Salammbô: Quand Le Bardo fait revenir Flaubert sur ses traces à Carthage (Album photos)
Vous avez aimé le roman ? Vous adorerez l’exposition qui lui est consacrée à l’occasion du bicentenaire en 2021 de son auteur, Gustave Flaubert, célébré au musée national du Bardo ! Un roman au musée du Bardo ? Le visiteur en prendra l’entière ampleur en retrouvant le contexte, mais aussi les représentations, soigneusement scénarisés pour une déambulation merveilleuse. Plus qu’un roman, devenu culte, après Madame Bovary, c’est la méthode Flaubert qu’on appréhende dans sa démarche historique et littéraire, qui nous renseigne sur une démarche et nous replonge dans une époque punique si fondatrice de la Tunisie d’aujourd’hui.
Fureur, passion et éléphants
Brièvement, rappelons que Gustave Flaubert (1821-1880), lassé du procès pour «outrage à la morale publique» qui lui avait été intenté, après la parution de son premier grand roman Madame Bovary (et qu’il avait gagné), avait décidé de changer de style et de thématique, pour s’intéresser à l’histoire et partir en voyage d’abord en Egypte, puis en Tunisie et en Algérie (avril-juin 1858). Coup de foudre, il trouvera à «Mégara, faubourg de Carthage» l’âme d’une passion dévorante, d’une grande fureur sentimentale, et d’une forte résistance à une oligarchie dominante qui se dénie de ses engagements vis-à-vis de plus de ses 40.000 mercenaires dévoués à ses guerres. Entre Salammbô, prêtresse de Tanit, fille d’Hannibal et Mâtho, chef des mercenaires libyens, l’idylle magique et impossible nourrira une romance non sans violence et rebondissements. La guerre des mercenaires, peu connue, est en trame de fond. Fureur, passion et éléphants : le titre est bien indiqué.
Fouinant entre archéologie et sentiments
La méthode Flaubert est fort exigeante. On ne se met pas à l’écritoire, de prime abord, pour laisser libre cours à son imagination. Même s’il s’agit d’un roman de pure inspiration, il y a tout un travail préparatoire qu’il est nécessaire d’accomplir attentivement. La facilité de la technologie autorise aujourd’hui à pianoter directement sur le clavier d’un ordinateur ou d’un smartphone, quitte à reprendre et rectifier, la qualité et la profondeur du texte en porteront les stigmates. Alors que pour Flaubert, et c’est ce qu’il nous enseigne le plus, avant d’écrire, il faut lire, lire beaucoup, se documenter, se rendre sur les lieux, humer le temps, interroger les signes, se mettre en situation.Avant de rédiger Salammbô, Gustave Flaubert ne lira pas moins de 300 documents, «vivra» à Carthage, s’imprègnera de son temps, habitera ses légendes, observera ses acteurs, se rapprochera de ses héros et essayera de saisir l’essentiel, les émotions, les passions, les joies et les souffrances. Sur son petit calepin, il note tout, établit des croquis, dessine des formes et n’omet aucun détail, mentionnant ce qu’il ressent. Cette collecte de matériaux lui sera précieuse pour densifier son roman où, s’il ne fait figurer aucun croquis ni aucune image, il laisse à l’imaginaire de planter le décor et de construire les scènes.
C’est ce qui fera le succès de Salammbô. S’il change de genre, Flaubert demeure fidèle à cette touche passionnante des sentiments, des pulsions et des désirs, si bien rapportés dans Madame Bovary.
Restituer un contexte pour mieux appréhender le roman
Cette même démarche d’imprégnation a été retenue pour célébrer le bicentenaire de l’auteur, en choisissant de la consacrer à sa seconde œuvre majeure. A Rouen, sa ville natale, le Musée des beaux-arts mènera alors un projet ambitieux qui sera offert aux visiteurs du 23 avril au 19 septembre 2021. Pour le faire aboutir, deux autres musées seront mis à contribution : le MUCEM à Marseille et Le Bardo à Tunis (du 24 septembre 2024 au 12 janvier 2025). Le prêt de chefs-d’œuvre archéologiques émanant du site de Carthage confèrera aux expositions de Rouen et de Marseille une dimension toute particulière. Et, dans l’autre sens, des pièces de grande valeur viendront enrichir l’exposition du Bardo qui marque le retour de Flaubert en Tunisie. Foisonnante, la célébration au Bardo multipliera les genres entre archives personnelles de l’auteur (carnets, lettres, etc.), diverses reproductions de Salammbô déclinées en affiches, portraits d’actrices, livres, et autres, et surtout des pièces archéologiques inestimables. La scénographie, talentueusement conçue par l’agence Dzeta sous la direction de Mamia Taktak, sera d’une haute facture. Dans une programmation culturelle «Autour de Salammbô», diverses manifestations (lectures musicales, rencontres, ateliers d’écriture, réalité virtuelles…) sont proposées tout au long de l’exposition.Dans les coulisses, se déploient Imed Ben Jerbania, commissaire de l’exposition, Jamel Hajji, qui dirige Le Bardo (à la tête d’une excellente équipe), et l’Institut national du patrimoine (sous la conduite de Tarek Baccouche). La synergie avec le musée des beaux-arts de Rouen et le MUCEM de Marseille est soutenue par les autorités culturelles des deux pays et de nombreux organismes partenaires. On ne s’imprègnera de toute la magie de Salammbô et d’un grand pan de notre histoire qu’en visitant cette magnifique exposition. Le roman ne sera plus relu comme la première fois...
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