News - 16.10.2024

Défis et opportunités dans l’aménagement intégré et conservatoire des terres africaines

Défis et opportunités dans l’aménagement intégré et conservatoire des terres africaines

Par Amor Mtimet - Berceau de l’humanité, notre Afrique subit comme le reste des continents tous les processus de la dégradation des terres. Le rapport de l’ONU paru en avril 2016 venait sonner l’alerte mondiale : « Non seulement 70 % des terres émergés ont déjà été transformées par l’homme mais pas moins de 40 % des sols s’en trouvent abimés… »

Dans un livre publié par de l’Observatoire du Sahara et du Sahel (OSS) sous le titre de « Terres d'Afrique : la dégradation et l'impératif de la gestion durable », de nouveaux éléments significatifs nous interpellent. Etabli par une laborieuse équipe de l’OSS, associée à des experts, il a été présenté lors d’une Conférence Internationale sur la dégradation des terres au mois de juin 2024. Il est le fruit d’une collaboration entre l’Observatoire, les pays africains et un certain nombre de partenaires et un condensé des références bibliographiques prioritaires (142 références citées) et à jour pour l'analyse de la dégradation des terres son évaluation essentiellement en Afrique et font le point des connaissances actuelles ayant trait à l'état des terres (avec étude de cas). Il met en exergue les différents contextes régionaux, la difficulté du calcul des surfaces affectées quel que soit le profil du diagnostiqueur : géographe, naturaliste, pédologue, forestier, socio-économiste...Il propose des approches et un ensemble de solutions en GDT (gestion durable des terres) intégrantes où les communautés voient plusieurs avantages en corrigeant et en gérant rationnellement leur potentiel en terres.L’objectif est d’encourager les usagers des ressources naturelles et de sensibiliser les responsables politiques quant à la nécessité de tenir compte des mesures prioritaires du développement durable à même de limiter la dégradation des terres et la pauvreté, d’accroître la sécurité alimentaire, favorisant ainsi la fixation des populations sur leurs territoires.

L’ouvrage est composé de 4 grandes sections autour des thématiques

1. Condition environnementale, état des lieux et ampleur des processus de la dégradation des ressources terrestres en Afrique

2. La Dégradation des terres est une menace sérieuse pour les états africains avec ses nombreuses conséquences négatives

3. Comment adopter un cadre stratégique pour l’indicateur NDT visant la neutralité en matière de dégradation des terres de l’objectif de développement durable par la CNULCD (Convention of United Nations to Combat Desertification)

4. L’évaluation actualisée de la dégradation des terres en Afrique et les propositions envisagées (moyens de lutte, recherche/développement, renforcement des capacités pour une meilleure planification, et maintenant la participation des communautés locales), avec l’apport et le soutien de l’OSS.

Potentiel mais dégâts infligés aux terres

La population africaine est estimée à 1,3 milliards d’individus dont 50% des jeunes de moins de 15 ans. 70% des habitants vivent en milieu rural. L’Afrique, avec son découpage régional, présente un ensemble de climats naturels variés. Cette diversité se traduit par la présence de différents bioclimats; hyperarides, arides, semi-arides, subhumides et humide, avec la dominance de l’hyperaride. En outre le continent dispose, d’importantes ressources en eau, avec 17 grands fleuves et une centaine de lacs, auxquels s’ajoutent d’importantes nappes phréatiques. Mais l’Afrique reste parmi les régions les plus vulnérables du monde face aux impacts projetés du changement climatique (Climat et Société, 2007).Les grands domaines pédologiques et les associations des sols, du continent africain comprend 10 grands ensembles d’associations (ou 7 grandes régions selon un découpage géographique, Jones et al. 2015), ces ensembles de sols sont estimés : Les sols désertiques (620 millions d’ha, avec 21,8 % de la superficie totale), les sols sableux, les sols salins, les sols acides des basses terres tropicales, les sols des hautes terres tropicales, les sols argileux foncés, les sols tropicaux ferrugineux, les sols méditerranéens, les sols mal drainés, et les sols peu profonds. Les sols sableux prédominent sous les climats semi-arides et subhumides avec 577 millions d’ha et 20,3 % de la superficie. Ils contiennent peu de matière organique et sont facilement dégradables par l’érosion éolienne, le labour excessif et le surpâturage. Les sols des basses terres tropicales sont très étendus (17,9 %) et présentent diverses contraintes agronomiques, (acidité, faible rétention des  éléments nutritifs, et une toxicité due à l’aluminium). Les forêts autochtones d’Afrique sont détruites au rythme de plus de quatre millions d’hectares par an. La FAO estime que, rien que de 1980 à 1995, la déforestation a représenté plus de 10 % du total de la couverture forestière du continent. Néanmoins l'Afrique se distingue par sa contribution majeure aux réserves naturelles mondiales (134 millions ha à la République du Congo), et le surpâturage prend de l’ampleur surtout dans les zones arides et sèches. Le constat des terres montre 45 à 55 % ont des risques élevés  de désertification, 65 % sont considérés dégradées essentiellement par changement d’affectation et déforestation.

