face aux tensions avec Paris, Merz cherche à diversifier ses alliances, misant sur un « directoire élargi » avec la Pologne, l’Italie et les Pays-Bas pour renforcer l’influence allemande.

• Pologne: Partenaire clé en matière de défense, notamment via un projet commun de bouclier antimissile.
• Italie et Pays-Bas: Alliés économiques stratégiques, favorables à une politique industrielle libérale et à un allègement des contraintes réglementaires.

Cette approche vise à accélérer la prise de décision dans l’UE, mais elle risque aussi d’isoler la France et d’accentuer les divisions en Europe. L’Union devra choisir entre un leadership allemand élargi ou un renforcement du partenariat franco-allemand malgré leurs différends.

Les recompositions du paysage politique allemand

Une bipolarisation accrue

Les élections de 2025 ont accentué la polarisation politique en Allemagne, marquée par l’effondrement des petits partis et la montée en puissance des grandes formations. Les Libéraux du FDP, un pilier historique de la politique allemande, ainsi que le Mouvement de Protection Sociale (BSW), une nouvelle force politique qui n’existait pas lors des scrutins précédents, n’ont pas réussi à franchir le seuil des 5 % nécessaire pour entrer au Bundestag. Cette double disparition a réduit le nombre de partis représentés de sept à quatre, reflétant une simplification radicale du paysage politique et une concentration du pouvoir entre les mains des grandes formations, au détriment des voix plus modérées ou alternatives.

Une gauche en quête de renouveau

Le SPD subit son pire score historique (16,4 %), tandis que les Verts (11,6 %) peinent à incarner une alternative face à la montée du conservatisme et du populisme.  La gauche doit se repositionner face à un électorat populaire attiré par l’AfD et le virage conservateur de la CDU. Divisée entre une aile sociale et une aile écologiste, elle peine à définir une ligne claire.

Pour regagner du poids politique, SPD et Verts devront proposer un projet cohérent, conciliant justice sociale et préoccupations sécuritaires, sans céder à la tentation du populisme.

Les défis économiques et sociaux

Une relance industrielle sous pression

Au cœur du programme de Friedrich Merz, la relance industrielle vise à renforcer la compétitivité de l’Allemagne, mais se heurte aux engagements climatiques de l’UE. Face à la crise énergétique, Berlin réclame un moratoire sur certaines normes environnementales et un assouplissement budgétaire pour soutenir l’industrie lourde, notamment l’automobile et la sidérurgie. Cette approche inquiète Bruxelles, qui craint un affaiblissement du Green Deal, qui vise la neutralité carbone d’ici 2050, et suscite des tensions avec les syndicats, qui dénoncent un manque de soutien aux travailleurs en transition. L’Allemagne devra ainsi trouver un équilibre entre compétitivité, transition écologique et protection sociale.

Une crise migratoire au cœur du débat

La politique migratoire est devenue un enjeu central du gouvernement Merz, qui veut durcir l’asile et renforcer les contrôles aux frontières, en réponse à une partie de l’électorat, notamment dans les bastions de l’AfD. Cette ligne ferme divise. La gauche et les ONG dénoncent un glissement vers une politique sécuritaire triplant les budgets frontaliers (4,2 milliards € en 2026) au détriment des programmes d’intégration (- 18 % de financements).

L’AfD, elle, pousse pour des mesures encore plus radicales, comme la fermeture totale des frontières et des expulsions massives, obligeant la CDU à trouver un équilibre entre fermeté et respect des engagements internationaux. Cette crise migratoire sera déterminante pour la cohésion sociale allemande et l’unité européenne.

Les points clés à retenir

Les élections de février 2025 ont marqué un tournant pour l’Allemagne, révélant un pays profondément polarisé. La victoire de la CDU/CSU consacre un retour au conservatisme, tandis que la percée de l’AfD ancre une dynamique populiste et eurosceptique qui bouscule le modèle démocratique allemand.

À l’intérieur, le mandat de Merz s’annonce comme un test pour la stabilité institutionnelle, pris entre les tensions de la coalition et la pression d’une opposition populiste grandissante. Économie, écologie et cohésion sociale seront au cœur des équilibres à trouver, dans un contexte où la CDU devra éviter tout glissement vers la surenchère nationaliste de l’AfD.

À l’échelle européenne, l’alignement atlantiste de Berlin et la montée des souverainismes fragmentent davantage l’UE. La relation franco-allemande, en crise, laisse place à de nouveaux rapports de force qui pourraient redéfinir la gouvernance du continent.

L’Allemagne oscille entre deux rôles contradictoires : pilier de l’intégration européenne ou facteur de fragmentation, si l’intérêt national venait à primer sur la solidarité communautaire. Les mois à venir seront décisifs : Merz saura-t-il concilier souveraineté allemande et leadership européen sans compromettre les valeurs démocratiques ? Ce choix ne déterminera pas seulement l’avenir de l’Allemagne, mais aussi celui de l’Europe.

Elyes Ghariani
Ancien ambassadeur

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