News - 23.11.2024

Chadli Laroussi: L’Europe et l’Afrique, entre rêve et cauchemar...

Chadli Laroussi: L’Europe et l’Afrique, entre rêve et cauchemar...

Dans un roman-autofiction "Un prénom pour exister", publié  en  2016, en hommage au peuple tunisien, j’évoquais l’apparition de l’Homo Sapiens qui a développé la culture capsienne sur cette terre tunisienne, il y a 40 mille ans. À cette époque, l’Afrique et l’Europe, supportées par le même socle géologique, formaient un seul et même continent.

L’histoire

Sidi, le héros de ce roman, notait dans ses mémoires:

«Ma visite, aujourd'hui, à El Guettar, m'a administré la preuve que nos ancêtres ont peuplé cette terre, il y a déjà plusieurs dizaines de milliers d'années. Je suis resté longtemps à admirer l'Hermaïon, cette pyramide minuscule pétrie d'histoire. Ses pierres mêlées aux ossements d'animaux les plus divers et aux milliers d'outils préhistoriques taillés dans le silex témoignent de la richesse de la première culture qu'a connue notre peuple, il y a de cela quarante mille ans!
Ce monument énigmatique, probablement le plus ancien dans notre pays, ne serait-il pas un autel bâti en offrande à la source d'El Guettar pour en protéger la palmeraie naissante ? À voir l'exubérance de la végétation luxuriante autour, force est de constater que les divinités ont exaucé le vœu de ses bâtisseurs.»

Après avoir marqué une petite pause, il se remit à écrire, se remémorant ce que les recherches anthropologiques les plus récentes avaient établi sur l'origine de ses ancêtres:

«C'est entre la source aujourd'hui tarie d'El Guettar et Capsa, devenue aujourd’hui Gafsa, que l'homme moderne, dit Homo Sapiens, a vu le jour, il y a quarante mille ans. Sur ces terres, il a développé la culture capsienne. Nomade, il s'est adonné à la chasse et à la cueillette. Puis, il s'est aventuré à pied pour aller peupler l'Europe. Le détroit de Sicile n'existait pas encore. Sans bras de mer pour la séparer de notre pays, l'Europe constituait le prolongement naturel de la Tunisie. L'Afrique et l'Europe ne faisaient qu'une seule entité, formant un seul et même continent.»

La géographie

« Sidi posa sa plume et replongea dans sa méditation. Il s’imagina la carte géographique de la Tunisie des ères géologiques antérieures, animée de mouvements et de soubresauts gigantesques qui déformèrent sa physionomie comme un visage reflété dans un miroir ondulant. Il voyait naître à la pointe de la Tunisie la Mésogée, un mince bras de mer qui, au fil des millénaires, se transforma en une véritable mer intérieure, la Méditerranée. 

Mais, convaincu que les lois de l'Histoire n'obéissent pas nécessairement aux caprices de la tectonique, somme toute superficielle, il reprit son cahier pour y consigner ce que lui inspira la fracture de l’écorce terrestre qui coupa en deux ce qui était un continent commun :

«L'Afrique et l'Europe qui formaient un seul continent sont, aujourd'hui, deux continents distincts. Leurs destins se sont séparés, mais ancrés sur le même socle géologique, leurs destinées demeurent liées. Pour preuve, ce sont les descendants du même Homo Sapiens, né sur cette terre d'Afrique, qui peuplent aujourd’hui les deux continents.»

Ce soir-là, plongé dans un sommeil profond, Sidi vécut, dans ses rêves, l'épopée de l'Homo Sapiens quittant à pied sa terre africaine pour aller peupler l'Europe.
Mais son rêve vira subitement au cauchemar lorsqu'il vit se creuser un immense fossé dans lequel déferla une mer houleuse qui emporta les cohortes de migrants. Il se réveilla alors en sursaut croyant entendre des naufragés appeler au secours.

Était-ce un cauchemar prémonitoire ? La Méditerranée serait-elle la barrière définitive entre Africains et Européens, descendants des mêmes ancêtres, certes, mais séparés à jamais par une mer qui aurait juré d’engloutir ceux qui, parmi ses habitants de la rive sud, se hasarderaient à reprendre le chemin de leurs ancêtres ?».

Concilier la géographie avec l’histoire

Pour parer à ce cauchemar de mauvais présage, il est grand temps pour les décideurs dans ces deux continents de concilier la géographie avec l’histoire.
Il est grand temps de promouvoir un co-développement solidaire entre l’Europe et l’Afrique en jetant le pont d’un partenariat gagnant-gagnant entre les rives nord et sud de la Méditerranée, un partenariat qui allie les avantages comparatifs de leurs continents respectifs, tant sont complémentaires leurs potentiels respectifs tant en ressources humaines et naturelles qu’en biens matériels et immatériels.

C’est à ce prix que la Méditerranée pourrait devenir un lac de paix et de prospérité  au bénéfice de la stabilité dans sa région et dans le monde.

Chadli Laroussi
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