Comment réussir la protection et la production des terres en Afrique? La question GDT

Sur le plan technique le respect, si possible une conduite plus maitrisée des comportements et fonctionnement des sols doivent constituer l'un des objectifs majeurs dans l'utilisation et la réhabilitation surtout en agriculture. Les méthodes conventionnelles de culture (labours excessifs) et d'élevage (en conditions de dérèglement climatique) endommageaient gravement les terres, que de grandes zones comme en Afrique du Nord perdirent progressivement leur productivité même dans les bonnes années et furent recouvertes de sables mobiles, des espaces encroutés-caillouteux réapparaissent dans les mauvaises années, l'extension « sauvage » de la construction anarchique des zones périurbaines (au Grand Tunis la construction engloutit en moyenne 150 ha par an de terres, Mtimet, 2016) et le recul des terres agricoles fertiles (essentiellement les terres céréalières du Nord Ouest). Il suffit de prendre l'avion et traverser la Tunisie du Sud au Nord pour se rendre compte de la vue en altitude des avancées des dommages environnementaux. Les paysans étaient travailleurs et courageux et ils aimaient leurs terres pourtant leur pauvreté s'accroissait de jour en jour (sont-elles les mauvaises pratiques associées au dérèglement climatique ?)...Il faut dire que le constat global des scientifiques (multidisciplinaire) de la dernière décennie est que partout dans le monde les déserts avancent ! Les plantes s'assèchent, le couvert végétal diminue pour laisser la place à un espace où le minéral est dominant et la vie est minimale, mais restons optimistes pour notre continent africain et ayons confiance dans le plan stratégique d’appui 2030 de l'OSS en veille et en prospective.

Les impacts des labours excessifs de la céréaliculture (érosion hydrique et glissement de terrain), Tunisie du NW

Il s’avère qu’une gestion responsable des ressources en terres veut montrer des solutions palpables au défi posé par le changement climatique tout en relevant celui de la sécurité alimentaire à travers des politiques clairvoyantes, une mise en œuvre de pratiques agricoles judicieuses adaptées aux conditions locales : agro-écologie, agroforesterie, agriculture de conservation, agriculture biologique, utilisation du compost et gestion des paysages (ces systèmes entraînent un taux élevé de séquestration du carbone parce qu’ils combinent les effets du non-labour avec l’intrant maximum de matière organique, sous forme de résidus des culture sou de cultures de couverture, CIRAD 1999), des techniques du futur que nombreux pays à l’échelle de la planète voudraient atteindre… La préservation et le développement de la classe des terres cultivables à vocation céréalière participe dans une large mesure à relever les enjeux de la filière blé et la croissance des besoins, quand on pense que 80 millions de tonnes sont acheminés vers le continent africain (premier importateur mondial de blé) avec une facture de 11,6 Mds de dollar par an (Ecofin, 2023).

