News - 30.12.2024

Abdellaziz Ben-Jebria: Des mots et des mets qui flattent les palais fins d’illustres littérateurs

Abdellaziz Ben-Jebria: Des mots et des mets qui flattent les palais fins d’illustres littérateurs

Moi qui suis un curieux amateur de l’art culinaire, en général, et du bon vin, en particulier, j’avoue que je viens d’apprendre, avec un certain plaisir culturel, les confidences de certains fameux auteurs historiques, s’exprimant, dans leurs propres vocables, sur les mets de l’inégalable gastronomie française. Et je dois aussi reconnaitre que je viens de découvrir, peut-être par ignorance, d’étonnantes données sur le cheptel et d’autres produits français qui accompagnent l’appétence de la fine bouche.

C’est à l’occasion des fêtes de fin d’année civile, et grâce à un grand, épais, et riche ouvrage gastronomique que j’ai pu me régaler en mettant à jour ma curiosité culturelle sur le sujet en question. Il s’agit en effet d’un trésor gastronomique dévoilé dans une sorte d’encyclopédie culinaire qui s’intitule On va déguster la France*, et qui a été conçue, écrite, et publiée par François-Regis Gaudry et ses 122 amis.

Le trésor racé du bétail français

Ce faisant et en feuilletant, j’étais d’abord étonné d’apprendre qu’on compte actuellement dix-huit races de vaches correspondant à dix-huit régions françaises et possédant chacune une qualité de viande ayant le goût de son propre terroir. Cependant, j’étais moins surpris de lire qu’il y a aussi dix-sept races de poules dans les basse-cours régionales de France, allant de la Bresse-Gauloise et la Bourbonnaise, à la Gâtinaise et la Gournaisienne, en passant par la Charolaise et la Cotentine, et bien d’autres qui sont toutes des poules de luxe. Par contre, les huit meilleurs agneaux régionaux, spécifiquement français, me surprennent encore, non pas par la quantité de production, mais par la qualité de leurs labels d’Appellation d’Origine Contrôlée (AOC) ou d’Indication Géographique Protégée (IGP).Quant au cochon, avec les 6 races régionales, allant du Limousin au Corse en passant par le Gascon, la France, après l’Espagne, peaufine bien ses délicieuses charcuteries. C’est le cas du porc Nustrale pour la meilleure charcuterie du terroir corse, ou le Pie Noir basque pour sa viande emblématique des salaisons du Sud-Ouest. Mais, en tant qu’à la fois amateur de cette bonne viande et ancien chercheur scientifique, je confirme, par goût, et j’affirme, avec raison, que tout est bon dans le cochon, non seulement pour les gourmands mais aussi pour la médecine. En effet, nous devrions, tous, y compris ceux qui l’interdisent, juifs et musulmans pratiquants, rendre hommage à ce bienfaiteur cochon. Pourquoi ? Pour sa généreuse contribution qui sauve, de nos jours, des vies humaines par des transplantations rénales qui progressent de nos jours avec succès.

Le pain du peuple, révolution, amitié et humour

Par ailleurs, personne ne peut contester qu’avec ses 35000 boulangeries-pâtisseries, la France est bien championne dans les variétés et les qualités de ses pains. Mais ceci n’est pas étonnant, dans la France des révoltes et révolutions, car quand on sait que le pain se trouvait historiquement au cœur de ces mécontentements et soulèvements insurrectionnels, on comprend que manger du pain à sa faim est le symbole du peuple. D’un autre côté, c’est en paraphrasant Aurore Vincenti qu’on peut dire que pour avoir un bon copain il faudrait d’abord partager son pain avec quelqu’un. Et quand on réalise qu’un copain est un fidèle compagnon, on comprend que l’ami s’associe bien avec la mie, et que l’amitié est une affaire de bon goût. D’ailleurs, les enfants ne surnomment-ils pas affectueusement grand-mère par mamie (ma mie) ? Et pour accompagner le bon pain, est-il nécessaire de rappeler juste intuitivement que la France compte de nos jours de nombreuses sortes de fromage ? On dénombre en effet près d’une soixantaine d’appellations fromagères enregistrées (AOP ou IGP) parmi les 1200 variétés de ces bonnes pâtes molles ou dures, écorées ou garnies de persil, et bien enracinées dans leurs régions rurales. Mais, en France, on aime bien aussi tartiner son pain avec du beurre; mais il ne faut tout de même pas pousser l’avarice et la gourmandise jusqu’au bout, une fois qu’on a beurré son pain, car le proverbe nous dit "on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre" sans évoquer en sus "le derrière de la crémière". C’est marrant, car ce proverbe français me rappelle celui d’un vieux tunisien quand il s’adresse à son invité qui lui demande la main d’une de ses nombreuses filles après avoir mangé à sa faim: "eh mon gars, tu manges mon couscous et tu désires les fesses de ma fille ?"

Le bon vin qui vieillit bien

Et pour finir avec les statistiques, la fin justifie les moyens, car on ne peut qu’être envoûté par l’impressionnant vignoble français qui produit, avec ses variétés de cépages, à peu-près 3240 vins différents pour 383 appellations s’étalant dans les 80 départements. Il est évidemment inutile de s’aventurer dans le domaine compliqué des appellations et des classements des grands crus, de leurs millésimes, et surtout d’évoquer des préférences subjectives concernant la géographie qu’elle soit bordelaise, bourguignonne, ou de la Vallée du Rhône.

