Opinions - 11.12.2024

Khadija Taoufik Moalla: Faut-il traverser un désordre mondial pour arriver à bon port?

Khadija Taoufik Moalla: Faut-il traverser un désordre mondial pour arriver à bon port?

Nos pensées, nos intentions et notre vision façonnent le monde. Être leader, c’est avoir la capacité d’imaginer un avenir meilleur et inspirer les autres à le concrétiser. Être leader, c’est aussi être capable de dire la vérité aux puissants, car c’est le seul moyen de transformer les dynamiques de pouvoir entre riches et pauvres, entre hommes et femmes, entre classes, générations, et à travers le temps et l’espace.

Cet article appelle à une réflexion profonde et collective sur l’état du monde et les actions nécessaires pour bâtir un avenir durable et équitable pour nous toutes et tous.

Un nouvel ordre mondial est en gestation redéfinissant les rapports de force entre nations et mettant à l’épreuve la résilience des peuples. De la Palestine au Liban, de la Syrie à l’Irak, du Yémen au Soudan, sans oublier la Libye et d'autres nations, la liste de conflits et de désastres, planifiée ou subie, continue de s’allonger. Aujourd’hui, des millions d’hommes, de femmes et d’enfants fuient guerres, misère et catastrophes environnementales. Ces vagues de réfugiés, qu’ils soient économiques, humanitaires ou écologiques, témoignent d’une humanité à la dérive.

Sommes-nous prêts à affronter ce chaos ? Avons-nous les moyens d’endurer les massacres, génocides et atrocités qui jalonnent ce désordre? En effet, notre résilience, c’est-à-dire notre capacité à surmonter les chocs et à nous reconstruire, est de plus en plus mise à rude épreuve. Mais nous reconstruire à quel prix, et pour quel avenir? Quel legs allons-nous laisser à nos enfants, nos petits-enfants, et aux générations futures ?

Un Pacte pour l’Avenir : promesse ou illusion ? Il y a à peine deux mois (Septembre 2024), les pays membres de l'ONU ont signé un ‘Pacte pour l’Avenir’, censé marquer un tournant, et qui regorge d’engagements pour un monde plus juste et durable. Pourtant, une question fondamentale demeure : pourquoi ces promesses, comme tant d’autres, sont-elles si rarement tenues ?

Les pays riches continuent de perpétuer des structures économiques héritées du colonialisme, enfermant les nations du Grand Sud dans un cercle vicieux de dépendance et d’endettement. De leur côté, de nombreux dirigeants du Sud manquent de vision pour entreprendre des réformes structurelles ambitieuses et vitales, se contentant de solutions temporaires, de simples pansements pour soigner des plaies béantes. Or, seuls un diagnostic honnête et une réponse systémique pourront guérir ces maux et réparer les injustices passées et présentes. En effet, pour réduire l'écart entre les engagements internationaux et la réalité actuelle, il faut une transformation profonde et radicale des priorités politiques, socio-économiques, culturelles et environnementales.

Un coût insoutenable pour les peuples : Cette inaction et ces demi-mesures ont un coût immense pour les populations, premières victimes, qui subissent guerres, pauvreté, famine et exodes massifs. Les inégalités se creusent, les ressources humaines et financières s’amenuisent, et les faillites d’États se multiplient. Aujourd’hui, nous assistons à une véritable hémorragie mondiale: des vies sacrifiées, des talents perdus, des économies ravagées et des équilibres compromis. Et pourtant, aucun leader des grandes puissances ne semble être capable de proposer une intervention décisive pour enrayer cet effondrement et offrir une alternative à ces échecs sans fin.

Un appel à une action collective et courageuse: Le chaos actuel n’est pas une fatalité. Il constitue un appel à l’action, une opportunité de briser les chaînes des inégalités et de redéfinir les bases d’un ordre mondial plus juste au service de l’humanité. Cet objectif exige courage, intégrité et sacrifices, mais l’alternative – persister dans l’inaction – est bien plus sombre et a un coût bien trop élevé.

Face à ces défis immenses, le moment est venu de transcender les clivages, d’analyser nos échecs et de proposer des solutions ambitieuses. Nous devons bâtir un avenir où chaque nation et chaque individu pourra prospérer dans la dignité et l’équité. Des patriotes intègres rêvent de sauver leur nation et, au-delà, l’humanité et la planète. Afin de concrétiser leur vision, ils doivent influencer les leaders mondiaux et les Etats du Sud Global à jouer un grand rôle:

Ce que nous attendons des leaders mondiaux

Respecter et renforcer le multilatéralisme en créant des mécanismes de responsabilité grâce à l’instauration des systèmes de surveillance du respect des engagements, avec des sanctions en cas de non-respect.

Prioriser les institutions internationales et les réformer afin qu’elles soient plus efficaces, équitables et capables de répondre aux crises rapidement, tout en garantissant l’implémentation des résolutions existantes.

Prévenir les conflits avant qu'ils ne dégénèrent en encourageant une diplomatie proactive grâce à l’investissement dans la médiation préventive et des modèles de résolution de conflits basés sur le dialogue et la gestion des diversités ethniques et culturelles.