Concilier innovation et développement durable

L’ouvrage bien illustré (cartes, tableaux, photographies) qui suit une démarche scientifique rigoureuse est une contribution largement documentée et richement argumentée embellira le dossier Terre et territoires en Afrique de l'OSS. Il dresse un panorama de mesures des défis actuels de la dégradation des ressources terrestres et propose des recommandations concrètes en relation avec les acteurs concernés. Ces appuis ont des conséquences considérables pour l’agriculture en régime pluvial et irrigué(en particulier l’agriculture familiale) et l’environnement écologique. En l’état actuel des choses, il est indispensable de suivre des directives techniques, socio-économiques (réformes agraires) et de gouvernance accompagnées d’un soutien matériel à court et à long terme :

Eviter et empêcher la dégradation,
Réduire, atténuer la dégradation sous toutes ses formes,
Améliorer la séquestration du carbone, la teneur en matière organique, les réserves hydriques des sols,
Inverser la situation, car la restauration est plus coûteuse à long terme.

Les projets des grandes initiatives d’aménagement dans les différentes régions africaines en coopération internationale ont été également abordés. Ils montrent les résultats d’avancement des travaux avec l’appui des ONGs et des populations locales à l’image de la Grande Muraille Verte pour le Sahara et le Sahel (regroupant 11 pays africains et plusieurs partenaires avec l’objectif, lutter contre la désertification et la restauration des terres sur 100 millions hectares). Ce projet était lancé en 2010 allant à l’horizon 2025 par l’Union Africaine et s’appuyant sur une approche multisectorielle et éco systémique. Les différentes conventions internationales appellent à mieux établir et à ajuster les rapports nationaux à partir de l’inventaire des zones menacées avec des données précises dans les opérations d’estimation et de calcul pour mieux préparer l’étape de la restauration.

Association de cultures (oliviers et cultures maraichères), térritoires de Sfax

En définitive ce livre est une bonne base de réflexion et de travail pour les aménagistes et techniciens impliqués (administration et société civile) dans les programmes de correction et de suivi des terres en milieu rural et urbain à court, moyen et long terme et enrichira le documentation actuelle  de l’Observatoire sur les thèmes ressources naturelles et développement durable. Une mission parmi d’autres qui rentre dans le cadre d’actions d’appui de l’OSS aux pays africains dans la gestion durable des terres et l’atteinte de la NDT (concept de la neutralité de dégradation des terres).

En conclusion, après mes 40 ans de parcours en sciences du sol eu égard à la richesse en données de ce document de référence pour le continent africain, je me réjouis des résultats autour de l'indicateur NDT dans les aspects (estimation, impact des projets de développement, les bénéfices multiples), très pragmatique au suivi-évaluation et amélioration de l'état des terres et des paysans (productivité et protection des terres, stock de carbone…).

Par ailleurs le soutien financier (national et international) et l’utilisation de l'outil satellitaire et toutes autres innovations technologiques est avisé (pour rappel les ingénieurs tunisiens étaient parmi les pionniers du continent dans la cartographie des ressources en sols des années 80).Par ses différents engagements techniques et expériences l’équipe de l’OSS excelle dans ce domaine prioritaire pour la cartographie de l'espace avec la maîtrise de la technologie (outils d’exécution, en rendement et en temps alloué) et je ne peux que la féliciter. L'innovation pour l'évaluation des grandes aires par les capteurs satellitaires Landsat et MODIS est remarquable. Lors de leur récente expertise de terrain une faible différence de 3 % des zones balayées a été observée dans les secteurs dégradés de l’Afrique. C’est un bon exemple de la prospection positive future de l’ensemble du milieu naturel et des différentes régions agro économiques des pays.

Terre d'afrique: La dégradation et l'impératif de la gestion durable

Ouvrage édité par l’OSS, 128p, juin 2024, www.oss-online.org

Amor Mtimet
Membre de l’Union Internationale de la Science du Sol, IUSS