Opinions - 10.02.2025

Le vivant: Funambule du destin

Le vivant: Funambule du destin

Par Zouhaïr Ben Amor. Dr. En Biologie Marine - Les mutations aléatoires constituent le moteur essentiel de la diversité biologique. Cependant, parmi l'infinité de variations génétiques qui surgissent au fil du temps, seule une infime fraction aboutit à l'émergence de nouvelles espèces viables. Pour qu'une mutation soit pérenne, un facteur est déterminant: l'existence d'une niche écologique propice à son développement. Mais même dans un environnement favorable, la survie d'une espèce demeure tributaire d'un équilibre précaire, constamment soumis aux forces biotiques et abiotiques. Les scientifiques estiment que plus de 99 % des espèces ayant existé sur Terre sont aujourd'hui éteintes. Cela met en lumière l'ampleur des extinctions au fil des époques géologiques et l'incessant renouvellement de la biodiversité.

J'aime comparer le vivant à un funambule avançant avec audace sur une corde suspendue au-dessus du vide. Mais, à la différence d'un câble tendu dans un cirque, celui de l'évolution est instable, continuellement secoué par des forces chaotiques qui en modifient la trajectoire. Chaque soubresaut teste les capacités d'adaptation des organismes vivants, forgeant leur résilience ou précipitant leur disparition.

L’histoire de l’évolution est jalonnée d’épisodes où l’équilibre des espèces a vacillé sous l'effet de pressions écologiques, climatiques et concurrentielles. La disparition d’une espèce est souvent l’issue d’un combat inégal, où une autre espèce, mieux adaptée, prend l’ascendant. Des bouleversements soudains, comme une glaciation, un réchauffement climatique ou une acidification des eaux, peuvent anéantir des écosystèmes entiers.

L’extinction des dinosaures en est l'exemple le plus emblématique. L'impact d'un astéroïde à la fin du Crétacé, accompagné d'intenses perturbations atmosphériques, aurait marqué la fin de leur règne. De même, l'homme de Neandertal, notre cousin hominien, a disparu il y a environ 40 000 ans, probablement victime d’une compétition avec Homo sapiens, mais aussi éventuellement d’une fragilité immunitaire face à de nouveaux agents pathogènes. Ces théories, bien que fondées sur des indices scientifiques solides, laissent encore place à des interrogations.

Notre époque n’échappe pas aux lois implacables de la sélection naturelle. Le récent épisode du coronavirus a illustré, avec brutalité, combien un simple agent infectieux peut bouleverser l’équilibre des sociétés humaines. En évoluant continuellement, générant des variants plus ou moins agressifs, ce virus a rappelé l'impitoyable mécanique des pressions sélectives.

Les individus âgés se sont révélés les plus vulnérables, confirmant un principe universel : les forces de l'évolution favorisent ceux dont les défenses immunitaires sont les plus robustes, souvent les individus en âge de se reproduire. Avec l'âge, des phénomènes biologiques comme la ménopause ou l'hypertrophie de la prostate apparaissent comme des marqueurs biologiques annonçant la fin d’un cycle vital.

Mais l'Homme moderne possède une singularité qui le distingue des autres espèces : la rationalité. Cette aptitude lui permet de s’affranchir en partie des lois aveugles de la nature en développant des stratégies de survie adaptées. Face à la pandémie de Covid-19, la mobilisation rapide du savoir scientifique a conduit à la mise au point de vaccins et de traitements efficaces, démontrant la puissance de l’intelligence humaine lorsqu’elle est mise au service de la préservation de l’espèce.

L'extinction de l'homme de Neandertal nous pousse à nous interroger : un virus a-t-il pu jouer un rôle dans sa disparition ? Si tel était le cas, cela nous rappelle notre propre vulnérabilité face aux agents infectieux. Aujourd’hui encore, nous avançons, tel un funambule, sur le fil incertain de l’évolution, oscillant entre progrès technologique et précarité biologique. Chaque avancée scientifique nous confère un sursis, mais ne nous immunise jamais totalement contre l’imprévisibilité de notre environnement.

Ainsi, notre destinée demeure suspendue à une corde toujours en mouvement. Reste à savoir si nous saurons garder l'équilibre.

Zouhaïr Ben Amor