Maledh Marrakchi - L’IA en 2025: Entre consolidation et nouvelles opportunités
Depuis quelques années, le MIT Review publie ses prédictions à propos des technologies IA qui pourraient dominer l’année en cours.
En 2024, trois tendances en IA ont été mises en lumière et se sont confirmées:
• les Chatbots personnalisés, des applications d’aide interactives alimentées par de grands modèles de langage multimodaux (désormais appelés agents, le programme informatique le plus en vogue dans l’IA en ce moment);
• la vidéo générative: l’une des technologies qui a le plus rapidement évolué au cours des 12 derniers mois. OpenAI et Google DeepMind ayant publié leurs modèles phares de génération de vidéo, Sora et Veo, à une semaine d’intervalle en décembre;
• les robots plus polyvalents qui peuvent effectuer une plus large gamme de tâches. Les bénéfices des LLM se répercutent sur d’autres secteurs de l’industrie technologique, et la robotique est en tête de liste.
Pour 2025, les agents IA (définis comme des IA qui répondent de manière autonome aux entrées et à sa lecture de son environnement pour prendre des décisions complexes et modifier l'environnement) et les SLM (Small Language Models sont des modèles IA capables, comme les LLM, de traiter, de comprendre et de générer du contenu en langage naturel, mais comme leur nom l'indique, ils ont une échelle et une portée plus réduites) continueront de façonner l’industrie.
Cependant, le MIT Review identifie cinq autres tendances pour 2025:
1. Terrains de jeux virtuels génératifs
Si 2023 a été l’année des images génératives et 2024 celle des vidéos génératives, l’année 2025 verra se développer des jeux vidéo portant sur des mondes virtuels génératifs. Un petit aperçu de cette technologie a été rendu par Google DeepMind quand il a dévoilé un modèle génératif appelé Genie, capable de prendre une image fixe et de la transformer en un jeu de plateforme 2D à défilement latéral avec lequel les joueurs pourraient interagir. En décembre, l’entreprise a dévoilé Genie 2, un modèle capable de transformer une image de départ en un monde virtuel complet. D’autres entreprises développent des technologies similaires. World Labs, une start-up cofondée par Fei-Fei Li, créateur d’ImageNet, construit ce qu’elle appelle des modèles de grands mondes, ou LWM (Large World Model).Une application évidente est le jeu vidéo. Ces premières expériences ont un ton ludique, et les simulations 3D génératives pourraient être utilisées pour explorer des concepts de conception pour de nouveaux jeux, en transformant une esquisse en un environnement jouable à la volée. Cela pourrait conduire à des types de jeux entièrement nouveaux. Ces technologies pourraient également être utilisées dans le domaine de l’enseignement et de la formation (avec des approches de Serious Games) ou pour entraîner des robots. World Labs veut développer ce que l’on appelle l’intelligence spatiale, c’est-à-dire la capacité des machines à interpréter et à interagir avec le monde quotidien.
2. Des LLM qui «raisonnent»
OpenAI a dévoilé son nouveau produit o1 en septembre, qui a introduit un nouveau paradigme dans le fonctionnement des LLM. Deux mois plus tard, l’entreprise a poussé ce paradigme en avant dans presque tous les sens avec o3, un modèle qui pourrait bien remodeler cette technologie. La plupart des modèles, y compris le modèle phare d’OpenAI, GPT-4, vous donne la première réponse qu’ils trouvent. Parfois, elle est correcte, parfois non. Mais les nouveaux modèles de l’entreprise sont entraînés à travailler sur leurs réponses étape par étape, en décomposant les problèmes délicats en une série de problèmes plus simples. Lorsqu’une approche ne fonctionne pas, ils en essaient une autre. Cette technique, connue sous le nom de «raisonnement», peut rendre cette technologie plus précise, en particulier pour les problèmes de mathématiques, de physique et de logique.En décembre, Google DeepMind a dévoilé un nouvel agent de navigation web expérimental appelé «Mariner». Au milieu d’une démonstration que l’entreprise a donnée à MIT Technology Review, «Mariner» a semblé bloqué. Megha Goel, chef de produit de l’entreprise, avait demandé à l’agent de lui trouver une recette de biscuits qui ressemblait à ceux d’une photo qu’elle lui avait donnée. «Mariner» a trouvé une recette sur le web et a commencé à ajouter les ingrédients au panier d’épicerie en ligne de Goel. Puis, l’agent s’est arrêté; il n’arrivait pas à déterminer quel type de farine choisir. Goel a regardé «Mariner» expliquer ses étapes dans une fenêtre de discussion : «Il dit : “Je vais utiliser le bouton Retour du navigateur pour revenir à la recette.”»