Promouvoir une économie mondiale plus équitable en réduisant les inégalités Nord-Sud grâce à un soutien financier et technologique accru aux pays en développement et l’investissement dans le développement humain (santé, éducation, emploi et climat) plutôt que dans les dépenses militaires.

Réduire les inégalités en attaquant les causes structurelles des conflits, telles que la pauvreté, les inégalités économiques et les injustices sociales, et en encourageant la promotion des partenariats économiques équitables réduisant ainsi la marginalisation et les tensions entre les nations.

Respecter les droits humains et la justice internationale en renforçant les institutions juridiques internationales, telles que la Cour pénale internationale et d’autres mécanismes pour juger les auteurs de crimes de guerre, de génocides et de crimes contre l’humanité.

Mettre fin à l'impunité en appliquant des sanctions contre les gouvernements ou acteurs non étatiques impliqués dans des violations flagrantes des droits humains, et en protégeant les droits des groupes marginalisés en renforçant leur inclusion dans les processus politiques et économiques.
Soutenir un journalisme d’investigation indépendant qui expose les injustices, les conflits d’intérêts et les crimes de guerre.

Renforcer les régimes de contrôle des armes et réduire la militarisation, y compris le commerce illicite des armes.

S’attaquer aux défis mondiaux transversaux tel que le climat et l’environnement, en réduisant les tensions liées aux ressources naturelles (eau, terres agricoles) et en investissant dans des solutions durables. Mettre en place des politiques humanitaires pour gérer les flux migratoires causés par les conflits, tout en s’attaquant et éradiquant leurs causes profondes.

Internationaliser la lutte pour la paix et encourager la solidarité mondiale en créant des mouvements transnationaux grâce à l’établissement d’alliances avec des organisations dans d’autres pays pour une mobilisation globale, afin de faire entendre la voix des peuples auprès des institutions multilatérales, et faire pression sur les grandes puissances pour qu’elles respectent leurs engagements et n’alimentent pas les conflits.

Ce que nous attendons des Etats du Sud global

Les États du Grand Sud ou du Sud Global jouent un rôle crucial dans la redéfinition de l'ordre mondial grâce à leur diversité culturelle, leur richesse en ressources naturelles, et leur position unique en tant que porte-voix des aspirations des populations longtemps marginalisées par l'ordre mondial dominé par les grandes puissances du Nord. Ils peuvent être à l’avant-garde d’une transformation du système mondial, en combinant la mobilisation interne, des alliances stratégiques et une vision collective. Ils ont le potentiel de faire émerger un nouvel ordre mondial plus juste, équitable, authentique et digne:

Plaidoyer pour la justice économique qui implique la refonte des institutions économiques mondiales comme le FMI, la Banque mondiale et l'OMC pour mieux refléter les intérêts des pays en développement, grâce à des quotas plus équitables et une participation réelle et effective aux décisions globales.

Diversification économique afin de réduire la dépendance vis-à-vis des matières premières et éviter les pièges de l'extractivisme.

Systèmes de commerce équitable grâce à des accords commerciaux qui respectent la souveraineté des Etats et le droit au développement.

Promouvoir des solutions durables adaptées aux besoins locaux, comme l'agroécologie, l'énergie renouvelable accessible, l’économie circulaire et la gestion communautaire des ressources naturelles.

Revendiquer la justice climatique basée sur le respect des pays développés de leurs engagements financiers pour aider les pays en développement à s'adapter aux impacts du changement climatique, grâce à des modèles de développement respectueux de l’environnement, tels que des pratiques ancestrales, souvent plus durables.

Nouvelle architecture de gouvernance mondiale en proposant des alternatives au système actuel, comme un Conseil de Sécurité des Nations Unies plus démocratique incluant des représentations permanentes de grandes régions du Sud.

Revendication d'une souveraineté culturelle et politique grâce à la décolonisation des esprits et la promotion de la diversité culturelle et le savoir autochtone comme des éléments essentiels d’un ordre mondial plus authentique et humain.

Indépendance technologique et numérique grâce à une souveraineté dans ces domaines pour éviter une dépendance excessive vis-à-vis des puissances du Nord.

Investir dans le capital humain en donnant la priorité à l'éducation, en mettant en valeur des modèles inclusifs et locaux, et des systèmes de santé résilients, ainsi qu’en tirant parti des talents et des réseaux globaux des diasporas pour promouvoir des échanges de savoir et des innovations.

Promouvoir une diplomatie des valeurs partagées en insistant sur la primauté de l'éthique dans les relations internationales, en promouvant la dignité humaine et en condamnant fermement les pratiques de néo-colonialisme ou d’exploitation.

Faire des engagements internationaux une réalité demande une action collective coordonnée, compréhensive et holistique. Les gouvernements doivent dépasser leurs intérêts immédiats pour embrasser une vision à long terme axée sur la coopération et la justice. De leur côté, les citoyens patriotes doivent continuer à exiger des changements structurels, tout en contribuant activement à construire des sociétés inclusives et résilientes. La paix durable n'est possible que si elle devient une priorité universelle, un état d’esprit et un engagement indéfectible défendu par tous.

Sommes-nous prêts à traverser cette transition, aussi chaotique soit-elle, pour atteindre un avenir meilleur? La réponse dépend de chacun de nous, si nous voulons arriver à bon port!

Khadija Taoufik Moalla