L'économie de la zone euro prépare le terrain pour des baisses plus importantes des taux de la BCE
L’inflation galopante a finalement été maîtrisée l’année dernière, après un cycle sans précédent de hausses des taux directeurs par la Banque centrale européenne (BCE). En 2022, la BCE a entamé une série record de 10 augmentations consécutives des taux, portant le taux de dépôt de référence à 4 %. Après une période de politique monétaire très restrictive, combinée à une normalisation progressive des chaînes d'approvisionnement, l'inflation a progressivement diminué de son pic de 10,6 % pour se rapprocher de l'objectif de 2 % fixé par la politique monétaire. En juin dernier, le Conseil des gouverneurs de la BCE a estimé que les pressions inflationnistes étaient suffisamment maîtrisées et a amorcé une nouvelle phase de réduction des taux d'intérêt, abaissant progressivement le taux de dépôt de référence à 3 % en décembre.
Récemment, plusieurs membres du Conseil de la BCE ont prudemment indiqué qu'ils s'attendaient à ce que les taux atteignent un niveau qui ne freine plus l'activité économique d'ici la mi-2025. À l’avenir, la trajectoire des taux d’intérêt devra être soigneusement calibrée, car l’équilibre des risques penche davantage vers une stagnation économique que vers des préoccupations inflationnistes. À notre avis, les perspectives économiques actuelles plaident en faveur d’un cycle d’assouplissement monétaire plus agressif que ce que prévoit le consensus. Dans cet article, nous examinons les trois principaux facteurs qui soutiennent cette opinion.
BCE et taux d’intérêt à long terme en zone euro
(% taux de dépôt et taux des obligations à 10 ans) Source: ECB, Haver Analytics, QNB Economics
Premièrement, avec des prix déjà sous contrôle, le risque d'une inflation tombant bien en dessous de l'objectif de la BCE augmente. Les dernières données sur les prix à la consommation montrent que l'inflation mensuelle, en termes annualisés, est déjà inférieure à l'objectif de 2 % de la politique monétaire. En outre, l’inflation suit une tendance à la baisse qui pourrait l’éloigner encore davantage de l’objectif. L'enquête des prévisionnistes professionnels de la BCE prévoit déjà des taux d'inflation de 1,9 % pour 2025 et 2026.
Les conditions du marché du travail fournissent des indications utiles sur les pressions inflationnistes. La BCE a commencé à publier son Indice de suivi des salaires, un outil qui collecte et agrège des données provenant de milliers d'accords collectifs, offrant ainsi des informations précieuses sur l'évolution future des salaires.
Après avoir atteint un pic au quatrième trimestre 2024, cet indice montre une décélération rapide, reflétant un net relâchement des pressions salariales. Dans un contexte d'inflation inférieure à l'objectif et de pressions salariales en baisse, une spirale déflationniste devient une menace envisageable. Un environnement déflationniste est néfaste pour l'économie, car les ménages et les entreprises retardent leurs dépenses et investissements pour profiter de prix plus bas à l’avenir, générant un cercle vicieux économique. Les dangers liés à une faible inflation, voire à une spirale déflationniste, devraient pousser la BCE à réduire ses taux plus rapidement.
Indice de suivi des salaires en zone euro
(% d'une année sur l'autre, hors paiements exceptionnels) Source: ECB, QNB Economics
Deuxièmement, la zone euro est restée au bord de la récession ces dernières années, et ses performances de croissance économique devraient rester faibles. Depuis six mois, les données de l’indice des directeurs d’achat (PMI) indiquent une économie stagnante. Le PMI, un indicateur de référence basé sur des enquêtes, mesure l'amélioration ou la détérioration des conditions économiques. Le PMI composite, qui suit l’évolution conjointe des secteurs des services et de l’industrie, est resté en dessous ou proche du seuil des 50 points, qui sépare la contraction de l’expansion de l’activité globale. Par ailleurs, les prévisions de croissance du PIB réel pour 2025 sont en baisse depuis mi-2024. Selon les prévisions consensuelles de Bloomberg, la zone euro affichera une croissance de 1 % cette année, légèrement au-dessus des 0,8 % estimés pour 2024, mais bien en deçà de la moyenne de long terme de 1,4 %. Les perspectives économiques faibles de la zone euro augmentent la probabilité de baisses plus rapides des taux d'intérêt par la BCE.
Troisièmement, les conditions financières restent restrictives en raison de la persistance de taux directeurs élevés et de la contraction progressive du bilan de la BCE. Le taux d'intérêt actuel de la facilité de dépôt, à 3 %, est proche d’un point de pourcentage au-dessus du taux considéré comme "neutre" pour l'économie, c’est-à-dire un niveau qui ne stimule ni ne freine l’activité économique. De même, bien que les taux d’intérêt à long terme aient baissé par rapport à leur pic d’octobre dernier, ils restent proches de leurs sommets de la dernière décennie. Ces taux, essentiels pour l’économie, influencent les investissements des entreprises et la demande des ménages. Par ailleurs, la BCE continue de réduire l’expansion de son bilan mise en place pendant la pandémie, une normalisation qui limite la disponibilité du crédit. En conséquence, en raison de la baisse de liquidités et de la hausse des coûts d’emprunt, les volumes de crédit continuent de se contracter en termes réels, signalant à la BCE que les conditions monétaires sont excessivement restrictives.
En conclusion, bien que le consensus prévoie un taux directeur de 2 % d’ici fin 2025, nous pensons que la BCE ramènera le taux de référence à 1,75 %, compte tenu d’un équilibre des risques qui devrait davantage pencher vers les risques de croissance économique que vers les préoccupations inflationnistes.