Cependant, on doit admettre que le vin a le pouvoir de nous rendre plaisamment gais jusqu’à l’ivresse, mornement tristounets pour noyer son chagrin, ou totalement avinés comme une bourrique. Il faut aussi concéder que, contrairement à l’humain qui s’affaiblit avec l’âge, le bon vin plus il vieillit plus il est chèrement apprécié ; et à quel prix ! Et on doit enfin reconnaitre que le vin rouge est vasodilatateur grâce aux polyphénols qui stimulent la production de monoxyde d’azote (NO), un facteur relaxant endogène secrété par l’endothélium vasculaire. Cette grande découverte avait été réalisée par trois physiologistes, Robert Furchgott, Ferid Murad et Louis Ignarro, couronnés par le Prix Nobel de médecine en 1998).

Alors, que dit-on de quelques-uns de nos éminents écrivains?

Dans Prologue de Gargantua, Rabelais, qualifiant le chien la bête la plus philosophe du monde, avait écrit "N’avez-vous jamais vu un chien rencontrant quelques os à moelle ? Si vous l’avez vu, vous avez pu noter avec quelle sollicitude il guette son os, avec quel soin il le garde, avec quelle ferveur il le tient, avec quelle précaution il l’entame, avec quelle passion il le brise, avec quelle diligence il le suce. Quel bien en attend-il ? Rien qu’un peu de moelle. Il est vrai que ce peu est plus délicieux que beaucoup d’autres produits, parce que la moelle est un aliment élaboré selon ce que la nature a de plus parfait".

Quant à Balzac qui porte le prénom du patron des boulangers, Saint-Honoré, et qui est né dans la contrée rabelaisienne, il est semble-t-il un gourmand intermittent, et quelques fois boulimique, selon Stéphane Solier. Lorsqu’il est en plein boom d’écriture créative, son régime alimentaire est bien forcé. Mais quand il fête l’achèvement d’un texte, son menu est incroyablement copieux: une centaine d’huîtres, douze côtelettes de pré-salé, un caneton aux navets, une paire de perdreaux rôtis, une sole normande, entremets, fruits, etc., payés par l’éditeur. Et toujours, selon Stéphane Solier, son péché mignon, les pâtes de macaroni, capable d’avaler quatre "en trois à quatre bouchées de Gargantua". En outre, Balzac écrivait à propos du vin et du café "le vin a nourri mon corps tandis que le café entretenait mon esprit". Il buvait, dit-on, jusqu’à 50 tasses de café par jour pour achever son gigantesque travail d’écrivain.On prête aussi à Victor Hugo le qualificatif de grand écrivain à gros appétit, possiblement plus gourmand à grand estomac que gourmet à fin palais. On dit que son appétence était proportionnelle à son œuvre colossale. Il semblerait qu’il aimait bien prendre son déjeuner dans les restaurants des grands boulevards, s’attabler le soir en festoyant de pantagruélique dîner, et se régaler à sa table de travail, toutes les deux heures, de grandes terrines. Mais étant un homme généreux et solidaire de la misère des gens, il accueillait fréquemment chez lui de nombreux enfants pauvres qu’il nourrissait gracieusement de viandes et du vin.

Dans Bouillon de Culture et dans son dictionnaire, Bernard Pivot, un amoureux du vin, rend hommage à près d’une trentaine d’appellations qui désignent, dans la langue de Molière, le buveur alcoolique ; en voici quelques mots argotiques dans cette longue liste : ça part de l’Ivrogne, le Soûlard, le Poivrot et le Picoleur; en passant par le Pochard, l’Éponge-à-Vin, le Boit-sans-Soif et le Biberonneur ; et en s’arrêtant au Cuitard, Siroteur, Soiffeur et Vinassier.

Un peu d’humour, et d’erotisme, pour la fin

1- Pour un apéritif ou digestif, il n’y a pas mieux de déguster la préparation du cocktail Picon-Citron- Curaçao, avec l’accent marseillais, qu’en imaginant entendre les voix chantantes de César et Marius, dans le dialogue du film de Marcel Pagnol.
César: C’est pourtant pas difficile, regarde. Tu mets un tiers de curaçao. Fais attention hein, un tout petit tiers ! Un tiers de citron. Tu vois ? Un bon tiers de Picon. Tu vois ? Et alors, un grand tiers d’eau. Voilà.

Marius: Et ça fait quatre tiers.

César: Et alors ?

Marius: Dans un ver, il y a trois tiers.

César: Mais, imbécile, ça dépend de la grosseur du tiers !

Marius: Ben non, ça dépend pas. C’est de l’arithmétique, ça. 

2- Selon Aurore Vincent, cuisine et érotisme commencent dans la bouche ; le plaisir de manger trouve son écho dans celui du baiser; on parle d’appétit qu’il soit sexuel ou alimentaire ; on dira communément d’une femme gironde qu’elle est gourmande et qu’elle cherche quelqu’un à se mettre sous la dent ; et nul besoin d’avoir l’esprit mal tourné pour comprendre que quelqu’un qui a faim ou qui a la dalle a des envies de bonne chère ou de bonne chair !

3- J’aimerais enfin terminer ce billet par quelques citations de l’écrivain Egyptien Naguib Mahfouz, Prix Nobel de littérature (1988), sur l’alcool (Le Palais du désir, 1957) :
L’alcool est l’essence de l’amour une fois dévêtu de ses oripeaux de douleur. Alors oui, tu connaitras l’ivresse ! Envi-toi, tu connaitras l’amour !

L’alcool est une sève qui est tout le bonheur !

Aimer les femmes et la boisson n’a rien de misérable !

Abdellaziz Ben-Jebria

* On va deguster la France (2017) par Francois-Regis Gaudry et ses amis, Marabout et editions de Radio France (2017).
 

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