C’était un moment remarquable. Au lieu de se heurter à un mur, l’agent a décomposé la tâche en actions distinctes et en a choisi une qui pourrait résoudre le problème. Comprendre qu’il faut cliquer sur le bouton «Retour» peut sembler basique, mais pour un robot, c’est extraordinaire. Et ça a fonctionné: «Mariner» est retourné à la recette, a confirmé le type de farine et a continué à remplir le panier de Goel.
Google DeepMind développe également une version expérimentale de Gemini 2.0, son dernier modèle LLM, qui utilise cette approche étape par étape pour résoudre les problèmes, appelée Gemini 2.0 Flash Thinking. Mais OpenAI et Google ne sont que la partie émergée de l'iceberg. De nombreuses entreprises développent des LLM qui utilisent des techniques similaires, ce qui les rend plus performantes dans toute une série de tâches, de la cuisine au codage.
3. L’IA en plein essor dans le domaine scientifique
L’une des utilisations les plus passionnantes de l’IA est l’accélération des découvertes dans les sciences naturelles. La plus grande preuve du potentiel de l’IA dans ce domaine a peut-être eu lieu en octobre dernier, lorsque l’Académie royale des sciences de Suède a décerné le prix Nobel de chimie à Demis Hassabis et John M. Jumper de Google DeepMind pour avoir créé l’outil AlphaFold, qui peut résoudre le repliement des protéines, et à David Baker pour avoir créé des outils permettant de concevoir de nouvelles protéines. On peut s’attendre à ce que cette tendance se poursuive en 2025 et à voir davantage d’ensembles de données et de modèles spécifiquement destinés à la découverte scientifique. Les protéines étaient la cible parfaite pour l’IA, car ce domaine disposait d’excellents ensembles de données existants sur lesquels les modèles d’IA pouvaient être formés.
L’un des domaines potentiels pour les prochaines applications phares en science est la science des matériaux. Meta a publié des ensembles de données et des modèles massifs qui pourraient aider les scientifiques à utiliser l’IA pour découvrir de nouveaux matériaux beaucoup plus rapidement. En décembre, Hugging Face, en collaboration avec la startup Entalpic, a lancé «LeMaterial», un projet open source qui vise à simplifier et à accélérer la recherche sur les matériaux.Les créateurs de modèles d’IA souhaitent également présenter leurs produits génératifs comme des outils de recherche pour les scientifiques. OpenAI a permis aux scientifiques de tester son dernier modèle « o1 » et de voir comment il pourrait les aider dans leurs recherches. Les résultats ont été encourageants. Avoir un outil d’IA capable de fonctionner de manière similaire à un scientifique est l’un des « fantasmes » du secteur technologique. Il est désormais reconnu que la science, en particulier la biologie, est l’un des domaines clés dans lesquels une IA puissante pourrait aider. Des spéculations sont exprimées sur l’avenir, avec une IA qui pourrait être non seulement une méthode d’analyse de données, mais un «biologiste virtuel qui effectue toutes les tâches des biologistes». Nous sommes encore loin de ce scénario. Mais des progrès importants sont attendus dans ce sens.
4. Les entreprises d’IA se rapprochent des applications en défense
Les entreprises d’IA prêtes à mettre leurs outils au service de la surveillance des frontières, de la collecte de renseignements et d’autres tâches de sécurité nationale ont beaucoup à gagner. L’armée américaine a lancé un certain nombre d’initiatives qui montrent qu’elle est impatiente d’adopter l’IA (le programme Replicator – inspiré par la guerre en Ukraine - promet de dépenser 1 milliard de dollars pour de petits drones qui intègrent l’IA dans tous les domaines, de la prise de décision sur le champ de bataille à la logistique).
