News - 04.11.2024

Abderrazak Cheraït: Un grand seigneur du Djérid

Abderrazak Cheraït: Un grand seigneur du Djérid

Visionnaire, entrepreneur, généreux… Abderrazak Cheraït qui vient de nous quitter aura donné à Tozeur, sa ville chérie, et au Djérid tunisiens une nouvelle splendeur. Rien que le musée qui porte le nom de la famille constituera un motif de découverte de ces merveilleuses oasis, et d’immersion dans une culture, et tout un mode de vie. Des hôtels suivront, des résidences typiques et des festivités qui relancent un site d’une beauté exceptionnelle et draine visiteurs tunisiens et touristes étrangers.

Ce n’est pas l’unique œuvre d’Abderrazak Cheraït, longtemps maire de Tozeur, puis membre de l’Assemblée nationale constituante. Il mettra son vaste réseau d’amis et tout son poids pour plaider la cause d’une région longtemps laissée à elle-même. Tozeur s’embellit, s’équipe, développe son cachet typique, préserve ses traditions, reprend son artisanat et met en avant ses arts populaires…

Abderrazak Cheraït prenait tous de court. Son franc-parler, sa simplicité, son intelligence et ses idées avant-gardistes d’un homme de gauche, profondément nationaliste arabe, resté toujours indépendant, surprenaient, attiraient, impressionnaient.

Encore étudiant à Paris, à la fin des années 1950, Abderrazak Cheraït était virevoltant en actions militantes, créant l’Union des étudiants arabes, participant à divers mouvements nationalistes et de gauche, plaidant la cause du développement économique et social. Sa chambre à la Maison de Tunisie était le lieu de rencontre de ceux qui comme lui seront parmi les bâtisseurs de la Tunisie indépendante. Ali Boukhris, Sadok Bahroun, Moncef Thraya, Taoufik Chaïbi, Mohamed Ali Souissi et autres Abdelaziz Tlili venaient débattre, échanger. Lorsqu’il était de passage à Paris, Tijani Chelly, polytechnicien déjà depuis 1955, se joignait à eux.
Les mêmes amis et d’autres, se retrouveront lors de leurs retours à Tunis et seront inséparables. Chacun de son côté, œuvrait pour une Tunisie nouvelle.

Un banquier du peuple

Abderrazak Cheraït, banquier, proche de l’UGTT, sera le fondateur de la Banque du peuple, celle qui deviendra la Banque du Sud, avant de prendre l’enseigne d’Attijari Bank. Précurseur, il concevait cette banque comme une réponse au système bancaire hérité de la colonisation, finançant des petits crédits et apportant son concours à l’économie nationale à des taux préférentiels.

L’esprit en verve, le sourire toujours sur les lèvres

Avec le développement de la politique industrielle, Abderrazak Cheraït créera une unité moderne, la société tunisienne d’éclairage (STE). Implantée à Ben Arous, elle est spécialisée dans les luminaires et les solutions d’éclairage, en collaboration avec Mazda. La réussite a été totale. Chaque jour, muni d’un thermos plein de thé chaud, il y allait « inspirer les équipes ». Ni patron, ni camarade, il avait un mode de gestion rationnel, rigoureux, mais très humain, le sourire toujours sur les lèvres.

Grand amateur d’arts et mécène, passion qu’il partage avec son épouse Monica, il encourageait les artistes, leur achetait leurs œuvres, les invitait chez lui. De jour en jour, ses collections s’enrichiront de pièces de débutants et de celles de grands maîtres, artistes peintres, sculpteurs, calligraphes, artisans et autres. Des costumes traditionnels et divers outillages s’y ajouteront. Il fallait sans cesse leur trouver de la place. Un thème très cher à son cœur : le cheval. Il en aura des tableaux, des sculptures, et diverses autres représentations raffinées : des lance-parfum, et des objets décoratifs de diverses époques. Par ailleurs, il tenait à ce que le portrait de l’enfant prodige de Tozeur, Abou Al Kacem Chebbi, soit accroché et mis en valeur dans chaque espace où il le pouvait.

Une passion partagée, transmise

Emmenant leurs amis en famille, lors des vacances, dans la maison parentale à Tozeur, Abderrazak Cheraït et Monica y faisait déposer de nouvelles pièces de leurs collections et prenaient soin de les installer. Tout naturellement la maison deviendra un musée familial. Il fallait sauter le pas et en faire un grand musée : : Dar Cheraït. Le coup d’essai se transformera en grande réussite. Ses amis accourront de partout. Adel Megdiche y sera constamment invité. Le musée présente une magnifique collection de ses peintures, à côté de celles d’autres grands noms des artistes plasticiens tunisiens.

Les médias s’emballent. Des émissions télé sont diffusées en direct de Dar Cheraït. Les reportages ne s’arrêteront plus. Des équipes de grandes chaines télévisées étrangères et d’éminents journalistes viendront savourer les lieux et l’hospitalité. D’illustres personnalités étrangères, chefs d’Etat et de gouvernement, ministres, députés, romanciers, et penseurs, feront le voyage et en seront émerveillées.

Le parc Chak-Wak est sans doute l'œuvre qui lui tenait le plus à cœur. Fondé en 2006, ce lieu unique s'étend sur cinq hectares. Abderrazek Cherait l’a pour offrir aux visiteurs à un voyage dans le temps et les civilisations. Il abrite plus d'une centaine de sculptures d’animaux, dont cinq impressionnants dinosaures grandeur nature, ainsi que des mini-musées, des grottes et des huttes reproduisant des habitats anciens. Au cœur du parc, un café culturel propose une atmosphère chaleureuse où Abderrazek Cherait expose une partie de sa précieuse collection d'œuvres d'art, permettant ainsi aux visiteurs de découvrir un patrimoine artistique et culturel riche.

Dans cette belle aventure, Abderrazak entrainera avec son épouse leur trois enfants : Karim, Jalel et Fares, leur transmettant la passion du Djérid. Avec talent et ingéniosité, ils développeront le projet initial, en créeront d’autres, s’étendant loin en plein désert. Le raffinement, la préservation du patrimoine et la promotion des arts locaux et de l’artisanat seront leur crédo. Malgré les multiples contraintes, les difficultés, la conjoncture économique, la pandémie du Covid, la suspension de nombreuses liaisons aériennes avec l’Europe, et la perturbation de celles avec Tunis, ils sauront faire acte de résistance et montre de courage et de persévérance.

Toujours égal à lui-même

Abderrazak Cheraït, était surtout d’une grandeur d’âme et d’une générosité, légendaires. Sans jamais compter, il était très proche de tous. Autant il aimait les retrouvailles avec ses amis d’enfance et de jeunesse devenus de grands décideurs, autant il prisait se mettre avec les employés de sa société à Ben Arous et de ses unités à Tozeur, ou encore d’humbles citoyens. Sa porte était toujours ouverte. Son cœur aussi. Inventif, il promenait une pensée avant-gardiste sur toutes les préoccupations de la Tunisie, esquissant des solutions innovantes qui rompent avec les paradigmes désuets. Un homme libre, indépendant, grand mécène et ami fidèle.
Abderrazak Cheraït, nous manquera.

Que son épouse, ses enfants et ses petits enfants sauront sans doute préserver son œuvre et la promouvoir. Il aura eu beaucoup de mérite. Ils auront désormais une lourde responsabilité.

Que Tozeur, le Djérid, le Sud tunisien, le tourisme, l’artisanat et la culture sauront lui rendre l’hommage qu’il mérite et faire perpétuer son souvenir.

Allah Yerhamou !