News - 20.01.2025

Le biogaz en Tunisie: une énergie renouvelable pour l’avenir

Le biogaz en Tunisie: une énergie renouvelable pour l’avenir

Par Dr. Hiba Zouaghi - Suite à la crise énergétique mondiale, la Tunisie compte parmi les pays ayant travaillé sur de nouvelles stratégies. Le but est de garantir une indépendance énergétique par rapport aux perturbations sociales, économiques et même politiques.

De ce fait, la Tunisie travaille depuis quelques temps sur une transition énergétique ambitieuse, s’appuyant sur des initiatives et des politiques visant à promouvoir l’utilisation des énergies renouvelables et l’efficacité énergétique. Cette transition vise principalement à réduire la dépendance vis-à-vis les énergies fossiles, tel que le gaz naturel ainsi que les importations d’autres énergies. Elle vise également à augmenter la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique national. Ceci permettrait alors d’assurer une production énergétique stable et sécurisée et d’améliorer l’efficacité énergétique lors de la réduction de l’utilisation des énergies primaires.

Dans ce sens, l’agence nationale de maîtrise de l’énergie ANME a mis au point un plan solaire visant à atteindre 35% du taux d’intégration des énergies renouvelables dans la production d’électricité d’ici 2030, la réduction du taux de demande d’énergie primaire de 30% en 2030, sans oublier les restrictions de la loi carbone qui seront adoptées à partir de 2030. Sur ce point, la Tunisie a mis un objectif pour la réduction du taux de carbone de 45% par rapport à celui de 2010.
Dans cette même initiative, la réduction du taux des gaz à effet de serre ne touche pas uniquement la migration vers l’utilisation de l’énergie solaire (photovoltaïque et thermique) mais également à réduire les nuisances olfactives causées par l’augmentation de la pollution provenant des déchets solides. Trouver des solutions efficaces afin de les valoriser, collecter les déchets plastiques et ceux des emballages de carton, encourager sur le recyclage de ces derniers, faire le tri et promouvoir des scénarios de valorisation des déchets organiques par compostage, sont des initiatives réalisées par le gouvernement.

Afin de garantir la continuité de ces projets à court et long terme, plusieurs compagnes de sensibilisation ont été lancé appuyant sur l’importance de la valoriser des déchets produits annuellement.

D’après le rapport de l’agence nationale de gestion des déchets ANGED de 2018, la quantité totale collectée des déchets s’élève à 2.8 million de tonnes dont deux millions proviennent de 10 gouvernorats tunisiens. Cela constitue 75% de la quantité totale de déchets produite annuellement. Ils sont composés principalement de déchets organiques et de déchets plastiques et ceux de papiers.

Depuis 1993, la composition des déchets ménagers a changé, vu le développement de l’industrie agro-alimentaire et la sortie de la femme vers le marché du travail.

Le tableau 1, récapitule la variation de la composition des déchets ménagers entre 1993 et 2019.

Tab.1. Variation de la composition des déchets ménagers Tunisiens entre 1993 et 2019

Fraction 1993 1997 2000 2008 2016 2019
Organique 70% 68% 68% 68% 68% 63.2%
Plastique 7% 7% 11% 11% 11% 9.4%
Papier 11% 11% 10% 10% 10% 8.6%
Métal 5% 4% 4% 4% 4% 1.6%
Autre 7% 10% 7% 7% 7% 17.2%

ANGED, 2019

Il est remarquable que la proportion des déchets plastique a augmenté dans les déchets ménagers. Heureusement, que la sensibilisation sur l’importance du recyclage de ces déchets s’est intensifiée. De nos jours, une très faible quantité de déchets plastiques arrive à la décharge contrôlée ou centre d’enfouissement technique. La mise en place de ce dernier nécessite une étude environnementale et sociale détaillée ainsi qu’une étude d’impact. Le choix de l’emplacement du site est également important afin d’éviter la contamination de la nappe phréatique.

Le site d’une décharge contrôlée doit être préparé comme présenté dans le schéma de la figure 1.

Fig.1. Schéma d’un centre d’enfouissement technique

Mise à part l’étanchéité du site, deux points s’avèrent importants. Le premier est relié à la récupération des lixiviats (jus des déchets), la collecte et le traitement de ces effluents liquides toxiques et le second à travers la récupération du biogaz produit dans les décharges.

D’où provient ce biogaz?

La production de biogaz provient principalement du processus de méthanisation appelé également digestion anaérobie. C’est un processus biologique par lequel des micro-organismes décomposent la matière organique en absence d'oxygène pour produire du biogaz (principalement composé de méthane et de dioxyde de carbone).

Plusieurs voies de valorisation du biogaz peuvent avoir lieu. Il est à savoir qu’1 m3 de biogaz est équivaut à:

Dans ce même sens, vu que les déchets tunisiens présentent une fraction supérieure à 50% en déchets organiques et que ces derniers sont bien tassés dans la décharge (condition d’anaérobie existent). Une éventuelle production de biogaz peut avoir lieu.

La décharge contrôlée de Djebel Chakir est la première de son genre en Tunisie depuis le mois de mai 1999. Le site a déjà permis d’enfouir 4,2 millions de tonnes de déchets ménagers, et ce, jusqu’à la fin de l’année 2005.Actuellement, la quantité de biogaz produite s’élève à de 9 126 220 m3 / an. Malheureusement, cette énergie produite est torchée et n’est pas encore prise en considération dans la chaîne de valorisation énergétique.

