Le commandant Mohamed Béjaoui, héros méconnu de la bataille de Bizerte
Fils, frère et beau-frère de militaire, le destin du commandant Mohamed el Béjaoui héros de la bataille de Bizerte était tout tracé depuis sa naissance le 26 novembre 1926 à Douar Echatt dans la banlieue de Tunis. Il sera militaire.
A 22 ans, le 10 Décembre 1948, il s'engagera dans l'armée française et suivra les cours à L’Ecole de Cherchel, en Algérie, d'où il sortira caporal chef, avant de rejoindre, en 1951 la prestigieuse Ecole Spéciale Militaire de Saint Cyr et fera partie de la 138ème promotion Maréchal Jean de Lattre de Tassigny. En 1953, il est affecté à l'école d’application d’artillerie de Châlons-sur-Marne où il se spécialise dans l’artillerie de campagne, l’artillerie navale et l’artillerie anti-aérienne. A sa sortie, il sera affecté comme lieutenant d’artillerie au 52ème Régiment d’Artillerie à Nîmes. En 1954, il est envoyé en Indochine en 1954 où il restera jusqu’en 1955.
En 1956, Il est intégré à l’Armée tunisienne où Il crée et commande le 1e groupe d’artillerie puis l’ensemble de l’Artillerie tunisienne. Le 27 Août 1956, Il suit pendant un an les cours de la 18ème promotion de l’École d’État-major, à Paris, et en sort breveté d’Etat-Major.Il est nommé Capitaine le 1e Octobre 1956, puis commandant, trois ans plus tard.
Le commandant victime d'ordres stupides
En juillet 1961, son régiment était en manoeuvre dans le gouvernorat de Kasserine quand il reçoit l'ordre de faire mouvement vers Bizerte-ville. Ce qui était une aberration. Pourquoi a-t-on tenu coûte que coûte à envoyer à la casse ce régiment dans la ville même de Bizerte ? Le général Kateb nous confiera : «rien ne pouvait justifier cette décision absurde, car l’emploi rationnel de l’artillerie veut qu’elle soit placée dans un rayon de 15 km en moyenne de l’objectif à battre par ses feux. Envoyer ce régiment à Bizerte même, c’était le condamner à mort d’avance et c’est bien ce qui est arrivé. Cette décision dénotait un manque d’assurance, une improvisation insensée et une ignorance totale de l’emploi des armes». 20 ans après, l'amiral Amman qui commandait la base de Bizerte en 1961, n'en revenait pas encore. Comment osait-on donner des ordres aussi stupides. Béjaoui a eu beau protester, il n'arrive à convaincre ni Bahi Ladgham, le ministre de la Défense, ni le secrétaire général du ministère. Les ordres sont les ordres. On agite même la menace d'une comparution en Cour martiale. La mort dans dans l'âme, le commandant Béjaoui s'exécute. Mais avant d'aller au front, il confie à sa femme: « ils nous envoient vers une mort certaine». Deux de ses compagnies qui venaient de Medjez El Bab se sont retrouvées défilant devant l’entrée même de la base de Sidi Ahmed, alors que les combats faisaient rage entre la compagnie commandée par le lieutenant El Kateb et l’aviation française, qui s’est acharnée sur ces éléments et les a complètement décimés.
Rappelé à Tunis avec les autres membres de l'état-major, le commandant, rescapé du carnage, regagne la ville de Bizerte le 21 juillet. En bleu de chauffe pour tromper la vigilance des troupes françaises qui le recherchaient, il traverse le canal à bord d'une petite barque et rejoint ses camarades qui défendaient la vieille ville. Il demande au lieutenant Ben Aissa un casque et une arme. Frustré, il se jette corps et âme dans la bataille. il tombera, l’arme à la main, touché par les tirs d'une mitrailleuse.
Dans son livre, « Le métier et la passion» (Arcs Editions), le professeur Saïd Mestiri décrit «une des scènes les plus poignantes qu'il nous a été donné de vivre: celle de là mort du commandant Bjaoui dans la salle de réanimation du service (de l'hôpital de Bizerte). Après une conduite, dont tout le monde s'était accordé à dire qu'elle était héroïque, il a été amené à hôpital, littéralement criblé de balles. Il en avait partout, dans le thorax, dans l'abdomen, dans le rachis et les membres. Choqué, presque moribond, il avait conservé assez de lucidité pour s'accrocher de toutes ses forces à Monji et à moi-même, tenant serré contre lui et entre ses mains raidies, un vieux portefeuille tout bourré, non pas de papiers personnels ou de photos, mais de cartes d'état-major et de "documents confidentiels"; il ne voulait surtout pas que cela tombe aux" mains de l'ennemi" et désirait les faire parvenir en haut lieu. Son état de santé ne l'intéressait plus; il en avait pris son parti. Il y a des gens qui savent rester dignes quelles que soient les circonstances de la vie; Bejaoui était de ceux-là. Nous n'avons pas pu sauver le commandant Bejaoui; c'était le souvenir le plus pénible de cette période».
C'était le 21 Juillet 1961. L'un des plus brillants officiers tunisiens venait de tomber sur le champ d’honneur. Il était âgé de 35 ans. Il laissera une veuve de 25 ans avec ses cinq enfants. Le plus âgée avait 6 ans et le plus jeune 6 mois seulement.
Le 23 Juillet 1961 une prise d’armes se déroulera en fin de matinée à la caserne de forgemol au cours de laquelle, Le Commandant EL Béjaoui fut décoré à titre posthume de la Médaille de L’Indépendance et de la Médaille Militaire et promu Colonel à titre posthume.
Il était déjà décoré de la légion d’honneur et titulaire La croix de guerre de l'armée française.
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