Les armées européennes sont sous pression pour augmenter leurs investissements technologiques, déclenchés par les craintes que l’administration Trump réduise les dépenses en Ukraine. Les tensions croissantes entre Taïwan et la Chine pèsent également lourdement sur l’esprit des planificateurs militaires.
En 2025, des entreprises de technologie de défense comme Palantir, Anduril et d’autres, vont capitaliser désormais sur des données militaires classifiées pour former des modèles d’IA.
Les poches bien remplies de l’industrie de la défense inciteront également les grandes entreprises d’IA à s’y intéresser. OpenAI a annoncé en décembre qu’elle s’associait à Anduril sur un programme visant à abattre des drones, achevant ainsi une transition d’un an de sa politique de non-collaboration avec l’armée. Elle rejoint ainsi les rangs de Microsoft, Amazon et Google, qui travaillent avec le Pentagone depuis des années. D’autres concurrents en IA seront également de plus en plus tentés de se lancer dans la course aux contrats lucratifs du Pentagone.
5. Nvidia voit une concurrence légitime
Durant le boom actuel de l’IA, la société Nvidia, l’entreprise la plus valorisée au monde, est devenue le leader incontesté des puces utilisées à la fois pour entraîner des modèles d’IA et pour envoyer un signal à un modèle lorsque quelqu’un l’utilise, ce qu’on appelle «l’inférence».
En 2025, des concurrents géants comme Amazon, Broadcom, AMD et d’autres ont investi massivement dans de nouvelles puces, et les premières indications semblent indiquer que celles-ci pourraient concurrencer étroitement celles de Nvidia, en particulier pour l’inférence, où l’avance de Nvidia est moins solide.Un nombre croissant de start-ups attaquent également Nvidia sous un angle différent. Plutôt que d’essayer d’améliorer marginalement les conceptions de Nvidia, des start-ups comme Groq font des paris plus risqués sur des architectures de puces entièrement nouvelles qui, avec suffisamment de temps, promettent de fournir un apprentissage plus efficace. En 2025, ces expériences n’en seront qu’à leurs débuts, mais il est possible qu’un concurrent de premier plan change l’idée selon laquelle les meilleurs modèles d’IA reposent exclusivement sur les puces Nvidia. Cette concurrence repose sur la guerre géopolitique des puces. En 2025, Taïwan – dont les États-Unis dépendent fortement en raison du fabricant de puces TSMC – serait au centre des guerres commerciales. En effet, Taïwan a déclaré qu’il apporterait son soutien aux entreprises chinoises dans leur installation sur l’île pour les aider à éviter les droits de douane proposés. Cela pourrait susciter de nouvelles critiques de la part de Trump, qui a exprimé sa frustration face aux dépenses américaines pour défendre Taïwan contre la Chine. Des industriels chinois s’activent aussi pour offrir une alternative aux technologies Nvidia.
En Tunisie, une large prise de conscience de l’importance de l’IA et ses impacts potentiels a été enregistrée durant l’année 2024. Une grande effervescence, auprès du grand public et des acteurs institutionnels, a accompagné les avancées enregistrées dans le monde, notamment avec l’amplification des usages de l’IA générative. Une multitude de hackathons, de séminaires, de conférences dédiées à l’IA ont été organisés dans presque tous les domaines : développement durable, éducation, enseignement supérieur et recherche scientifique, finance, industrie, agriculture, santé … Le monde des start-ups se cristallise de plus en plus autour des applications de l’IA. Des programmes de formation continue et de certification en IA ont vu le jour au sein de différentes entreprises. L’année 2025 semble s’annoncer comme celle où des initiatives gouvernementales seraient attendues, notamment à travers une lecture du discours prononcé par le Chef du gouvernement lors des discussions du budget 2025 devant l’Assemblée nationale. La Tunisie verra probablement l’annonce de l’adoption publique d’une stratégie nationale en IA pour rattraper son retard par rapport à des pays similaires à travers le monde. Les secteurs de l’éducation, de l’enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de la formation professionnelle verront des initiatives pour se préparer à des mutations profondes avec l’avènement de l’IA. Des applications concrètes de l’IA en Tunisie restent en deçà du potentiel pour plusieurs raisons, mais les perspectives semblent prometteuses. Le temps nous est compté, le train accélère et il est de notre devoir envers notre pays et des générations futures d’y être.
Maledh Marrakchi