Le biogaz peut avoir d’autres sources, tel que la mise en place d’unités de méthanisation. En 1991, la Tunisie a travaillé sur la mise en place d’une trentaine d’unités de biogaz provenant des activités agricoles, ayant des volumes variant entre 16 et 25m3, dans la zone rurale de Sejnane, dans le gouvernorat de Bizerte. Le but n’est pas uniquement la valorisation des déchets provenant de l’élevage bovin et ovin mais également de trouver des sources d’énergies pour le chauffage, l’éclairage et la cuisson remplaçant ainsi l’électricité.

Les stations construites par l’ANGED présentent des digesteurs chinois enterrés comme présenté dans la figure 2.

Fig.2. Schéma d’un digesteur chinois

Ces digesteurs ont été rénovés en 2010 par l’ANGED. Une relance de ces installations n’a pas vraiment eu du succès vu qu’aujourd’hui moins de cinq unités uniquement fonctionnent. Plusieurs causes sont à citer, d’abord le manque d’entretien et les faibles moyens que peuvent avoir les agriculteurs de la région, l’introduction de l’électricité, l’accessibilité de transport ainsi que le manque de sensibilisation sur l’importance de la valorisation des déchets par bio-méthanisation et son importance dans la réduction des gaz à effet de serre.

L’office nationale de l’assainissement ONAS a également vu l’importance de la méthanisation par la mise en place de quelques unités, comme de Chotrana et Nabeul, pour la valorisation des boues des stations d’épuration. La station de Chotrana (Figure 3) est équipée de 4 digesteurs de volumes 5250 m3 et de deux gazomètres de 1350 m3 chacun. Quant à celle de la station d’épuration de Nabeul, elle est équipée d’un digesteur de 2300 m3 de volume permettant une production de biogaz récupérable de 805   m3/jour et d’un gazomètre de 570 m3 de volume.

Fig.3. Vue aérienne de la station d’épuration de Chotrana

Malgré que certaines de ces unités sont en arrêt actuellement, une nouvelle unité de méthanisation a été inaugurée en janvier 2025 dans la station d’épuration de Mehdia. Ceci montre l’importance du secteur de valorisation des déchets ainsi que la valeur énergétique du biogaz.

Une autre unité est toujours en arrêt, est celle du marché de gros de Bir El Kassaa (figure 4). Inaugurée en 2010, cette unité était destinée à la valorisation des déchets de marché de gros de la SOTUMAG, soit une quantité quotidienne pouvant atteindre 35 tonnes de déchets organiques (Figure 5). Ces déchets sont caractérisés un taux de matière sèche entre 10 et 15%.

Fig.4. Photo de l’unité de méthanisation de Bir El Kassaa

Fig.5. Provenance des déchets traités par l’unité de biogaz de la SOTUMAG

La société Solar Energy Systems SES, a estimé le coût de ce projet à 3.5 million de dinars, hors le coût du co-générateur, le coût global s'élève à 4,3 millions de dinars et garde toujours espoir pour le redémarrage de l’unité. Cette dernière est composée de deux digesteurs ayant un volume de 1000m3 chacun, un sac à gaz, une unité de refroidissement du biogaz et d’un co-générateur pour la production de l’électricité.

Cette unité permettrait une valorisation des déchets, utilisés comme fertilisant pour les sols agricoles, une production d’électricité ainsi qu’une source de chaleur nécessaire au besoin de la station.

Le centre technique de l’agriculture biologique CTAB de Chott Mariema également vu l’importance de ce secteur. C’est alors qu’une station pilote de bio-méthanisation a été mise en place par la société SES dans la ferme biologique du CTAB. L’unité est composée d’un digesteur de volume 4m3, un sac à gaz, une fosse de collecte du substrat et d’une chaudière pour le chauffage de la serre à partir du biogaz produit par l’unité (figure 6).


Fig.6. Photo de la station pilote de l’unité pilote de biogaz de Chott Mariem
1. Digesteur; 2. Sac à gaz; 3. Local de la chaudière; 4. Conduits de recirculation du digestat

Une formation de deux jours a été planifiée au sein centre technique de l’agriculture biologique CTAB de Chott Mariem (Figure 8). Cette formation porte sur la valorisation énergétique des déchets par méthanisation. Le but est d’appuyer sur l’importance de ce secteur comme solution efficace pour les agriculteurs non seulement de point de vue énergétique mais également environnemental. Car il permet de réduire la fraction des déchets de plus de 50%.

Fig.7. Photo des participants à la formation de valorisation énergétique des déchets par méthanisation, CTAB – Chott Mariem

L’agence nationale de maîtrise de l’énergie ANME a planifié une formation de 4 jours portant sur la bio-méthanisation. Cette formation a été destinée aux bureaux d’études et sociétés travaillant principalement dans le secteur des énergies renouvelables. En collaboration avec Swisscontact, cette formation a eu lieu du 23 au 26 décembre 2024 et a permis la mise au point sur ce secteur qui semble être l’avenir de la valorisation énergétique des déchets (Figure 8).

Fig.8. Photo des présents à la formation de bio-méthanisation organisée par l’ANME en collaboration avec Swisscontact

Dr. Hiba Zouaghi
DG. IB SOL ENERGY – bureau d’études
Consultante en bio-méthanisation